Discours de Ségolène Royal à Melle ce 25 août 2007 et critique par Jean-Luc Mélenchon

dimanche 26 août 2007.
 

"Une nouvelle étape dans la façon de penser et d’agir"

Merci pour ces retrouvailles, pour votre confiance, votre fidélité, votre engagement intact.

Certains se demandent pourquoi je prends la parole aujourd’hui à quelques jours de l’université d’été du parti socialiste. J’ai lu certains commentaires : lorsque que les socialistes se taisent, ils n’ont rien à dire, lorsqu’ils parlent, ils sont en compétition. Je vais vous faire une confidence : j’ai quelque chose à vous dire et je ne suis en compétition avec personne et ne recherche rien d’autre que d’assumer mes responsabilités dans le débat d’idées. De toute façon, c’est un travail collectif de longue haleine qui commence. Et, même, ce que je vais vous dire aujourd’hui est le fruit d’un travail collectif, c’est le début d’un processus au long cours.Comme je m’y étais engagée et forte ce que j’ai compris durant cette campagne, je commence aujourd’hui, comme viennent de le faire tous les amis qui se sont exprimés, à mettre ce que j’ai appris au service de tous les socialistes, simplement et sérieusement et, au-delà, de l’action au service de la France. Je souhaite aussi faire monter les nouvelles générations, renouveler celles et ceux qui participent au débat.

Je ne vais pas vous faire un grand discours grandiloquent, un discours de campagne, mais vous présenter quelques idées fortes en complément de ce qui a été dit tout à l’heure. J’ai retrouvé ici une ambiance de travail propice à la réflexion.

Cette réflexion devra déboucher sur une rénovation profonde de nos méthodes et de certaines de nos idées dans la fidélité à nos valeurs.

Je me sens entièrement mobilisée et animée d’une volonté très solide et du bonheur qui nous rassemble. Contrairement à ce que je lis ici ou là, je n’ai aucun esprit de rancune, de revanche, aucune amertume, y compris envers ceux dont la chaude affection littéraire m’entoure dans cette rentrée. Je ne suis animée que par une énergie positive, plus renforcée par les épreuves et les bonheurs vécus au cours de cette année écoulée.

Le renouveau, ce sera aussi une nouvelle manière pour nous les socialistes de travailler ensemble entre nous et une nouvelle manière de dialoguer avec les autres forces politiques parce que les besoins sont urgents et que les solutions ne peuvent pas attendre, que les Français sont impatients. Nous sommes aujourd’hui dans l’opposition mais ce qu’attendent de nous des millions de gens c’est que nous nous comportions comme si nous étions en responsabilité pour nous mettre, là où nous sommes, parti, parlement, syndicats, laboratoires, entreprises, associations, régions, départements communes, au service de la nécessaire transformation des structures économiques et sociales du pays en agissant pour que ces mutations indispensables et difficiles ne se fassent pas au profit de quelques-uns uns et aux dépends du plus grand nombre.

Nous devons avoir la même attitude intellectuelle que celle d’un chercheur devant un problème nouveau : modestie mais obstination, esprit de curiosité et d’inventivité, rassemblement des intelligences, invention de nouvelles façons de faire, de se parler et de réfléchir.

Quelques leçons de l’élection présidentielle

L’élection présidentielle nous a fourni des leçons précieuses. Je ne serai pas exhaustive ici, bien sûr, ce serait trop long.

Tout d’abord, quelle année riche d’expériences, de rencontres, d’espérances, avec ses joies et bien sûr ses peines, sa déception dans le résultat mais quelle année formatrice pour les prochaines batailles et nos prochaines victoires !

Qu’avons-nous fait ensemble ?

A la fin de ces campagnes présidentielle et législative, nous avons commencé à inventer le socialisme du 21ème siècle, nous avons fait vivre à une échelle inédite et avec intensité, cette démocratie qui rend aux Français la parole et, avec elle, le pouvoir de proposer et de peser.

Nous avons redonné à nos concitoyens le goût de la chose publique et du débat politique, et notamment aux jeunes.

Nous n’avons abandonné à la droite aucun terrain, car il n’y a pas des sujets de gauche et des sujets de droite mais des problèmes que vivent les Français, notamment la baisse du pouvoir d’achat en cette rentrée. Par contre, il y a des manières de gauche et des manières de droite d’apporter des réponses à ces problèmes et aussi des dépassements et des convergences au-delà de l’affrontement bloc contre bloc.

Nous avons rencontré tant de gens dans tout le pays qui ont soif de progrès.

Tant de gens qui refusent l’assistanat mais veulent des solidarités vraies, efficaces, respectueuses de la dignité due à chacun.

Et pourtant, nous avons perdu.

Pourquoi ?

Il y a, en effet, parmi d’autres raisons, deux chantiers essentiels que nous n’avons pas eu le temps de conduire à leur terme et pour lesquels il faut reprendre l’ouvrage :

* actualiser complètement nos réponses, nos propositions pour qu’elles soient en prise directe sur la société et les attentes d’aujourd’hui. Il nous faut voir le monde tel qu’il est et moi-même je l’avoue, j’ai parfois improvisé à cause du temps qui était compté.Mais regarder les choses en face ne suffit pas : il nous faut aussi être inventifs, créatifs, ne pas déplorer ce qui n’est plus : repérer et comprendre les prémisses d’autres possibles, penser les menaces mais aussi les opportunités nouvelles du monde d’aujourd’hui, pour mieux protéger de ses risques et se saisir de ses chances.

* le temps nous a aussi manqué collectivement pour nous organiser en un grand parti moderne, portes et fenêtres largement ouvertes sur la société, efficace, tirant dans le même sens, mobilisant au mieux les réserves d’intelligence collective et d’engagement de ses militants et de ses sympathisants dont j’ai pris la mesure pendant cette campagne. Un grand parti moderne qui prenne pleinement appui sur cette force de propositions dont les milliers de contributions ont montré la richesse, de l’entreprise à l’école en passant par l’excellence écologique, le logement, les retraites et tous ces grands chantiers que nous allons prendre à bras le corps en partant d’une analyse sans œillères des choses telles qu’elles sont et des attentes fondamentales que partagent les Français quels qu’aient été leurs votes.

La bonne nouvelle = ce temps qui nous a manqué, nous allons le prendre.

Je vous en fais la promesse.

Et nous achèverons le travail.

Collectivement. Fraternellement. Obstinément. Et surtout, tous ensemble.

Mais ce que nous avons été nombreux, dans les étapes, à voir c’est qu’il faut se méfier des faux débats qui déconcertent nos électeurs. Je prendrai deux exemples. Le marché et la place de l’individu dans notre société.

Est-on pour ou contre le marché ? Question singulière pour un parti qui ne professe plus depuis bien longtemps l’étatisation des moyens de production.

Le marché nous est aussi naturel que l’air que l’on respire ou que l’eau que l’on boit. Il s’agit là d’un jeu d’enfoncement de portes ouvertes. Mais l’eau peut être polluée et l’air vicié et c’est là que le débat politique trouve sa pertinence.

Nous inscrivons bien évidement notre action dans le cadre des économies de marché et s’il faut l’écrire, écrivons-le une fois pour toutes. Mais nous ne faisons pas confiance au marché pour assurer la justice sociale et la cohésion démocratique des sociétés, et s’il faut le dire disons-le. Le marché se dirige spontanément vers là où il y a du pouvoir d’achat. Il n’est pas, contrairement à une gentille comptine des théoriciens libéraux, lucides sur les nouvelles demandes sociales, les souffrances, les carences. Il s’y engouffrera quand l’action politique et les évolutions de la société auront créé le mouvement et le mouvement, le besoin. Par exemple, l’industrie pharmaceutique et l’industrie du tourisme ont connu hier un boom grâce aux lois sur les congés payés et la sécurité sociale. Cette même logique se vérifiera demain avec la sécurité environnementale. Le marché doit avoir sa place, toute sa place, rien que sa place. Les socialistes allemands ont une devise, le marché chaque fois que cela est possible, l’Etat chaque fois que cela est nécessaire. Nous, socialistes français, nous pouvons y ajouter la juste place des services publics.

Je suis convaincue qu’un Etat et des collectivités locales en symbiose avec la société sont la canne d’aveugle du marché. Ce qui veut dire des pouvoirs publics performants et une société agissante, participative, et par-dessus le marché une économie dynamique.

Seconde leçon et autre faux débat,l’individualisme.

Nous, socialistes, ne serions pas au clair quant à la place de l’individu. Je suis assez sidérée que nous ayons peur de l’affirmation de l’individu qui est dans nos textes juridiques fondateurs celle de la personne humaine. Depuis l’Habeas corpus, la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la convention européenne des droits de l’homme, la liberté de conscience et d’expression de chaque être humain, et je n’oublie pas les droits de la femme et de l’enfant, tout le progrès de la civilisation fut d’attribuer des droits nouveaux à chaque humain : le droit à un travail, à une famille à un logement, au savoir, à la santé. Le rôle éminent de l’individu a commencé là et soyons en fiers d’y avoir contribué.

Notre objectif est donc de favoriser le plein épanouissement de chacun et nous sommes de gauche précisément en ce que nous affirmons que chacun recèle des talents propres et que chaque être humain est singulier dans l’humanité plurielle.

La confusion réside ailleurs. Cette charge contre l’individualisme révèle notre difficulté à élaborer des formes nouvelles et adaptées de délibération collective.

Nos concitoyens sont informés et ils demandent encore plus d’information, ils cherchent les lieux de confrontation, comment prétendre le contraire après ce que nous avons vécu durant la campagne présidentielle ?

La Parti Socialiste du 21ème siècle doit être à la fois un lieu de connaissance, un lieu de délibération, d’élaboration, enfin un outil de combat collectif. Il ne peut l’être que s’il vit en osmose avec les citoyens dont il est une des représentations.

Ses réunions doivent être ouvertes, les mouvements de société doivent lui être associés, les forums doivent nourrir ses propositions en amont, l’usage d’Internet doivent lui permettre d’être en contact quotidien avec ses millions d’électeurs.

Nos congrès doivent obéir à cette nouvelle logique. Plutôt que d’être le camp clos d’affrontements parfois obscurs, les positions des uns et des autres doivent avoir été validées par des débats qui leur donneront leur légitimité. Il faut que notre fonctionnement favorise les vrais débats et pas la prolifération des motions qui donnent souvent lieu à des règlements de compte inutilement brutaux suivis de synthèse parfaitement illisibles. Les Français se détournent de cette manière de faire de la politique. Ils sont au-delà et pas en deçà, Ne nous y trompons pas ce malentendu sera fatal au Ps s’il n’est pas levé, et vite.

Enfin, si nous sommes ensemble, c’est pour ne pas se désunir à la première contrariété d’ambitions. Notre nouveau fonctionnement devra être clair là dessus aussi.

Ceci signifie que la vie interne doit tenir compte des échéances institutionnelles. Le programme ne doit pas être un programme de tactique interne mais un programme pour convaincre et gagner et pour faire progresser notre pays en réhabilitant justice et efficacité.

Le Parti socialiste est un grand parti, mais c’est aussi aujourd’hui un parti qui doute. C’est fructueux, le doute, c’est se poser des questions sur ce que l’on est, sur ce que l’on pense. C’est un mouvement nécessaire, je dirai même salutaire : car j’y vois la marque de ceux qui savent se mettre en question pour avancer.

On nous dit que la gauche dans son ensemble est aujourd’hui affaiblie par une accusation à laquelle elle n’a pas répondu avec suffisamment de force.

La gauche est suspectée de faire du collectif la mesure de toute chose. Accusée de faire des situations individuelles le seul résultat d’inerties sociales, de reproductions.

Suspectée de déresponsabiliser nos concitoyens, aussi, et de ne parler que de droits, quand il faudrait parler de devoirs et de contreparties.

Accusée d’oublier la flamme qui anime tous ceux qui, chaque matin, se rendent à leur travail pour nourrir leur famille et se bâtir une vie digne.

Nous ne devons pas seulement répondre à cette suspicion, mais reprendre l’offensive parce que c’est seule une bonne articulation de l’individuel et du collectif qui permettra d’affronter les mutations du monde et les légitimes aspirations à la réussite individuelle.

Etre socialiste, c’est penser en effet que le collectif vient en soutien de chaque foyer, de chaque personne insuffisamment armée pour affronter les difficultés de la vie.

Etre socialiste, ce n’est donc pas nier le potentiel de l’individu mais comprendre que l’individu isolé est faible, que sa volonté, aussi forte soit-elle est parfois insuffisante.

Etre socialiste, c’est faire en sorte que chacun bénéficie de garanties collectives pour retremper ses ambitions et se créer de nouvelles opportunités.

Etre socialiste, finalement, c’est penser la complémentarité profonde qui existe entre l’individu et la société et refuser l’opposition caricaturale que certains en font.

Une sécurité sociale efficace, des services collectifs dans tous les territoires, une école et une formation dignes de ce nom, un accompagnement personnalisé vers l’emploi, c’est cela qui, pour nous à gauche, permet aux individus d’affirmer leurs choix et leur liberté, de s’affranchir d’un destin tracé d’avance.

Aujourd’hui, c’est l’idéal socialiste qui est au service du progrès de chaque personne, de toutes les femmes et de tous les hommes de ce pays. Et c’est la droite, qui tout en mettant en avant la responsabilité et la liberté de chacun, dissimule son engagement au côté des réseaux, des rentiers, des gens de pouvoir et d’influence.

La complémentarité entre le collectif et l’individuel me permet de dire avec force qu’il n’y a pas de droits sans devoirs. Parce que chacun d’entre nous est comptable des moyens collectifs mis à sa disposition. Cet équilibre, la gauche a donné le sentiment qu’elle l’oubliait. Cela ne doit plus jamais arriver.

Je pense également que la notion de responsabilité est fondamentale. Et nous autres, socialistes, ne devons pas avoir peur de le dire car cette éthique de la responsabilité est ancrée au plus profond de notre patrimoine, chez Jean Jaurès comme chez Léon Blum.

La responsabilité de chacun vient du fait que nous vivons dans une communauté de citoyens. Lorsque je suis soigné, d’autres contribuent aux soins que je reçois. Alors il est normal que je rende des comptes, il est normal que je ne dise pas simplement « c’est mon droit ».

C’est cette conviction aussi qui nous conduit à souhaiter un Etat performant, capable de faire une juste utilisation des deniers publics. L’Etat ne peut pas se permettre de dilapider l’argent des impôts de manière inconsidérée ; l’Etat a le devoir à chaque instant d’évaluer son action.

Vous l’avez compris, équilibre des droits et des devoirs, éthique de la responsabilité, efficacité de l’action publique, autant de valeurs que la gauche et le Parti socialiste doivent à nouveau faire entendre, approfondir, et accompagner de propositions innovantes. Cette liste n’est pas exhaustive, car il y aurait plein d’autres sujets à évoquer à l’échelle nationale comme internationale. A commencer bien sûr par celle, majeure à mes yeux, de l’excellence écologique, que j’aborderai dans quelques jours, notamment à l’Université d’été de La Rochelle.

Et que dire aujourd’hui de la politique conduite dans le pays sans caricaturer le pouvoir. Je crois que la nouvelle politique à gauche doit reconnaître qu’il y a dans ce nouveau pouvoir une sincère volonté de réforme, un mouvement même frénétique, une réactivité du chef de l’Etat et qu’aujourd’hui la majorité de nos concitoyens le reconnaissent.

Mais annoncer la réforme, ce n’est pas l’accomplir et c’est ce que là que la critique est légitime et que pour aider à faire avancer la France, nous devons dire ce qui ne va pas et proposer les réformes de bon sens, dans le parti, à l’Assemblée nationale et au Sénat.

Et paradoxalement, face à ce mouvement perpétuel, ce qui menace la France aujourd’hui, en plus des injustices fiscales, du nouvel impôt en préparation, c’est l’immobilisme. De vieilles méthodes ressurgissent : empilement de lois, mis en place de commissions tous azimuts. La dernière en date, la commission Attali sur les freins à la croissance, fait suite à une commission Camdessus sur le même sujet de 2004 qui proposait au ministre des finances de l’époque Nicolas Sarkozy, 110 propositions pour lever les freins à la croissance.

Ce n’est pas une bonne gouvernance. Notre pays prend du retard.

Prenons trois exemples : sur la justice on aggrave les peines sur les récidives. On froisse au passage quelques principes mais surtout on ne donne pas plus de moyens au juge pour suivre l’application des peines et surtout on n’a pas les moyens d’augmenter la place et les conditions de dignité humaine dans les prisons. Le nombre de personnels soignants est notoirement insuffisant en prison.

Nous en sommes au moins à six lois, peu ou pas évaluées. Et toutes vouées à l’échec par défaut de moyens.

Il est temps de rompre avec ce cycle infernal de lois sans moyens qui ne protègent pas les victimes et qui à la fin décrédibilise et ignore tous les rapports déjà rendus sur ce sujet dont le dernier en acte, celui de la commission Robert, recommande des moyens humains nouveaux et surtout pas de lois nouvelles.

Autre exemple, un premier pas a été fait sur l’autonomie des universités qui est une bonne chose en soi. Seulement cette autonomie ne peut marcher qu’à deux conditions. Première condition c’est que les décisions des présidents d’universités ne soient pas discrétionnaires.

Mais surtout, l’autonomie ne conduit à l’excellence que si elle en a des moyens. La loi est muette sur ce point. Le problème des 40% d’échec en premier cycle n’a pas été pris à bras le corps. On est au milieu du gué.

Autre exemple encore, au lieu de polémiquer sur la question du service minimum, il faudrait s’occuper des retards dans les transports qui constituent les principales nuisances pour le quotidien des usagers et des familles.

Au lieu de faire, allons, disons-le, une loi sans effet pour faire plaisir à son électorat, on aurait pu utilement s’inspirer de la RATP où les syndicats et la direction ont trouvé une forme tout à fait moderne et adapté d’anticipation des conflits.

Se trouve posée la question de la morale de l’action politique : ne plus faire croire par des annonces ou des lois que les problèmes sont réglés, car l’exaspération populaire pourrait venir plus vite que prévu.

La croissance ne sera pas au rendez-vous sans les réformes indispensables qui permettraient de muscler notre appareil productif. Sans ces réformes, les facilités fiscales d’aujourd’hui seront lourdement compensées demain. Et les plus fragiles d’aujourd’hui seront plus exposés demain et les familles à revenu moyen seront ceux qui paieront la facture de la croissance non retrouvée.

Nos inquiétudes sur la mauvaise utilisation des fonds publics sont attisées par la crise boursière et les mauvaises performances de croissance du mois dernier. D’ailleurs le gouvernement est en train d’étudier la création d’un nouvel impôt, qui n’était pas au programme la TVA sociale. Finalement ce paquet fiscal, qui est déjà incompris de nos partenaires européens, le sera encore moins demain des Français. Je demande, et c’est bien le minimum, que le gouvernement procède à une évaluation loyale et transparente devant les Français, du double impact de la crise financière et du paquet fiscal.

Quel est le bilan aujourd’hui de la politique conduite ? On donne beaucoup à ceux qui ont beaucoup, un peu à ceux qui ont un peu et rien à ceux qui n’ont rien. Surtout, c’est une politique qui, pour l’instant, ne prépare pas la France et les Français à relever le défi de la croissance et de la mondialisation.

- Quelle est la réalité de notre situation économique ? Nous sommes lourdement endettés : plus de 20 000€ par Français. Et en même temps nous devrions investir dans l’avenir, justement pour générer la croissance qui nous permettra entre autre de rétablir l’équilibre de nos comptes.

La France doit investir en priorité dans l’enseignement supérieur et la recherche. En dépit de nombreux atouts (un excellent système de formation primaire et secondaire, une sécurité sociale que le monde nous envie), la France est en effet mal préparée pour affronter les défis de l’économie de la connaissance et de la mondialisation. Un chiffre seulement résume tout : nous investissons chaque année moins de 1% du PIB dans l’enseignement supérieur, alors que les pays d’Europe du Nord et les Etats-Unis investissent près de trois points de PIB, soit trois fois plus !

Ensuite, la France doit investir dans les réformes structurelles : ouvrir les professions fermées, libéraliser le secteur de la distribution, établir un véritable « Small business act » pour les PME, mettre en place une véritable flexsécurité à la française avec un service de l’emploi efficace disposant des moyens nécessaires en matière de formation professionnelle : ces réformes sont coûteuses dans le court terme, on le sait, et pourtant indispensables pour générer une croissance forte et durable.

- Dans ces conditions, les responsables politiques doivent fixer des priorités, et expliquer aux Français qu’il n’est pas possible de tout faire en même temps. En tant que femme politique responsable, je veux dire qu’il n’est pas raisonnable de promettre aujourd’hui des baisses massives de prélèvements obligatoires. Tant qu’on n’a pas dit comment on allait régler le problème de la dette et surtout quand on sait que le gouvernement met à l’étude un nouvel impôt, la TVA sociale.

Surtout, on le sait, il faut affecter l’intégralité des ressources à ce qui relance la croissance en dynamisant tous les secteurs de l’économie. Croissance par l’investissement dans l’enseignement supérieur, la formation professionnelle, la recherche et l’innovation. Pour préparer les salariés et les nouvelles générations à relever les défis de la mondialisation, je veux que les salariés français soient les mieux formés et les plus productifs du monde. Et pour cela il faut tenir au pays un discours de vérité.

La croissance, comme le disent tous les économistes, les experts et les chefs d’entreprises, cela nécessite le pilotage sérieux de réformes sérieuses. Il faut préparer un véritable agenda des reformes, avec un calendrier précis des dépenses sur les différents secteurs. Il faut être très clair sur ce qu’on peut et ce qu’on ne peut pas financer à chaque étape. C’est cela qui redonnera à la France sa crédibilité économique auprès de ses partenaires européens, crédibilité qui nous fait cruellement défaut. C’est cela aussi respecter les Français.

- Or, le pouvoir actuel n’a t-il pas fait tout le contraire d’une politique sérieuse ? Il a distribué sans compter des cadeaux fiscaux pour des montants considérables : au total plus de 15 milliards d’euros en année pleine pour le paquet fiscal, soit l’équivalent d’une hausse de deux points de TVA sans avouer qu’en l’absence de croissance forte ces décisions vont conduire inexorablement à des dépenses injustes : de nouvelles franchises médicales, le projet de création d’une TVA dite sociale, un alourdissement de la dette, et l’impossibilité de financer des réformes de croissance véritables, celles que plusieurs de nos voisins européens ont entreprises. Un système dangereux est à l’œuvre pour notre économie. Surtout, les nouvelles dépenses de 15 milliards ne sont pas des investissements d’avenir. Croit-on vraiment préparer les Français à relever les défis de la mondialisation en dépensant des sommes importantes uniquement sur les heures supplémentaires ?

En revanche, et comme nous l’avions proposé, le renforcement du crédit d’impôt recherche annoncé hier va dans la bonne direction.

La politique étrangère soulève aujourd’hui beaucoup de questions.

La France se distinguait par une certaine cohérence de sa diplomatie. Quel spectacle donne-t-elle depuis deux mois ? En Afrique celle d’un président qui donne au Sénégal des leçons de gouvernance à l’Afrique et qui ose tenir des propos humiliants « l’homme africain qui aurait manqué son rendez-vous avec l’histoire » et qui, le lendemain, s’affiche au Gabon avec un chef d’Etat, archétype d’une vieille histoire. Où est la cohérence, où est le message, où est la dignité ?

Les Etats-Unis. Voilà un pays qui est touché par une crise d’identité, qui se cherche un rôle dans l’après guerre froide. L’Amérique est impliquée dans une remise en cause profonde de sa politique étrangère et nul ne peut ignorer le remarquable rapport James Baker, qui prône une nouvelle approche basée sur le dialogue plutôt que sur le rapport de force militaire. Le doute traverse le parti républicain lui-même et le peuple américain a validé cette nouvelle approche lors des élections au congrès et la présidence de Nancy Pelosi dont chacun se souvient des positions fermes et courageuses. A contre-courant de ce formidable mouvement, pourquoi le président de la République française s’est-il cru obligé de rencontrer le seul Georges bush et ensuite de dépêcher son ministre des affaires Etrangères dans une visite en Irak, si peu préparée, qu’elle n’a été saluée que par George Bush et que la proposition de conférence a été sèchement refusée par le gouvernement irakien. Où est la cohérence, où est le message, où est la dignité ?

Au même moment, nous constatons que Gordon Brown se démarque habilement et sans esbroufe de la politique néo-conservatrice de l’administration Bush.

Le monde attend autre chose de la France et je suis sûre que tôt ou tard les Français demanderont autre chose à leurs gouvernants. Cela m’amène naturellement à parler du renouveau de la gauche et de notre idéal socialiste.

Nous avons un travail politique passionnant à accomplir, parce que nous croyons à notre mission et que nous devons comprendre la France et le monde.

Le parti socialiste est à la fois un lieu de connaissance, de délibération, un laboratoire d’idées, enfin un outil de combats collectifs. Il le sera complètement s’il vit en osmose avec les citoyens dont il procède. Ses réunions doivent être ouvertes, les mouvements de société doivent être associés aux solutions qu’il élabore, les débats doivent nourrir ses propositions en amont, l’usage d’internet doivent lui permettre d’être au contact quotidien avec des millions de citoyens, pour faire partager son travail et ses valeurs. La participation massive de jeunes citoyens à l’élection présidentielle ou d’électeurs qui s’en étaient détournés constitue une injonction à changer à laquelle nous ne pouvons plus dorénavant nous dérober. C’est par centaines de milliers que ces électeurs qui ont partagé notre espérance doivent nous rejoindre car nous avons besoin d’eux pour accomplir la transformation nécessaire.

A ceux qui y verraient une utopie, je rappellerai que des centaines de milliers d’adhérents, c’est le droit commun des grands partis socialistes et socio-démocrates en Europe. Un parti rénové devra le permettre. C’est le défi de la rénovation. Au-delà de toutes les qualités du parti socialiste où nous nous sentons bien, de ses militants et de ses cadres, de ses dirigeants, dont je veux ici une nouvelle fois souligner avec force, l’incroyable, l’exceptionnelle, la fabuleuse mobilisation pendant la campagne.

Au-delà de toutes ces qualités, qu’est-ce qui ne peut plus durer au parti socialiste ?

* les champs clos d’affrontements obscurs

* des règlements de compte inutilement brutaux

* une violence verbale incompatible avec l’idéal socialiste

* parfois de la désinvolture alors que le vote des militants devrait être respecté par tous

* des luttes de place et de courants qui étouffent le débat d’idées et qui assèchent les sections.

On pourrait continuer longtemps la liste de ce dont nous sommes collectivement responsables. Constatons le gâchis de talent qui n’est plus possible face à une alternance. Le renouveau du parti socialiste doit aussi conjuguer efficacité politique, éthique du débat et des comportements.

Je n’hésite pas à le dire : il faut un parti réuni, amical et discipliné. Les phrases désobligeantes, outre leur vulgarité, font un mal terrible à l’œuvre collective. Changer de méthode, c’est ce qui fera aussi la crédibilité des propositions des socialistes car les Français sauront sur quoi ils peuvent compter.

De la qualité de notre rénovation dépendra celle de notre inscription dans la vie politique nationale.

Je vous appelle tous et toutes à vous emparer de ces débats qui s’ouvrent. J’appelle le plus grand nombre de citoyens à nous rejoindre et à tous les adhérents de Désirs d’Avenir à venir au PS. Je souhaite que tous les mouvements et sensibilités de progrès y soient associés le plus tôt possible. Les socialistes ne doivent pas rester entre eux. Nous avons vocation par la dynamique des débats au service des problèmes des gens que nous impulseront à favoriser les convergences de toute la gauche, des communistes, des radicaux, des écologistes et, s’il le souhaite, avec le Modem. Notre stratégie de projets municipaux doit être cohérente et éclairée par nos débats d’idées nationaux. Sinon, nos alliances seront indéchiffrables et il y aurait un risque évident de dispersion du parti.

Il y a une urgence de réforme. Oui, à droite, il y a non seulement des injustices qui se creusent, il y a un risque d’immobilisme. Nicolas Sarkozy et son gouvernement, au-delà des annonces et des lois sans moyens, doivent maintenant prendre leurs responsabilités et réformer en profondeur pour faire revenir la croissance. Le rôle de la gauche c’est de pousser à agir et dans le bon sens sans tarder. D’où l’urgence de définir une stratégie, de mettre en oeuvre de nouvelles formes d’organisation et d‘action et d’imposer nos idées et nos propositions dans le débat public. Elles s’imposeront par leur excellence d’autant plus naturellement qu’auront été mobilisées les plus grandes compétences et qu’elles auront été validées par le plus grand nombre.

Nous avons tous été témoins de l’immense désir d’avancer des Français. Ce pays est prêt pour les réformes mais sans celles-ci, il régressera très rapidement à l’échelle planétaire car d’autres pays et d’autres continents vont de l’avant et nous dépassent. La mission historique de la gauche et des socialistes, c’est de moderniser la France à la lumière de la justice et du progrès et d’être la voix de ceux qui n’ont pas de voix.

C’est pour cela qu’il faut être debout, être le lieu où convergent, avec bonheur et fraternité, toutes les intelligences collectives et continuer à se battre ensemble.

2) J’ai écouté le discours de Ségolène Royal à Melle

Le discours de Ségolène Royal à Melle a ouvert la rentrée des socialistes. Il propose une critique de la droite qui est une participation attendue au débat public.

Mais il n’en reste pas moins surprenant dans sa forme et assez déroutant sur le fond des nouveautés idéologiques qu’il avance.

C’est pourquoi il lance des débats refondateurs.

Surprenant ? Oui. Car il n’est pas banal d’entendre un discours de gauche dans de telles circonstances solennelles sans un mot concret sur les questions sociales qui percutent l’actualité des salariés. Surtout quand le nouveau pouvoir s’y attaque au cours de ses cent premiers jours d’une façon aussi spectaculaire. Dès lors on peut se demander de quoi il est question quand elle évoque "au delà des affrontements bloc contre bloc, des dépassements et des convergences".. On peut aussi se demander en quoi consiste le "risque de l’immobilisme " et craindre que la dénonciation du fait que "l’annonce de la réforme ce n’est pas l’accomplir" soit compris davantage comme un encouragement que comme une condamnation des mesures prises, qu’il s’agisse de la répression de la récidive ou de l’autonomie des universités. Surtout quand il est assorti d’une invitation à ne pas " caricaturer dans la critique" qui sonne comme un désaveu injuste pour ceux qui se sont exprimé jusque là à gauche.

Surprenant enfin parce qu’il est cocasse d’expliquer la défaite électorale par le fait que l’opinion des électeurs aurait été perturbée par un débat mal compris sur l’individu et le collectif, les droits et les devoirs, l’État et le marché ou par la forme d’organisation du Parti Socialiste....

Tout cela est assez irréel et passe à côté du reproche essentiel qui lui a été adressé : n’avoir pas obligé Sarkozy au débat sur le contenu de son programme social et n’avoir pas défendu notamment les augmentations de salaires ou la réduction du temps de travail auquel elle a affirmé ne pas croire elle-même ! Ce discours ne répond donc à aucun des arguments sérieux et argumentés qui ont été présentés par de nombreux socialistes.

Le fond déroutant ? Bien sûr. On retrouve en condensé dans ce discours tout ce dont mon livre (« Enquête de gauche » à paraître le 28 août édition Balland) a établi l’origine politique dans le courant « Démocrate » américain et blairiste.

On y entend une apologie sans précédent du marché "état naturel" de la société. On y trouve aussi un discours consternant sur les droits conditionnés par le respect de devoirs. Sur ce point on découvre la profondeur de la dérive à laquelle conduit cette théorie quand elle l’applique elle-même à des question aussi lourdes que le droit à la santé.

Je veux relèver enfin le refus du système des alliances à la carte pour les prochaines éléctions municipales. Je le partage totalement. Je note qu’il ne s’accompagne d’aucune invite à propos du Modem dont elle avait souhaité l’alliance à élection présidentielle et que mentionnait pourtant la version écrite de son discours. Ce point reste à clarifier donc.

J’estime que le discours de Ségolène Royal délimite bien les sujets de désaccord d’analyse à gauche. Dans la mesure où il n’esquive pas avec eux il est utile et permet le débat. Il lui reste à accepter qu’on la contredise sans prendre cela pour une attaque personnelle. Il lui reste à accepter de débattre sans se poser en victime. Le moment de l’explication de fond commence. Je souhaite qu’on n’en reste pas à des généralités et qu’elle accepte de dialoguer avec ceux qui ne sont pas de son avis à gauche et dans son propre parti.

Je commence donc. Je voulais évoquer ce qu’elle dit sur la place respective du marché et de l’Etat. Mais je décide d’aborder un thème plus difficile et le plus souvent laissé de côté. Celui du lien entre droits et devoirs qui est une constante de ses discours.

DROITS ET DEVOIRS

L’idée de mettre en regard droits et devoirs n’est pas nouvelle. Elle nourrit un débat aussi vieux que chacun de ces deux concepts. Les Lumières et la grande Révolution de 1789 y ont apporté une réponse qui est au fondement de l’ère moderne. Elles établissent qu’il existe des droits « naturels », c’est-à-dire liés à la condition humaine elle même. Ils sont déclarés "universels" c’est à dire qu’ils s’appliquent en tous lieux, toutes circonstances et à toute personne, quelque soit son sexe, son origine, sa couleur, sa condition sociale, son opinion, sa religion, sa nationalité, bref en dépit de toutes les différences individuelles, si essentielles qu’elles soient, dont aucune ne saurait fonder une "différence de droit". Enfin ces droits sont inaliénables, c’est à dire incessibles, non négociables et opposables à toute restriction imposée par les circonstances, les rapports de force, les situations et même, dans certaines circonstances, aux lois elles-mêmes. La déclaration des droits de l’homme dit que les êtres humains "naissent libres et égaux en droits". Elle ne parle pas des devoirs qu’ils doivent en échange. Pourquoi ?

Les droits sans contrepartie

C’est parce que les droits fondamentaux ne peuvent pas être conditionnés par le respect de quelque devoir que ce soit. Ainsi le "droit à l’existence" est garanti même au pire criminel qui ne l’a pas lui même respecté, raison pour laquelle la peine de mort n’est plus appliquée dans les pays qui ont placé la déclaration des droits de l’homme et du citoyen au fondement de leur organisation politique.

Le seul devoir qu’un Etat laïque puisse imposer à tous les citoyens est celui d’obéir à la loi. Dans le cas où ce devoir n’est pas respecté, la violence de l’Etat contre le contrevenant (privation de liberté, peine financière et ainsi de suite), est considérée comme légitime et seulement dans ce cas.

Au-delà de cette définition commence le domaine de l’appréciation individuelle. Chacun peut évidemment se créer des devoirs et en proposer le respect autour de soi, notamment dans l’éducation de ses enfants.

Ces devoirs peuvent procéder d’autres exigences et injonctions. Par exemple elles peuvent être de type philosophiques ou religieux. Ou même tout simplement "coutumier" : céder sa place assise à une personne âgée ou à une femme enceinte dans un transport en commun, remercier les personnes qui vous rendent un service, voussoyer les personnes plus âgées que soi etc. Naturellement ces coutumes sont différentes d’un pays ou d’une culture à l’autre, et même entre les générations. Par exemple, aujourd’hui on parle ainsi beaucoup "d’incivilités" par référence au devoir de respecter certains usages de vie en société.

Mais si respectables qu’elles soient -mais parfois elles ne le sont pas- ces exigences morales ne sauraient être que personnelles. Elles peuvent être recommandées aux autres par le discours ou par l’exemple. Mais sans pouvoir jamais être imposées ni pouvoir justifier aucune violence pour qu’elles soient appliquées. Je pense que Ségolène Royal est souvent confuse sur ce point. Ainsi proposait-elle déjà de supprimer les allocations familiales « dès le premier acte d’incivilité » d’un des enfants d’une famille.

De plus, dans tous les cas, quelles que soient les règles morales que l’on s’impose, leur expression ou manifestation concrètes ne sauraient elles mêmes contrevenir à la loi. Ainsi à propos des Droits de l’enfant. Ils ne sont conditionnés par aucun devoir de leur part, pas même à l’égard de leurs propres parents ! Au contraire ceux-ci peuvent être poursuivis s’il est établi que leurs pratiques parentales sont contraires aux respects de ces droits. Et l’origine de la poursuite judiciaire peut être à l’initiative d’un tiers, sans aucun rapport de parenté, au seul motif du respect de la loi et de ces droits. C’est d’ailleurs ce qui se passe lorsqu’une personne est mise sous tutelle. Dans ce cas c’est la société elle-même qui se déclare garante des droits et intérêts d’une personne dont on juge qu’elle n’est plus en état de les faire valoir elle-même. Et ce droit est sans contrepartie de la part de la personne concernée comme cela va de soi.

L’idée que chaque droit serait "lié" au respect d’un devoir est donc d’abord une fausse évidence, un trompe l’oeil. Mais sa conséquence est grave.

L’illusion autoritaire du "donnant donnant"

S’il l’on admet qu’il y a des "devoirs" qui seraient liés à des droits et qui en en conditionneraient le respect, alors cela revient à substituer à une obligation universelle, une obligation seulement contractuelle (donnant-donnant). A première vue on peut trouver cette idée tout à fait évidente. On peut même la trouver juste. Pourquoi ? En raison même de notre pratique personnelle. La plupart d’entre nous observons toutes sortes de devoirs que nous enjoignent notre éducation et nos principes. Mais lier devoirs et droits dans l’ordre politique est une idée extrêmement dangereuse.

Car s’il est facile de savoir au nom de quoi et de qui un droit ou une obligation légale peut-être fixée - c’est-à-dire au nom de l’intérêt général tel que l’établit une assemblée délibérante - il en va tout autrement d’un devoir. Sur quel fondement sera-t-il établi ? L’intérêt général ? Mais alors cela s’appelle une loi et tout ce débat se résume à jouer avec les mots. S’il s’agit d’autre chose, alors c’est le fondement laïque de la société qui sera rapidement impliqué. C’est le droit à la liberté de conscience qui implique une libre appréciation de ses devoirs personnels qui sera concernée. Et même la liberté tout court telle que nous l’avons définie jusque là. En effet du point de vue de la société, de la communauté légale que forment les citoyens d’un même pays soumis aux même lois, il n’existe qu’un seul devoir imposé : celui d’obéir à la loi. Pour le reste nous sommes totalement libres d’agir comme bon nous semble. Cela signifie que notre liberté individuelle est définie comme le droit de faire absolument tout ce que la loi n’interdit pas. Et cette liberté est elle-même un droit fondamental sans contrepartie de devoirs.

J’estime que l’introduction de cette idée de devoirs dans le vocabulaire politique alors qu’il appartient au domaine privé de la réflexion morale n’éclaire pas du tout les problèmes auxquels sont confrontés les sociétés modernes qui cherchent à combiner libertés individuelles et libertés collectives. Il ne saurait y avoir d’autre obligation dans une société libre que le respect de la loi. D’où l’importance que celle-ci soit établie dans l’intérêt général et non au profit d’intérêts particuliers où sous la contrainte d’exigences morales ou religieuses qui sont par définition partiales et particulières à chacun des groupes humains qui s’en réclame.

BRUTAL ET ARCHAÎQUE

Lier droits et devoirs dans l’ordre politique ne peut conduire qu’à des aberrations quand on entre dans le domaine des droits fondamentaux. Ségolène Royal n’y échappe pas. Mieux, elle y plonge tête baissée. Ainsi à propos du droit à la santé. C’est frappant lorsqu’elle déclare : "Lorsque je suis soigné (je note que la version écrite du discours met le mot au masculin en bonne logique sexiste royaliste...) d’autres contribuent aux soins que je reçois. Alors il est normal que je rende des comptes, il est normal que je ne dise pas simplement « c’est mon droit »". On se demande naturellement quel compte il est question de rendre et à qui. Par exemple les malades du tabac ont-ils des droits moindres à être soignés parce qu’ils sont fumeurs ? Les alcooliques peuvent-ils encore prétendre à des soins alors qu’ils boivent librement ? Et les toxicomanes qui s’empoisonnent eux-mêmes ? Le droit à l’avortement est-il lié à l’observation de règles de comportements amoureux ? Les soins contre le Sida à l’observation de pratiques sexuelles protégées ?

On voit vite que le lien entre droit et devoir est l’antichambre d’un ordre (juste ?) « donnant-donnant » qui fait froid dans le dos ! Je suis donc en désaccord absolu avec la règle qu’elle énonce, quand elle dit « la complémentarité entre le collectif et l’individuel me permet de dire avec force qu’il n’y a pas de droits sans devoirs. Parce que chacun d’entre nous est comptable des moyens collectifs mis à sa disposition. Cet équilibre, la gauche a donné le sentiment qu’elle l’oubliait. Cela ne doit plus jamais arriver ». Je le répète : autant le devoir peut en effet s’imposer dans le domaine de la morale individuelle librement choisie et appliquée.... autant que possible (car énoncer qu’on observe une règle c’est précisément reconnaitre et donc admettre aussi qu’on soit tenté d’y déroger...) autant dans le domaine politique et de la vie de la cité, dans le domaine de la loi, le prétendu équilibre entre droits et devoirs peut déboucher sur un totalitarisme moral brutal et archaïque.


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