Sarkozy et la régression africaine (Parti Socialiste)

jeudi 30 août 2007.
 

Rupture il y aurait ! Promettait Nicolas Sarkozy pendant la campagne présidentielle.

En mai 2006, le candidat avait donné à Cotonou quelques gages prometteurs, en s’engageant à promouvoir « la bonne gouvernance », ou encore « la démocratie [qui], ne se résume pas à des élections, à « bâtir un état de droit, où l’administration est neutre, les circuits financiers transparents, où la presse est à la fois responsable et indépendante, où l’autorité judiciaire est libre de travailler sans influence extérieure ». On ne pouvait alors que se réjouir de l’engagement du candidat à refuser « de transiger sur ses valeurs. Ces valeurs de démocratie, de respect des droits de l’homme, de bonne gouvernance (...), ces principes [qui] ne s’arrêtent pas aux portes du continent ! »

On attendait avec une impatience non dissimulée la fermeture de l’anachronique ère chiraquienne. Nicolas Sarkozy a déjà déçu. En dehors des avancées sur l’affaire Borrel, qu’il faut saluer, la présidence Sarkozy s’est pour l’essentiel inscrite dans la « droite ligne » de la présidence Chirac, parvenant même à régresser encore sur plusieurs aspects. D’abord, les 0,7% d’aide au développement promis par la majorité UMP sortante attendront 2015, a-t-on appris. Autant dire les calendes grecques. Pendant ce temps là, l’effort français de solidarité baisse ! Et puisqu’il faut bien faire diversion, le Président Sarkozy prolonge la méthode adoptée par son prédécesseur, en privilégiant les annulations de dette à d’autres formes d’aide au développement. Par générosité ? Pas si sûr. Cette technique permet surtout à la France de déclarer à l’OCDE des chiffres d’aide au développement supérieurs à leur coût budgétaire, par des jeux d’écriture comptables contestables. C’est la politique du « Annuler plus pour afficher plus ». Evidemment, on se réjouirait de la poursuite des annulations de dette si celles-ci étaient additionnelles à une hausse de l’aide. Mais dans la mesure où celle-ci régresse, c’est bien d’un écran de fumée qu’il s’agit là. Le Gabon, pays phare de la diplomatie sarkozienne, devrait être le premier à bénéficier des largesses de l’Elysée, à des conditions qui rendront jaloux bien des pays en développement.

Bref, les réseaux chiraquiens se portent bien. Omar Bongo Ondimba, Denis Sassou Nguesso, Idriss Déby Itno restent les interlocuteurs privilégiés de l’Elysée, au grand dam de ceux qui auraient aimé voir la France intensifier ses relations avec des Etats incarnant mieux lesdites valeurs de « transparence, de démocratie et de bonne gouvernance... » Nicolas Sarkozy avait pourtant donné un bref signal de modernisation en accordant à Ellen Johnson Sirleaf l’honneur d’être le premier chef d’Etat africain reçu à l’Elysée ! Le rappel à l’ordre des habitués de la Françafrique fut rapide, et fidèlement exécuté... Instamment prié de modifier sa tournée africaine pour s’arrêter au Gabon, notre Président se plia aux injonctions du doyen des chefs d’Etats. Il nous promettait des surprises, on ne peut pas dire qu’en s’arrêtant au Sénégal et au Gabon il nous ait retournés d’étonnement.

Puis vint le discours de Dakar, qui a tant heurté en Afrique. C’est d’abord cette insistance lourde sur la nature et la souffrance de l’homme noir. Invoqué six fois. Puis ces généralités, d’abord gênantes, choquantes ensuite, sur l’homme africain. Citons Sarkozy « le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. (...) Le paysan africain, qui depuis des millénaires, (...) ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. » L’homme africain pas entré dans l’histoire ? Dire cela dans les murs de l’université Cheikh Anta Diop ne manque pas de sel. Surtout dans une déclaration qui fleure bon le XIXème siècle, semblant paraphraser Hugo, Hegel, voire Jules Ferry, pour leurs écrits les moins mémorables. Dans le même ordre de généralités avilissantes, on apprend aussi que « l’homme moderne qui éprouve le besoin de se réconcilier avec la nature a beaucoup à apprendre de l’homme africain qui vit en symbiose avec la nature depuis des millénaires ». Faut-il aussi en conclure que l’homme africain n’est pas moderne ? C’est bien ce que laisse entendre le discours de Dakar. Puis, c’est le summum, avec ces mots qui gravent dans le marbre l’infantilisme ou l’irrationalité supposés de l’homme africain : « L’Afrique a réveillé (...) ce besoin, ce besoin auquel je crois moi-même tant, de croire plutôt que de comprendre, ce besoin de ressentir plutôt que de raisonner ». Pauvre Afrique, terre des sentiments, à défaut de raison.

Enfin, car cela aurait manqué, il fallait un couplet sur le colonisateur, dont le président Sarkozy nous dit que certes « il a pris » mais « qu’il a aussi donné. » Ainsi, « il y avait parmi [les colonisateurs] des hommes mauvais mais il y avait aussi des hommes de bonne volonté(...). Ils se trompaient mais certains étaient sincères. » Plus loin : « La civilisation musulmane, la chrétienté, la colonisation, au-delà des crimes et des fautes qui furent commises en leur nom et qui ne sont pas excusables, ont ouvert les cœurs et les mentalités africaines à l’universel et à l’histoire. » Pauvres hommes noirs vivant avant la colonisation et l’esclavage, ignorants et refermés sur eux-mêmes...

Le plus grave, c’est que le Président Sarkozy, s’égarant dans des considérations dégradantes, esquive les sujets prioritaires. Que pense-t-il des Accords de partenariat économique, qui redéfiniront les modalités de la coopération européenne avec les pays ACP ? La situation est grave : leur négociation à marche forcée provoque déjà la colère et l’incompréhension d’une majorité de pays africains, soutenus par nombre d’organisations de la société civile du Nord comme du Sud. Un effort budgétaire sera-t-il fait pour permettre à l’aide au développement française de ne pas chuter, dans un contexte de finances publiques dégradées par le coût inconsidéré du paquet fiscal ? Que compte faire le Président de la République des bases militaires françaises en Afrique, ou encore des accords de défense et de coopération militaire ? Il est pour le moins surprenant que, traversant deux pays dans lesquels la France possède des bases, cette question n’est même été évoquée. Attend-il la prochaine crise pour se poser cette question, que l’on ne peut pourtant traiter sérieusement que par temps calme ? Faut-il vraiment axer notre politique de coopération sur la gestion des migrations, en généralisant à grande échelle des programmes qui n’ont donné jusqu’ici que de très modestes résultats ? Est-il raisonnable d’envisager d’élever encore la prime de retour, qui s’élève déjà à sept mille euros par migrant candidat, pour parvenir à se débarrasser absolument d’Africains jugés encombrants ?

En matière de politique africaine, Nicolas Sarkozy a déjà commis un grave un faux départ. Deux, et c’est l’élimination dans la course à l’influence. Les diplomaties américaine, chinoise, britannique ou indienne n’ont jamais connu de tels dérapages. Les échéances sont désormais rapprochées. Le vote du budget en dira long sur la sincérité des fragments humanistes qui subsistent dans les discours présidentiels. La négociation des Accords de partenariat économiques aussi. Les pays en développement ont besoin d’un délai, d’équilibre et de concessions. L’idée d’une ouverture commerciale asymétrique doit être défendue, alors que les quelques acquis (accords « Tous sauf les armes », AGOA américain) sont menacés par l’érosion des préférences accordées aux pays ACP. On en attend aussi davantage sur l’accompagnement des processus électoraux : la France devra faire preuve de modestie et de doigté au Togo et en Côte d’Ivoire, pays où la diplomatie chiraquienne s’est déconsidérée, mettant en danger les ressortissants français dans ces pays. Enfin, on souhaiterait que la politique française en Afrique soit plus transparente, débattue à l’Assemblée nationale, offerte aux citoyens... Est-il normal que nombre de clauses des accords de défense et de coopération militaire soient encore inaccessibles mêmes aux membres des commissions des affaires étrangères et de la défense des assemblées ? Les socialistes sont prêts à participer à leur examen et plus généralement à la normalisation de la politique africaine de la France. L’Afrique ne peut plus être le seul jouet du Président et de sa cellule rapprochée. On en a déjà mesuré les conséquences avec le discours de Dakar et cette situation devient de plus en plus difficile à tolérer.

par Thomas Mélonio

Délégué national du parti socialiste pour l’Afrique


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