À gauche, retournement de situations

jeudi 1er avril 2021.
 

L’Action Française a attaqué le Conseil Régional d’Occitanie ce jeudi 25 mars 2021. Quelques semaines après avoir déployé une banderole « décapitons la République » en plein cœur de Paris, le groupuscule d’extrême droite laisse derrière lui une nouvelle banderole lourde de sens : « islamo-gauchistes traîtres à la France ».

C’est le résultat d’un climat nauséabond depuis de longs mois dans le pays. Le sang de Samuel Paty avait à peine coagulé, que déjà LREM et RN tressaient main dans la main la cible commune : les « islamo-gauchistes » en général, et Jean-Luc Mélenchon en particulier. L’odieuse récupération politicienne de l’assassinat de l’enseignant ne s’arrêtait pas au duo Macron Le Pen, ravi d’avancer bras dessus bras dessous vers 2022. Une partie de la « gauche » a également sauté sur la dépouille pour servir son agenda politique. Olivier Faure et Anne Hidalgo ont dénoncé les prétendues « ambiguïtés » des insoumis puis d’EELV.

La réaction de Carole Delga, présidente socialiste de la région Occitanie, à l’attaque de l’Action Française, se situe parfaitement dans le prolongement de cette ligne vallsiste : « Racisme, antisémitisme et discriminations ne reculeront qu’en rassemblant d’abord les Français sur les droits et valeurs de la République. L’UNEF gagnerait à suivre ce chemin ». Un conseil régional est attaqué par l’extrême droite, mais la présidente socialiste de la région dénonce l’UNEF ? Cette réaction est révélatrice de la folie de la séquence politique que nous vivons.

Cette séquence semble provoquer un retournement de situation à gauche. Aux polémiques autour de la dissolution de l’UNEF, de la mosquée de Strasbourg, de l’attaque du Conseil Régional d’Occitanie par l’Action française, s’est ajouté la polémique Audrey Pulvar provoquant une déflagration sur les réseaux sociaux. En ce dernier weekend de mars, le Rassemblement national (RN), les Républicains (LR) et la République en Marche (LREM) s’étaient donné rendez-vous pour taper en cœur sur la candidate socialiste en Île de France suite à sa prise de position en faveur des groupes de paroles non mixtes. Si les insoumis ont tout de suite apporté largement leur soutien à Audrey Pulvar, les réactions se faisaient attendre pour le reste de la « gauche ». Est-ce les arguments sans cesse répétés par les insoumis ainsi que leur volonté de faire front derrière les victimes de ces attaques sans sectarisme qui auraient fini par faire bouger les uns et les autres ?

Olivier Faure, bien silencieux depuis le début de la séquence, a du sortir du bois. Entre la ligne Carole Delga, s’attaquant à l’UNEF et aux groupes non mixtes en Occitanie, et la ligne Audrey Pulvar, défendant au contraire les groupes de paroles non mixtes en Île de France, le malaise était en effet palpable au PS. Son premier secrétaire a fini par sortir du silence. Après avoir dénoncé les « ambiguïtés » d’une partie de la gauche ces derniers mois, s’être abstenu sur la loi « séparatisme » stigmatisant les musulmans, avoir semblé se ranger du côté des Manuel Valls et autre Bernard Cazeneuve pourfendeurs d’« islamo-gauchistes », Oliver Faure semblerait avoir changé de tailleur. Le premier secrétaire du PS a en effet fini par timidement défendre Audrey Pulvar et déclarer n’avoir : « aucun problème avec les groupes de paroles qui permettent de libérer la parole de racisme ou de sexisme ». Jean-Luc Mélenchon s’est félicité de cet éclaircissement sur Twitter : « Enfin Olivier Faure a compris ce que sont les groupes de parole ! Tant mieux. Résistance face à la droite et l’extrême-droite. »

Yannick Jadot, invité de France Inter ce lundi 29 mars, a quant à lui renoncé à l’idée d’inventer un espace « entre Macron et Mélenchon ». Celui qui se rêve candidat des écologistes martelait pourtant l’expression depuis des mois. Mais la violence de la séquence a sans doutes fait réaliser à Yannick Jadot qu’il ne pourrait se passer d’une discussion avec Jean-Luc Mélenchon, candidat le mieux placé à gauche et principale cible depuis des mois des attaques en « islamo-gauchisme ».

Le coordinateur des insoumis, Adrien Quatennens, a salué ce revirement stratégique de Yannick Jadot : « La dynamique de campagne autour de Jean-Luc Mélenchon fait bouger les lignes. Ce matin, Yannick Jadot renonce à son idée d’espace « entre Macron et Mélenchon ». Dont acte. Cela fait trois ans que JLM propose la fédération populaire et que nous posons des actes pour la clarté sur le fond. » LFI a en effet multiplié les mains tendues aux écologistes à l’occasion des élections régionales, Jean-Luc Mélenchon allant jusqu’à proposer aux verts : « il reste 6 régions, acceptez qu’il y ait une région avec un tête de liste insoumise et on vous cède les têtes de listes dans les autres. » Les insoumis sectaires ? Le leader des insoumis multiplie également les mains tendues aux communistes depuis de long mois, proposant un programme et un accord pour les présidentielles et les législatives.

Fabien Roussel, le secrétaire national du Parti Communiste Français (PCF), semble être pour l’instant le vilain petit canard de la séquence. Après avoir voulu faire cavalier seul avec le PS aux régionales, refusant tout accord avec les insoumis dans les Hauts de France, avant de devoir faire marche arrière et se ranger derrière l’accord des insoumis des verts et du PS, Fabien Roussel semble une nouvelle fois chercher à se démarquer. Le secrétaire national du PCF, invité de l’émission les « 4 vérités » ce lundi 29 mars, a ainsi déclaré : « Je pense que les réunions segmentées selon sa couleur de peau, sa religion ou son sexe, divisent le combat. ». Une prise de position qui a provoqué des remous au sein du PCF. La députée communiste Elsa Faucillon a ainsi réagi : « L’universalisme abstrait ne permet pas de lutter contre les inégalités fondées sur le genre, la couleur de peau, la sexualité. C’est pourquoi l’histoire de l’émancipation humaine est jalonnée de réunions entre opprimé.e.s. ».

Ces fameuses « réunions non-mixtes » qui déchainent la polémique et enflamment les réseaux sociaux ces derniers jours, ne datent pas d’hier. Elles sont même vieilles comme le monde. Vieilles comme les réunions d’alcooliques anonymes. Veilles comme le mouvement féministe. Vieilles comme les réunions pour les victimes de violences conjugales. Vielles comme l’Union des Étudiants Juifs de France. Vieilles comme les Jeunesses Ouvrières Chrétiennes. Et ainsi de suite. Ces réunions n’ont jamais choqué personne, pourtant l’extrême droite et ses trampolines se servent de ce prétexte aujourd’hui pour demander la dissolution d’un des plus vieux syndicats étudiants de France.

La pente autoritaire prise par ce gouvernement est franchement inquiétante. Un symbole de la démocratie est attaqué par des fascistes, les fachos ressortent de terre un peu partout dans le pays, comme à Lyon où une cinquantaine de militants ultra violents s’en sont pris en pleine journée à une librairie à coup de barre de fers, mais les ministres préfèrent s’en prendre à « l’islamogauchisme ». Peu importe que le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ou la Conférence des présidents d’universités (CPU) aient rappelé que « l’islamogauchisme » n’existe pas.

C’est sûrement tout ce qui reste au gouvernement pour tenter de faire oublier sa gestion catastrophique de la crise sanitaire. Après le fiasco du confinement déconfiné, de la stratégie vaccinale, alors que la pauvreté fracasse le pays et que les étudiants font des queues interminables pour bouffer, la stratégie de diversion est grossière. Mais elle n’est pas nouvelle. Lors du sommet du mouvement des gilets jaunes ou du mouvement contre la réforme des retraites, polémique sur le voile. Dès que le gouvernement se sent en danger, diversion identitaire. La seule stratégie qu’il reste à Emmanuel Macron pour 2022 : faire monter Marine Le Pen à travers ces polémiques stériles, pour ensuite se poser en seul rempart, en fameux « vote utile ». Problème : la ficelle est trop grosse. La Une du Journal Libération du dimanche 28 février 2021 : « 2022 : j’ai déjà fait barrage, cette fois c’est fini », a provoqué un vent de panique au sein de la majorité.

Emmanuel Macron trampoline de Marine Le Pen ? Difficile de ne pas voir où sont en train de nous mener les polémiques en « islamogauchisme » montées en épingle par les différents ministres. La banderole de l’Action Française doit être un signal d’alarme. Le gouvernement est en train de légitimer idéologiquement l’extrême droite. De dessiner des cibles dans le dos des « islamogauchistes ». Les digues républicaines sont en train de s’effondrer. Heureusement, Jean-Luc Mélenchon ne semble plus être tout seul à gauche à tenir la tranchée et à refuser de céder face à la zemmourisation médiatique et politique. On doit s’attendre à ce que chaque jour d’ici 2022 des polémiques identitaires soient ainsi montées en épingle pour continuer à faire diversion. Espérons que Jean-Luc Mélenchon ne soit pas seul à refuser la pente nauséabonde que prend notre pays.

Par Pierre Joigneaux.


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