Le véritable danger, c’est eux

lundi 10 mai 2021.
 

Le 21 avril 1961, à Alger, c’était un « quarteron de généraux ». À présent, ils sont vingt réclamant au bout du fusil « un retour de l’honneur de nos gouvernants » dans une tribune publiée dans Valeurs actuelles le 21 avril 2021. La coïncidence de la date n’est pas fortuite ; elle invite à penser la continuité d’une emprise de la pensée de l’extrême-droite dans l’armée, qui, dans un contexte favorable, s’expose sans ambages et sans ambiguïtés. Plus avant encore, en 1933, le slogan « Ordre, autorité, nation » de Marcel Déat se réincarne dans « honneur et patrie » de ces généraux à la retraite.

Sans verser dans une analyse lexicale en règles, force est de constater que tous les ingrédients de la rhétorique d’extrême droite sont à l’œuvre dans cet appel au Président et aux élu·e·s du peuple.

Le thème de la décadence, nommée pudiquement délitement, a ses raisons et ses ennemis tout désignés dont le répertoire met dans le même sac des théories et des personnes : l’antiracisme, les théories décoloniales, les hordes de banlieue, des individus infiltrés et encagoulés.

Le thème de l’insécurité, puisque « la haine prend le pas sur la fraternité », insécurité contre laquelle le pouvoir en place « utilise les forces de l’ordre comme agents supplétifs et boucs émissaires »

Le thème de l’intolérable puisque « c’est la guerre raciale que veulent ces partisans haineux et fanatiques ».

Face à ces délitements cumulés et exacerbés, ces généraux appellent à un sursaut et opposent à la pseudo guerre raciale, rien de moins qu’une guerre civile. Ils sont prêts à « soutenir les politiques qui prendront en considération la sauvegarde de la nation ». Ils menacent, car « si rien n’est entrepris », ils en appelent à « l’intervention de (leurs) camarades d’active dans une mission périlleuse de protection de nos valeurs civilisationnelles et de sauvegarde de nos compatriotes sur le territoire national », phrase maurassienne s’il en est. Leur tribune prépare les troupes, l’opinion et les dirigeants à la possibilité d’un putsch. Elle sonde les éventuelles résistances, les accointances, les indifférences et les soumissions, façon militaire.

On aurait tort de croire à un canular ou que cette lettre est désuète parce qu’écrite par des généraux en retraite, qui de surcroît ne craignent plus rien pour leur carrière. C’est en resituant leur appel dans une durée plus longue que se révèle la trame de l’idéologie d’extrême droite en action. Mais il y a plus. Ces généraux, qui brandissent l’honneur comme on brandit une arme, savent que leur appel dans le contexte actuel est un hameçon auquel peuvent se rallier les partisans d’un état autoritaire, voire militaire. Les exemples dans maints autres pays attestent la possibilité de telles transitions politiques ; que l’on songe, par exemple, à la Grèce où le 21 avril 1967, l’armée prenait le pouvoir. Et c’est donc sans étonnement que Marine Le Pen, candidate à la présidence de la République, leur apporte son soutien, validant de la sorte cette odieuse matrice idéologique rampante qui, à présent, se dévoile publiquement et entend passer à l’acte : « Je souscris à vos analyses et partage votre affliction. Comme vous, je crois qu’il est du devoir de tous les patriotes français, d’où qu’ils viennent, de se lever pour le redressement et même, disons-le, le salut du pays », écrit-elle dans Valeurs actuelles.

Face à cette médiatisation, la ministre des armées s’est contentée de rappeler que les militaires ne doivent pas se transformer en militants, pour demander ensuite des sanctions. Le chef de l’État, chef des armées, lui si peu avare en paroles, s’en tient à un irresponsable silence. À gauche de l’échiquier politique, seuls Benoit Hamon, Jean-Luc Mélenchon et la CGT sont montés au créneau. Il serait aussi de l’honneur d’autres militaires de prendre la plume à leur tour pour se désolidariser de ces factieux.

Le danger qu’ils voient partout a changé de camp : le véritable danger, c’est eux. Il faut toutes affaires cessantes les déshonorer en leur opposant un sursaut citoyen, mais également en leur appliquant la loi, car c’est sans nul doute la seule réponse qu’ils peuvent comprendre. Il faut donc veiller à ne surtout pas rentrer dans cette logique de guerre civile qu’ils appellent de leurs vœux ; défendre avant tout le cadre constitutionnel qui subordonne le pouvoir militaire au pouvoir civil, et rappeler que cette subordination implique le silence politique des militaires. Toute indulgence à l’égard de ce type d’insubordination militaire est irresponsable.


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