Chili : 2021 année de la constituante !

dimanche 21 février 2021.
 

Cette année sera celle de l’élection d’une assemblée constituante au Chili pour écrire une nouvelle constitution, un événement politique rare et souvent de longue portée. Le 25 septembre dernier, le peuple chilien a approuvé le projet de nouvelle constitution à 78,27% et l’organisation d’une assemblée constituante à 78,99%. Ce plébiscite massif pour le changement de la constitution avec l’implication du peuple montre la volonté de celui-ci d’en finir avec l’actuelle constitution, héritage de la dictature sanglante d’Augusto Pinochet.

L’organisation de ce référendum faisait suite à puissant mouvement social débuté en octobre 2019 et qui a bouleversé à jamais l’histoire du pays. Ce mouvement, encore vivant aujourd’hui a pris la forme de rassemblement de masses, avec la participation de milliers de personnes dans un pays qui compte 18 millions d’habitants. L’origine de tout cela ? L’augmentation de 30 pesos du prix de plusieurs transports publics à Santiago. Cette augmentation de près de 4% du prix des transports qui semble ne pas être grand-chose à première vue a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase d’un pays dévasté par le néolibéralisme depuis 30 ans. « No son 30 pesos pero 30 anos » (« ce ne sont pas 30 pesos mais 30 ans ») est d’ailleurs l’un des slogans puissants du mouvement social.

Du mouvement social...

Les premières actions de contestation de cette augmentation du prix du ticket de métro prennent la forme d’action de désobéissance civile avec la fraude du métro. Ces actions sont d’abord organisées par des étudiants. La solution du pouvoir témoignera alors de l’incompétence de l’oligarchie chilienne de répondre par autre chose que la brutalité comme le faisait jadis le père politique de cette caste le dictateur Augusto Pinochet. L’instauration de l’état d’urgence et le déploiement de l’armée le 19 octobre 2019 dans les rues seront alors les déclencheurs d’un mouvement social encore plus massif. Moins d’une semaine après l’instauration de l’état d’urgence, Sebastian Pinera, président du Chili, recule sur cette décision et lève l’état d’urgence face aux rassemblements spectaculaires ayant lieu dans tous le Chili.

Les revendications des manifestants sont alors très concentrées sur des problématiques sociales : la réduction des inégalités, l’augmentation des salaires, l’éducation gratuite, la santé gratuite, la fin du système de retraite par capitalisation… De nombreuses revendications témoignant de l’incompétence du modèle chilien, laboratoire historique des néolibéraux Chicago Boys, à offrir un modèle social digne de ce nom. C’est en particulier vrai pour les jeunes, victimes de la précarité, d’endettement interminable pour rembourser les prêts étudiants et plus largement de l’impossibilité d’imaginer un horizon positif dans le système actuel. Très naturellement, les revendications vont s’étendre et porter sur l’abolition de la constitution de 1980 actuellement en vigueur.

… aux revendications démocratiques

Partant de diverses revendications sociales ayant su se fédérer, le mouvement social chilien évolue vers des revendications démocratiques. L’actuelle constitution de 1980 est l’œuvre de Jaime Guzman, constitutionnaliste d’extrême droite et conseiller d’Augusto Pinochet. En tant que norme suprême, elle est l’héritage le plus fort du pinochetisme. Elle vient graver dans le marbre la doctrine néolibérale dont le Chili fut le triste laboratoire dans les années 70/80 avant même l’ère Reagan et Thatcher.[1] On y retrouve différentes normes d’inspiration néolibérales comme la possibilité d’acquérir toute propriété comme celle de l’eau par exemple, ou bien l’indépendance du pouvoir bancaire vis-à-vis du pouvoir politique. Cette constitution est aussi marquée par l’autoritarisme, offrant un régime très favorable aux militaires qui se sont retrouvés jusqu’à fin des années 2000 avec un pouvoir institué permettant leur représentation au parlement ou bien la réversion des bénéfices du cuivre (près de 20% du PIB chilien) à l’armée. Le plus dramatique dans cette constitution est finalement l’impossibilité d’effectuer des changements radicaux des normes économiques et sociales, puisque ces réformes nécessitent une majorité qualifiée trop dure à atteindre malgré les différentes réformes constitutionnelles (2/3 des parlementaires). Le peuple chilien a compris que la rigidité de la constitution, associée au principe de « subsidiarité » cantonnant l’Etat à la portion congrue au profit du marché dans plusieurs domaines (santé, éducation…), empêche toute alternative dans le cadre de la constitution de 1980.

La bataille autour du changement de la norme suprême, plus qu’un symbole, est une lutte contre un modèle politique imposant les inégalités sociales et l’autoritarisme comme dogme politique. La bataille sociale et la bataille démocratique sont intimement liées. Ainsi, l’instauration de nouveaux droits sociaux inaliénables, la propriété exclusive de l’Etat sur différents biens sont autant de questions sociales et démocratiques.

Dégagisme

Autre phénomène important de cette révolte, le dégagisme dont témoigne également le résultat du référendum. Le rejet du personnel politique et des partis en place, qui pour certains sont des héritiers directs du pinochetisme comme peut l’être le PP et le franquisme en Espagne, est un marqueur puissant du moment au Chili. Voilà pourquoi l’adoption d’un accord entre le Président Pinera et les partis de l’opposition pour envisager ce processus constituant a reçu un accueil mitigé. Si le processus constituant peut être considéré incontestablement comme une victoire, portant un coup sérieux au pinochetisme, c’est aussi une manière pour le pouvoir de droite d’organiser un processus sur lequel elle espère avoir la main et ainsi éviter l’établissement d’une alternative démocratique et sociale. C’est pourquoi la majorité instaurée des 2/3 pour approuver la constitution qui sera rédigée par l’Assemblée Constituante, représente un danger pour certains et une aubaine pour la droite ayant comme objectif d’obtenir une minorité de blocage.

Enfin, la reconnaissance du peuple Mapuche, peuple originel du pays, est également un débat important au Chili actuellement. La droite chilienne, adepte de l’occidentalisation de la société a mené une bataille sans merci afin de supprimer la culture mapuche lorsqu’elle était au pouvoir. Les revendications en soutien au peuple Mapuche étaient très présentes durant les manifestations, en témoigne la présence de nombreux drapeaux mapuche. Reste à voir ce que les constituants décideront sur ce sujet. L’exemple de la constitution plurinationale adoptée en Bolivie en 2009 pourrait être une inspiration intéressante.

Le 11 avril prochain, les Chiliens seront appelés à élire les membres de l’assemblée constituante qui auront la charge d’écrire la nouvelle constitution. Le dégagisme qui touche le pays pose cependant plusieurs questions. En premier lieu la légitimité des décisions prises par l’actuel parlement afin de déterminer les règles d’organisation de la constituante. La seconde, c’est la composition de cette future assemblée. Si le rejet du système chilien est massif et a su s’exprimer dans les urnes, la constitution d’un nouveau bloc majoritaire agissant vers un objectif donné est une autre paire de manches. Le mouvement social a choisi la voie de l’auto-organisation sans direction politique élue démocratiquement. A l’inverse des partis politiques, le mouvement n’est ainsi pas constitué en organisation propre avec une cohérence interne. Alors que l’une des revendications les plus profondes du mouvement est la volonté de changement du personnel politique, le chemin à parcourir est encore long. Si l’incertitude politique est très présente, la convocation de cette constituante n’en reste pas moins un pas historique vers l’avènement d’une alternative sociale, écologique et démocratique dans le pays de Salvador Allende.

Julian Nicolas Calfuquir

[1] https://www.cairn.info/revue-vingti...


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