Le pouvoir macroniste aura écrasé toute forme de pluralisme et de contrôle parlementaire

samedi 13 mars 2021.
 

Il y aura déjà 20 ans, en 2022, que des électeurs de gauche auront dû se prononcer en faveur de Jacques Chirac (contre Jean-Marie Le Pen parvenu au second tour). Et depuis, ils auront dû, à nouveau, se prononcer en faveur d’Emmanuel Macron en 2017 (cette fois contre Marine Le Pen). Après avoir, qui plus est, éprouvé une immense colère suite aux trahisons d’un François Hollande, que nombre d’électeurs de gauche n’avaient déjà soutenu que par défaut en 2012. Comment n’éprouveraient-ils pas une immense lassitude démocratique ?

Qu’on mesure bien cela : cela signifie, par exemple, que, depuis près de 20 ans, de jeunes électeurs de gauche, nés après 1984, n’auront jamais vu leurs aspirations politiques pleinement réalisées. Et qu’on les invite déjà à renoncer à celles-ci pour 2022.

Comment s’étonner, dans ces conditions, que les Français de gauche, jeunes ou moins jeunes, ne ressentent pas, pour ainsi dire, un sentiment de « vote bloqué » ? Cette disposition parlementaire, qui autorise le gouvernement à obtenir de l’Assemblée qu’elle se prononce sur un texte, en ne retenant que les amendements acceptés ou proposés par le gouvernement, décrit hélas assez bien ce à quoi ressemble désormais le second tour de la présidentielle. Sous la menace de voir triompher un ou une Le Pen, les électeurs de gauche se voient, en effet, contraints de se prononcer pour un candidat qui se donne le droit de ne retenir, de leurs propositions, que celles qu’il a lui-même acceptées ou déjà suggérées. Le second tour de la présidentielle fonctionne bien, en ce sens, comme un « vote bloqué ».

C’est d’autant plus vrai qu’Emmanuel Macron aura, comme Jacques Chirac, obstinément refusé de tenir compte des aspirations des électeurs de gauche auxquels il devait sa victoire. Composant un gouvernement à sa seule main, ne laissant aucune place à ses oppositions au sein de l’Assemblée, étouffant le travail des commissions d’enquêtes – quand il n’y mettait pas purement et simplement fin –, le pouvoir macroniste aura écrasé toute forme de pluralisme et de contrôle parlementaire. Et ce pouvoir aura, de plus, face aux révoltes populaires, refusé de céder, ou même tout simplement refusé de négocier – comme il le fit, par exemple, avec les gilets jaunes –, quand Jacques Chirac avait, au contraire, cédé, même de la façon la plus ubuesque, face aux contestations de la jeunesse qu’avait soulevées le CPE. Et, de fait, Macron aura comme jamais sous la Vème République méprisé les syndicats, intimidés les journalistes et brutalement réprimé les manifestants.

On ne peut donc que s’étonner de l’étonnement, et de l’indignation des macronistes, devant la Une et le dossier de Libération, qui a documenté cette lassitude des électeurs de gauche. D’autant qu’à cet étonnant étonnement sont venus s’ajouter ce qui constitue désormais l’ordinaire des intimidations et insultes de la macronie : si la gauche, et même la « gauche médiatique » (comprenez : Libé, Le Monde, Mediapart, etc.), se refuse à un second tour Macron/Le Pen, c’est bien que c’est là une gauche irresponsable, intersectionnelle, islamo-gauchiste, mais désirant en fait, en son for intérieur, l’arrivée de Marine Le Pen au pouvoir. Comprenne qui pourra : la macronie, qui fait la chasse aux islamo-gauchistes et aux intersectionnels dans les partis et les journaux de gauche, et jusque dans les universités, intime à ces mêmes islamo-gauchistes et intersectionnels supposés de voter Macron pour faire barrage à Marine Le Pen.

Bien plus, la macronie s’en prend désormais directement aux électeurs, accusés, à leur tour, d’être de misérables et lâches abstentionnistes. C’est pourtant une des lois de la politique depuis Machiavel : la conduite et le brio d’un prince qui, seul, de façon manœuvrière, décide de tout et en tout, et qui, lorsqu’il présente ses décisions rusées comme mues par l’intelligence du bien commun et la morale, ne peut pas ne pas faire que cette intelligence et cette bienveillance, ces leçons de morale, n’apparaissent comme une manière douce d’ignorer autrui et finalement de le mépriser.

D’autant plus si le prince, perdant toute sérénité face à un peuple qui n’entend céder, finit lui-même par céder aux injures de toutes sortes (« illettrés », « gens de rien », « rouges-bruns », « homophobes », « antisémites », « islamo-gauchistes », on n’en finirait pas de dresser la liste des injures proférées sous ce quinquennat). C’est une des dures lois de la politique : même pour les meilleures raisons du monde, on n’insulte pas les électeurs.

Clinton 2016, ou l’art de la lose

On peut le déplorer. Mais on peut aussi à peu près raisonnablement parier que les insultes et les leçons de morale que LREM prodigue aujourd’hui aux électeurs de gauche qui se refuseraient à voter à nouveau en faveur d’Emmanuel Macron auront sans doute, comme le « basket of deplorables » (« paquet de déplorables ») lancé par Hillary Clinton en 2016 aux abstentionnistes et aux électeurs de Trump, l’effet inverse de l’effet escompté. Clinton l’admettra du reste dans son livre intitulé What Happened, paru en 2017 : cette insulte faite aux électeurs a contribué à sa défaite. On pourrait, en ce sens, dire qu’à la stratégie du bras d’honneur de la candidate, a répondu une stratégie du bras d’honneur des électeurs. Et qu’Emmanuel Macron pourrait bien connaître la même et cuisante déconvenue.

On dira que la situation aux États-Unis en 2016 et la situation française actuelle sont fort différentes. Et qu’il faudrait plutôt comparer l’élection française de 2022 à l’élection américaine de 2020. Ce n’est pas faux, sauf que les différences joueraient plutôt en défaveur d’Emmanuel Macron. D’une part, Emmanuel Macron ne peut pas même espérer, comme l’a fait Joe Biden en faisant les gestes nécessaires à l’égard de Bernie Sanders, son adversaire à l’intérieur du parti démocrate, se rallier les électeurs d’un seul et même parti plus ou moins unifié. D’autant plus que LREM a, depuis 2017, largement dérivé sur sa droite. D’autre part, Emmanuel Macron, contrairement à Joe Biden ou même Hillary Clinton, entrera dans la course de 2022 en position de sortant.

Enfin, et plus profondément, Emmanuel Macron incarne à merveille, si l’on peut dire, cette stratégie de consensus au centre qui, depuis l’arrivée de Bill Clinton au pouvoir en 1993 jusqu’à la défaite d’Hillary Clinton en 2016 (et en Europe, les succès et les défaites de Tony Blair, puis la défaite de Lionel Jospin en 2002), a marqué la conversion d’une gauche d’établissement au néo-libéralisme et aux valeurs du néo-conservatisme. Or cette stratégie, parce qu’elle en nie les droits et la légitimité, radicalise et durcit les antagonismes politiques ; tolère très mal le pluralisme démocratique ; fraie et pave la voie, dans les consciences et les urnes, de l’autoritarisme. Et de fait, c’est le chantre de la modération, Le Monde, qui aura fait remarquer qu’Emmanuel Macron, pour capter le peu d’électorat modéré qui pourrait lui rester attaché, brutalisait et diabolisait ses oppositions.

Disons le nettement : si Emmanuel Macron apparaît aujourd’hui comme le pire candidat possible face à Marine Le Pen (et à supposer que les Français veuillent même, dans les sondages, de ce duel qui ressemble plus à un mauvais duo de pas de danse qu’autre chose, ce qui n’est pas avéré), il ne le doit, comme Hillary Clinton, qu’à lui-même.

Gildas Le Dem


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