26 août 2007 Jean Luc Mélenchon engage le débat avec Ségolène Royal sur Droits et Devoirs

jeudi 26 août 2021.
 

Le discours de Ségolène Royal à Melle ce 25 août délimite bien les sujets de désaccord d’analyse à gauche. Dans la mesure où il ne les esquive pas, il est utile et permet le débat.

Il reste à Ségolène Royal d’accepter qu’on la contredise sans prendre cela pour une attaque personnelle. Il lui reste à accepter de débattre sans se poser en victime. Le moment de l’explication de fond commence. Je souhaite qu’on n’en reste pas à des généralités et qu’elle accepte de dialoguer avec ceux qui ne sont pas de son avis à gauche et dans son propre parti.

Je commence donc. Je voulais évoquer ce qu’elle dit sur la place respective du marché et de l’Etat. Mais je décide d’aborder un thème plus difficile et le plus souvent laissé de côté. Celui du lien entre droits et devoirs qui est une constante de ses discours.

DROITS ET DEVOIRS

L’idée de mettre en regard droits et devoirs n’est pas nouvelle. Elle nourrit un débat aussi vieux que chacun de ces deux concepts. Les Lumières et la grande Révolution de 1789 y ont apporté une réponse qui est au fondement de l’ère moderne. Elles établissent qu’il existe des droits « naturels », c’est-à-dire liés à la condition humaine elle même. Ils sont déclarés "universels" c’est à dire qu’ils s’appliquent en tous lieux, toutes circonstances et à toute personne, quel que soit son sexe, son origine, sa couleur, sa condition sociale, son opinion, sa religion, sa nationalité, bref en dépit de toutes les différences individuelles, si essentielles qu’elles soient, dont aucune ne saurait fonder une "différence de droit". Enfin, ces droits sont inaliénables, c’est à dire incessibles, non négociables et opposables à toute restriction imposée par les circonstances, les rapports de force, les situations et même, dans certaines circonstances, aux lois elles-mêmes. La déclaration des droits de l’homme dit que les êtres humains "naissent libres et égaux en droits". Elle ne parle pas des devoirs qu’ils doivent en échange. Pourquoi ?

Les droits sans contrepartie

C’est parce que les droits fondamentaux ne peuvent pas être conditionnés par le respect de quelque devoir que ce soit. Ainsi le "droit à l’existence" est garanti même au pire criminel qui ne l’a pas lui même respecté, raison pour laquelle la peine de mort n’est plus appliquée dans les pays qui ont placé la déclaration des droits de l’homme et du citoyen au fondement de leur organisation politique.

Le seul devoir qu’un Etat laïque puisse imposer à tous les citoyens est celui d’obéir à la loi. Dans le cas où ce devoir n’est pas respecté, la violence de l’Etat contre le contrevenant (privation de liberté, peine financière et ainsi de suite), est considérée comme légitime et seulement dans ce cas.

Au-delà de cette définition commence le domaine de l’appréciation individuelle. Chacun peut évidemment se créer des devoirs et en proposer le respect autour de soi, notamment dans l’éducation de ses enfants.

Ces devoirs peuvent procéder d’autres exigences et injonctions. Par exemple elles peuvent être de type philosophiques ou religieux. Ou même tout simplement "coutumier" : céder sa place assise à une personne âgée ou à une femme enceinte dans un transport en commun, remercier les personnes qui vous rendent un service, voussoyer les personnes plus âgées que soi etc. Naturellement ces coutumes sont différentes d’un pays ou d’une culture à l’autre, et même entre les générations. Par exemple, aujourd’hui on parle ainsi beaucoup "d’incivilités" par référence au devoir de respecter certains usages de vie en société.

Mais si respectables qu’elles soient -mais parfois elles ne le sont pas- ces exigences morales ne sauraient être que personnelles. Elles peuvent être recommandées aux autres par le discours ou par l’exemple. Mais sans pouvoir jamais être imposées ni pouvoir justifier aucune violence pour qu’elles soient appliquées. Je pense que Ségolène Royal est souvent confuse sur ce point. Ainsi proposait-elle déjà de supprimer les allocations familiales « dès le premier acte d’incivilité » d’un des enfants d’une famille.

De plus, dans tous les cas, quelles que soient les règles morales que l’on s’impose, leur expression ou manifestation concrètes ne sauraient elles mêmes contrevenir à la loi. Ainsi à propos des Droits de l’enfant. Ils ne sont conditionnés par aucun devoir de leur part, pas même à l’égard de leurs propres parents ! Au contraire ceux-ci peuvent être poursuivis s’il est établi que leurs pratiques parentales sont contraires aux respects de ces droits. Et l’origine de la poursuite judiciaire peut être à l’initiative d’un tiers, sans aucun rapport de parenté, au seul motif du respect de la loi et de ces droits. C’est d’ailleurs ce qui se passe lorsqu’une personne est mise sous tutelle. Dans ce cas c’est la société elle-même qui se déclare garante des droits et intérêts d’une personne dont on juge qu’elle n’est plus en état de les faire valoir elle-même. Et ce droit est sans contrepartie de la part de la personne concernée comme cela va de soi.

L’idée que chaque droit serait "lié" au respect d’un devoir est donc d’abord une fausse évidence, un trompe l’oeil. Mais sa conséquence est grave.

L’illusion autoritaire du "donnant donnant"

S’il l’on admet qu’il y a des "devoirs" qui seraient liés à des droits et qui en en conditionneraient le respect, alors cela revient à substituer à une obligation universelle, une obligation seulement contractuelle (donnant-donnant). A première vue on peut trouver cette idée tout à fait évidente. On peut même la trouver juste. Pourquoi ? En raison même de notre pratique personnelle. La plupart d’entre nous observons toutes sortes de devoirs que nous enjoignent notre éducation et nos principes. Mais lier devoirs et droits dans l’ordre politique est une idée extrêmement dangereuse.

Car s’il est facile de savoir au nom de quoi et de qui un droit ou une obligation légale peut-être fixée - c’est-à-dire au nom de l’intérêt général tel que l’établit une assemblée délibérante - il en va tout autrement d’un devoir. Sur quel fondement sera-t-il établi ? L’intérêt général ? Mais alors cela s’appelle une loi et tout ce débat se résume à jouer avec les mots. S’il s’agit d’autre chose, alors c’est le fondement laïque de la société qui sera rapidement impliqué. C’est le droit à la liberté de conscience qui implique une libre appréciation de ses devoirs personnels qui sera concernée. Et même la liberté tout court telle que nous l’avons définie jusque là. En effet du point de vue de la société, de la communauté légale que forment les citoyens d’un même pays soumis aux même lois, il n’existe qu’un seul devoir imposé : celui d’obéir à la loi. Pour le reste nous sommes totalement libres d’agir comme bon nous semble. Cela signifie que notre liberté individuelle est définie comme le droit de faire absolument tout ce que la loi n’interdit pas. Et cette liberté est elle-même un droit fondamental sans contrepartie de devoirs.

J’estime que l’introduction de cette idée de devoirs dans le vocabulaire politique alors qu’il appartient au domaine privé de la réflexion morale n’éclaire pas du tout les problèmes auxquels sont confrontés les sociétés modernes qui cherchent à combiner libertés individuelles et libertés collectives. Il ne saurait y avoir d’autre obligation dans une société libre que le respect de la loi. D’où l’importance que celle-ci soit établie dans l’intérêt général et non au profit d’intérêts particuliers où sous la contrainte d’exigences morales ou religieuses qui sont par définition partiales et particulières à chacun des groupes humains qui s’en réclame.

BRUTAL ET ARCHAÏQUE

Lier droits et devoirs dans l’ordre politique ne peut conduire qu’à des aberrations quand on entre dans le domaine des droits fondamentaux. Ségolène Royal n’y échappe pas. Mieux, elle y plonge tête baissée. Ainsi à propos du droit à la santé. C’est frappant lorsqu’elle déclare : "Lorsque je suis soigné (je note que la version écrite du discours met le mot au masculin en bonne logique sexiste royaliste...) d’autres contribuent aux soins que je reçois. Alors il est normal que je rende des comptes, il est normal que je ne dise pas simplement « c’est mon droit »". On se demande naturellement quel compte il est question de rendre et à qui. Par exemple les malades du tabac ont-ils des droits moindres à être soignés parce qu’ils sont fumeurs ? Les alcooliques peuvent-ils encore prétendre à des soins alors qu’ils boivent librement ? Et les toxicomanes qui s’empoisonnent eux-mêmes ? Le droit à l’avortement est-il lié à l’observation de règles de comportements amoureux ? Les soins contre le Sida à l’observation de pratiques sexuelles protégées ?

On voit vite que le lien entre droit et devoir est l’antichambre d’un ordre (juste ?) « donnant-donnant » qui fait froid dans le dos ! Je suis donc en désaccord absolu avec la règle qu’elle énonce, quand elle dit « la complémentarité entre le collectif et l’individuel me permet de dire avec force qu’il n’y a pas de droits sans devoirs. Parce que chacun d’entre nous est comptable des moyens collectifs mis à sa disposition. Cet équilibre, la gauche a donné le sentiment qu’elle l’oubliait. Cela ne doit plus jamais arriver ». Je le répète : autant le devoir peut en effet s’imposer dans le domaine de la morale individuelle librement choisie et appliquée.... autant que possible (car énoncer qu’on observe une règle c’est précisément reconnaitre et donc admettre aussi qu’on soit tenté d’y déroger...) autant dans le domaine politique et de la vie de la cité, dans le domaine de la loi, le prétendu équilibre entre droits et devoirs peut déboucher sur un totalitarisme moral brutal et archaïque.


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