La droite LR face à la mère des batailles : celle de sa survie

jeudi 13 mai 2021.
 

Le feuilleton autour de l’élection régionale en Provence-Alpes-Côte d’Azur a mis Les Républicains face à l’épineuse question de leur positionnement. Coincée entre Macron et le Rassemblement national, la droite fait mine d’avancer en ne voyant pas le précipice.

Il y a encore trois ans, Jean Castex, Thierry Mariani, Renaud Muselier et Éric Ciotti appartenaient au même parti. Aujourd’hui, ils sont les acteurs principaux d’une tragédie dont le théâtre est le conseil régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca) et l’enjeu, l’avenir de la droite française. Les quatre hommes cités sont respectivement premier ministre d’Emmanuel Macron, candidat du Rassemblement national à l’élection régionale, président sortant Les Républicains (LR) de la région et député LR.

Pour faire court, le premier a annoncé dimanche que la majorité qu’il dirigeait rejoignait le troisième pour faire face au deuxième, favori de l’élection, au grand dam du quatrième, qui a dit toute sa « tristesse » face à ce « coup de poignard » qu’on lui mettait dans le dos. Depuis, l’état-major de LR tente de limiter la casse et l’aile droite du parti plaide pour une candidature face au président sortant – Bruno Retailleau, président du groupe au Sénat, a déjà avancé le nom de David Lisnard, maire de Cannes, pour l’incarner.

Ce mardi, un conseil stratégique très attendu n’a pas permis d’y voir plus clair dans l’embrouillamini. Rarement présent d’habitude, Renaud Muselier a débarqué à la surprise générale rue de Vaugirard, où siégeaient déjà une dizaine de ses amis politiques remontés. Après une réunion tendue puis un aparté avec Christian Jacob, le président du parti, celui-ci a promis devant les micros que le président de la région Paca ferait une déclaration dès la mi-journée. « Il doit annoncer qu’il rejette l’accord avec Castex », glissait à Mediapart un cadre de LR à l’issue du conseil stratégique.

Il n’en a rien été. En milieu d’après-midi, Renaud Muselier expliquait dans un communiqué qu’il refusait tout « accord d’appareil » mais qu’il était « sensible à tous les soutiens », qu’il serait le seul maître de sa liste et de sa campagne et que Les Républicains constitueraient la « colonne vertébrale » de son équipe.

Pas de quoi calmer la colère de ses collègues : même le refus, suggéré la veille, de présenter sur la liste des ministres ou parlementaires La République en marche (LREM) avait disparu des mots de Renaud Muselier. « Pas de rassemblement sans Sophie Cluzel [secrétaire d’État et chef de file du mouvement en Paca – ndlr] », avait prévenu Stanislas Guerini, délégué général de LREM, mardi matin, en réunion de groupe parlementaire.

En début de soirée, la commission d’investiture de LR a finalement redonné l’investiture à Renaud Muselier au terme d’une réunion encore plus houleuse que celle du matin. Le parti a obtenu de son candidat qu’il refuse la présence de parlementaires ou ministres LREM, contrairement à ce qu’il écrivait plus tôt dans la journée, et qu’il n’accorde aucune tête de liste départementale aux marcheurs locaux. Décidément difficile à suivre... La balle est désormais dans le camp de la majorité présidentielle, qui doit acter ou non ce mariage au rabais.

Au-delà de ces règlements de comptes entre amis, le psychodrame provençal remet au premier plan l’enjeu lancinant de la droite française depuis 2017 : celui de sa survie.

La séquence actuelle vient confirmer la fragilité de l’édifice LR. Près de vingt ans après sa création, l’ancienne Union pour un mouvement populaire (UMP) ne respire plus que sous la perfusion de son ancrage local. Les électeurs, les militants, les idées se font de plus en plus rares. Reste le réseau d’élus : quelque 260 parlementaires et plusieurs milliers d’élus locaux à travers le pays. « On est sous une tente à oxygène », soupire un ancien ministre.

Sans leader, le bateau tangue

Créée pour fédérer les différentes chapelles de droite et pour lutter - déjà - contre l’extrême droite au début du second mandat de Jacques Chirac, la maison commune (UMP puis LR) a vacillé au gré des divisions et des crises. Deux décennies plus tard, elle tient toujours. Pour combien de temps ? Sa longévité – toute relative – doit beaucoup à deux facteurs : le pouvoir, détenu de 2002 à 2012, et le leadership de ses deux dernières figures tutélaires, Jacques Chirac puis Nicolas Sarkozy.

Quand elle n’a eu ni l’un ni l’autre, la droite n’a pas cessé de se déchirer. Après 2012, lorsque la guerre de succession entre Jean-François Copé et François Fillon a viré au pugilat politique ; en 2017, quand la campagne minée de François Fillon a clairsemé les rangs ; après la débâcle, quand Laurent Wauquiez en a pris la tête pour entériner son virage droitier. « La droite a toujours eu un chef. Aujourd’hui, c’est qui ? », interroge Hubert Falco ce mardi sur le site du Point.

Il n’y a pourtant rien, sur le fond, qui divise les uns et les autres au point de se tourner le dos. LR n’abrite pas deux droites « irréconciliables », comme le disait Manuel Valls à propos du Parti socialiste. Les débats internes font certes émerger quelques nuances, sur le plan économique ou sur la priorité accordée (ou non) aux thématiques identitaires. Mais c’est sur les enjeux stratégiques que se nouent les divorces.

C’est le cas de celui entre Éric Ciotti, député des Alpes-Maritimes, et Christian Estrosi, maire de Nice : après avoir été amis, les deux hommes sont devenus rivaux au gré des querelles d’investiture, d’alliances, de candidatures et d’ambitions personnelles. Sur le fond, en revanche, rien ou presque ne les sépare : ils partagent leurs obsessions (la sécurité et l’identité), leur mentor (Nicolas Sarkozy), leur terre d’ancrage et son électorat droitier. Aujourd’hui converti au macronisme, Christian Estrosi plaidait en 1998 pour un accord avec le Rassemblement national aux régionales…

À défaut de division de fond, les chemins se séparent au carrefour de l’ambition. Chacun joue alors sa propre partition dans la recomposition politique à l’œuvre. « Il y a toute une génération d’élus de droite qui n’ont jamais été ministres ou qui aspirent à le redevenir, qui voient le temps passer et qui se disent que, pour eux, c’est 2022 ou jamais », cinglait récemment un élu LR influent.

Derrière le choix de Renaud Muselier, qui martèle qu’il n’a que sa région en tête, d’autres ont les échéances nationales à l’esprit. Dès le mois d’août dernier, Christian Estrosi appelait son camp à soutenir Emmanuel Macron en vue de la prochaine présidentielle. Déjà, à l’époque, le maire de Nice s’était pris en retour une volée de bois vert et un procès général en traîtrise. Moins d’un an plus tard, il a été un des artisans de ce que certains voient comme le deuxième jalon d’une stratégie délibérée.

« Macron veut tuer LR », résume un député. Comme Christian Estrosi, un certain nombre d’élus de droite songent à franchir le Rubicon qu’ont franchi avant eux Édouard Philippe, Bruno Le Maire ou Gérald Darmanin. Ils le font pour l’instant à bas bruit, si ce n’est quelques incartades au moment des remaniements. Ainsi Guillaume Larrivé, député LR de l’Yonne et habituel opposant farouche, s’est-il montré très indulgent avec l’exécutif en juillet 2020 et dit souhaiter le « succès » du gouvernement.

En vitrine, pourtant, le discours n’a pas changé : LR est dans l’opposition ferme à Emmanuel Macron et aspire à reconquérir le pouvoir en 2022. Quitte, pour certains, à vouloir ancrer le parti très à droite sur l’échiquier politique. Face à la droitisation du quinquennat, une partie de LR a entrepris de radicaliser son propre discours. À l’Assemblée nationale comme au Parlement européen, on ne compte plus les positions et les votes communs avec l’extrême droite – encore récemment sur la loi « Séparatisme ».

« Ce qui nous sépare globalement du Rassemblement national, c’est notre capacité à gouverner », assurait Éric Ciotti la semaine dernière dans une interview à Valeurs actuelles. Le « cordon sanitaire » cher à Jacques Chirac appartient à l’histoire. En 2017, déjà, le bureau politique de LR s’était déchiré sur la consigne de vote à donner pour le second tour. Et une partie des figures de la droite continue à prêcher le « ni-ni », refusant de choisir entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen.

La campagne des régionales vient confirmer que certaines digues ont sauté. En Bourgogne-Franche-Comté, le candidat LR Gilles Platret (vice-président du parti) a choisi d’investir comme chef de file dans la Nièvre Pascal Lepetit, un ancien membre du Front national aujourd’hui membre de Debout la France. En réaction, le président de la fédération départementale et plusieurs élus locaux ont claqué la porte du parti.

Mise sous pression par Emmanuel Macron d’un côté, par Marine Le Pen de l’autre, la droite traditionnelle cherche encore son espace politique. À défaut, Christian Jacob avait réussi, depuis son élection à l’automne 2019, à préserver la (relative) cohésion du parti. La voilà qui se fissure sous les coups de boutoir de la Macronie. En attendant pire ? La désignation du candidat à la présidentielle, espérée pour l’été, pourrait bien achever l’implosion d’un parti en grande souffrance.

Par Ilyes Ramdani


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