Loi « séparatisme » : à l’unisson, LR s’enflamme sur l’islam et piège la majorité

lundi 8 février 2021.
 

Le gouvernement a ouvert la boîte de Pandore du « séparatisme » à l’Assemblée nationale, la droite s’y engouffre, réaffirmant la dimension sécuritaire et identitaire d’un parti qui affiche son obsession pour les femmes voilées. La majorité parlementaire, elle, rame pour convaincre que son projet de loi n’est pas un texte qui stigmatise.

ncore une fois, la banderille est partie en piqué de la gauche de l’hémicycle : « On rentre là dans une série d’amendements déposés par la droite qui ont pour volonté de prendre au mot le gouvernement. Ce n’est pas une loi pour le renforcement des principes républicains mais une loi contre le séparatisme dit islamiste. On arrive forcément à des choses très caricaturales. » Éric Coquerel, de La France insoumise (LFI), a mis des mots sur les joutes oratoires et législatives qui opposent, depuis lundi 1er février, la majorité à la droite parlementaire, à l’occasion de l’examen du projet de loi « confortant le respect des principes de la République ».

Son président de groupe, Jean-Luc Mélenchon, avait élaboré lors d’un long discours à la tribune le même genre de mise en garde, à l’ouverture des débats : « On ne construit pas la France contre ceux qui la composent. Ce texte ne sert à rien, il est dangereux. La porte de l’universel ne s’ouvre pas à coups de pied, l’amour de la République ne vaut rien sous la menace. »

Une semaine s’est déjà écoulée, sur les deux prévues par un calendrier accéléré. Mais une dizaine d’articles seulement ont été examinés sur la cinquantaine que compte le texte, en raison d’une boulimie d’amendements portant sur l’article 1, qui vise à étendre l’obligation de neutralité dans les services publics.

Les rapporteurs du texte, et notamment Laurence Vichnievsky (MoDem), tentent bien dans leurs réponses de se draper derrière l’exercice législatif pour garder leur équilibre, revendiquant tel ou tel article polémique auprès de la gauche pour « s’ajuster à la jurisprudence », refusant des amendements portés par la droite au nom du droit français, qui ne peut « viser personne en particulier ».

Gérald Darmanin, depuis le banc des ministres, s’est livré là à pareil exercice, accusé par son ancien parti « d’avoir trahi », et de ne pas « nommer un chat un chat ». Oui, le danger pour la France serait bel et bien « l’islam radical » selon le ministre de l’intérieur – qui a sorti un livre au cours de la même semaine sur le « séparatisme islamique » –, mais non, le droit français ne permet pas d’écrire une loi « sur mesure » contre une religion, ce serait anticonstitutionnel. Il faut donc, semble regretter l’orateur Gérald Darmanin, légiférer « largement », écrire une loi « pour l’avenir », « en respectant l’État de droit et la laïcité française », en priant pour que le débat ne déborde pas trop. C’est raté.

La droite, ainsi qu’une partie des parlementaires La République en marche (LREM), trop heureux de cette tribune, y sont allés au bazooka, défendant l’interdiction de signes religieux ostentatoires pour les parents accompagnant les enfants en sortie scolaire, pour les majeurs à l’université, pour l’ensemble des salariés intervenant de près ou de loin dans un service public, pour les mineures dans la rue. Et dans “signe religieux ostentatoire”, il faut comprendre le voile. Le mot a été utilisé 267 fois en cinq jours à propos des mères, des jeunes femmes, des fillettes, une véritable obsession.

À propos des mères voilées, la création d’un statut de « collaborateurs occasionnels » du service public (qui permettrait de les contraindre à retirer leur foulard) a été remise plusieurs fois à l’ordre du jour, et a donné lieu à de longues heures de discussion, à tel point que la députée LREM Souad Zitouni, exaspérée, a rappelé à l’ordre ses collègues et opposants à droite, mercredi 3 février : « Depuis tout à l’heure on se croirait dans un tribunal ! Interdire le chemin de l’école aux mères qui sont voilées, c’est interdire le chemin de l’école à leurs enfants. Pensez-vous à leurs blessures ? Cette loi est une loi contre la radicalisation, pas l’éradication du fait religieux. »

Quelques minutes avant, la députée communiste Marie-George Buffet perdait également son sang-froid, après une nouvelle intervention du même tonneau d’Emmanuelle Ménard, non inscrite mais proche des thèses du Rassemblement national : « Il y a les usagers et les agents. Le devoir ne s’applique pas de la même façon aux uns et aux autres. Pourquoi vous parlez du voile ? » Elle crie : « Pourquoi vous visez ces femmes-là ? »

La critique aurait pu s’adresser directement aux députés Les Républicains (LR). Pour souligner leur différence de fond et de forme avec la majorité, les élus LR ont surjoué l’offensive. Ils présenteront le 9 février un contre-projet de loi, comme le RN une semaine auparavant. Pas question de se cacher derrière son petit doigt et de refuser de parler explicitement d’islam. « Il y a tromperie sur la marchandise, tonne Philippe Gosselin, élu de la Manche. Ce contre quoi on lutte porte un nom : c’est la radicalisation islamique. Je suis désolé mais, jusqu’à preuve du contraire, ce ne sont pas des cathos, des protestants ou des juifs qui ont posé des bombes ou commis des attentats ! »

Une façon de prouver le volontarisme du parti en la matière, face à un texte déjà largement répressif. « Les Français, majoritairement, sont d’accord avec les positions que nous défendons, a lancé Annie Genevard. Vous n’avez pas le droit d’ignorer l’inquiétude qui traverse la société ! » L’élue du Doubs a également appelé à modifier la Constitution et dénoncé le manque de « courage » de la majorité.

Exit les divisions sur la primaire, l’économie ou les questions sociétales. Les élus d’un parti qui aime à se déchirer ont trouvé leur terrain de réconciliation, leur oasis d’unité à l’occasion de ce texte : l’identitaire et le sécuritaire. Des sociaux aux libéraux, de l’aile gauche à l’aile droite, d’Aurélien Pradié à Éric Ciotti, toutes les nuances de LR ont défendu dans un mouvement commun l’essentiel des amendements sur le port du voile. « Il y a de la convergence, c’est plutôt positif, constate en souriant Pierre-Henri Dumont, député du Pas-de-Calais. Ça n’est pas toujours le cas. »

Dire qu’au moment où Laurent Wauquiez a pris la tête du parti en 2017, une bonne partie de la droite se pinçait le nez en évoquant la « ligne Wauquiez »… À l’époque, une flopée d’élus et de cadres de la rue de Vaugirard raillaient les obsessions identitaires de leur président. Trop à droite, cinglaient-ils. C’était avant… La séquence « séparatisme » a fini de convaincre que LR s’était aujourd’hui rallié tout entier aux positions les plus droitières en matière identitaire et sécuritaire.

Une stratégie vieille comme la droite

Droitisation de la droite ? Pierre-Henri Dumont ne le dit pas tout à fait comme ça. Mais le secrétaire général adjoint à la rénovation du parti assume une inflexion. « Les élus LR ont évolué, comme la société. On a intériorisé les vagues de séparatisme, Daech, la radicalisation… En tant qu’élu, je représente les Français. Et chez moi, la population, elle a physiquement peur. Face à tout cela, nos propositions d’hier ne sont plus suffisantes. Ce n’est pas tout à fait déconnant qu’on se remette en question. »

C’est une stratégie vieille comme la droite, ou presque : muscler le discours sur le régalien pour répondre – pensent les initiateurs – à une aspiration de l’opinion publique. Mais, au-delà de l’hypothétique opportunité politique et des effets de manches à l’Assemblée, LR a-t-il encore une doctrine, une vraie réflexion sur ces thématiques ?

Sur le projet de loi contre le « séparatisme », la majorité et l’opposition de droite et d’extrême droite ont rivalisé d’anecdotes et de généralisations floues sur l’expansion réelle ou supposée de l’islamisme en France. « On sait qu’il y a des religieux ultras qui tentent d’imposer ce mode de vie dans notre pays », nous assure Olivier Marleix. Oui, mais combien ? Et où ? Dans la même veine, Pierre-Henri Dumont assure : « Il y a plus de femmes voilées que non voilées dans certains quartiers. »

Comme pour les certificats de virginité ou la polygamie combattus à grand bruit par Marlène Schiappa, la ministre déléguée à la citoyenneté (le sujet sera débattu le semaine prochaine au Parlement), les élus LR tâtonnent lorsqu’il s’agit de chiffrer et localiser ce qu’ils dénoncent. Quand ils n’inventent pas tout simplement des statistiques. En commission, Julien Ravier assurait que « 100 % des terroristes français » se sont « radicalisés » et « ont été recrutés » au sein de clubs sportifs.

Le député LR n’a visiblement pas lu le rapport de son voisin des Bouches-du-Rhône, Éric Diard (LR), sur la radicalisation dans les services publics. Sollicité par Mediapart, ce dernier rectifie : « Le chiffre qu’on donne, c’est que 52 % des terroristes ayant agi sur le sol français étaient identifiés comme des sportifs assidus. »

Sur le voile aussi, les positions sont fluctuantes. Éric Ciotti, l’un des trois orateurs principaux de LR sur le texte avec Éric Diard et Annie Genevard, a lancé à la tribune, mardi : « Le voile n’est pas un vêtement anodin, c’est l’étendard de l’islamisme et de son idéologie. » Une position violente qui vient à contre-courant des multiples enquêtes et reportages donnant la parole aux femmes voilées ces dernières années.

Quand on les interroge là-dessus, les voisins de banc du député niçois sont un peu embarrassés. Le voile est-il bien un élément constitutif dudit séparatisme ? « Ça peut l’être, répond Philippe Gosselin. Ça ne l’est pas nécessairement mais ça l’est assez souvent. Quand ce n’est pas un élément séparatiste pur, c’est souvent un élément identitaire. Je le pense sincèrement. »

Olivier Marleix, lui, appelle à « ne pas être naïf » : « Le voile est porté par certaines jeunes femmes comme une revendication militante et identitaire. Pour d’autres, il est imposé comme un signe de soumission. » Dans la bouche de Pierre-Henri Dumont, ça donne : « Il y a l’objet et l’utilisation de l’objet. Le voile est devenu un objet politique à cause de ceux qui veulent faire sécession de la République. »

Sous le chapiteau de la lutte contre le terrorisme, LR abrite en fait volontiers la pratique orthodoxe de l’islam. Du port du voile à l’islamisme, la droite dresse de facto un continuum un peu flou qu’elle refuse de nommer comme tel. « Toutes les personnes qui portent le voile ne sont pas des terroristes en puissance, nuance Philippe Gosselin. Le voile traduit une forme de radicalisation qui n’implique rien d’autre dans un certain nombre de cas, je veux bien le reconnaître. »

Pourtant, les élus LR se sont évertués au cours de ces débats parlementaires à vouloir chasser le voile des sorties scolaires, des mairies, des bureaux de poste, des universités ou encore des gymnases. « Il faut rappeler quelques règles, nous ne sommes pas dans un pays anglo-saxon ! », dit Philippe Gosselin.

Sur le voile à la fac, Pierre-Henri Dumont assume : « C’est un service public financé par les impôts, justifie-t-il. J’estime qu’il ne peut pas y avoir de conviction religieuse dans un lieu public. La communauté nationale ne peut pas s’effacer derrière des aspirations personnelles. »

La prochaine étape serait-elle dès lors d’interdire purement et simplement le voile dans l’espace public ? « Je ne fais pas partie de ceux qui vont aussi loin, souffle Philippe Gosselin. Lier systématiquement le voile à l’islamisme, c’est une approche trop radicale. On doit pouvoir exprimer son envie vestimentaire ou une forme d’appartenance. »

À rebours de l’emballement parlementaire en cours, les élus LR montrent parfois, au fil des échanges, des positions plus mesurées. L’interdiction du voile pour les mères voilées ? « Je ne suis pas sûr que ça soit intelligent, souffle Olivier Marleix. C’est tomber dans un piège, selon moi, que de s’en prendre de manière systématique à ces mamans. Je n’ai jamais signé ces amendements parce que je sais très bien que dans mes écoles publiques à Dreux, si on leur interdit de venir, il n’y aura plus de sorties scolaires. »

L’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy mesure l’inflammabilité du débat. « Il faut faire attention à ne pas blesser les gens, souligne l’élu d’Eure-et-Loir. Parmi les gens qui portent le voile, il y a quand même des grands-mères de 75 ans qui l’ont porté toute leur vie… » Éric Diard abonde en ce sens : « Prenez Latifa Ibn Ziaten. Imaginez qu’on interdise à cette femme de porter son voile. J’aurais l’impression de lui demander de se déshabiller, franchement ! »

La séquence parlementaire laissera cependant la désagréable image d’une droite qui fait de la politique sur le dos de millions de ses concitoyens. Olivier Marleix, lui, déplore que la majorité tout entière ait refusé d’aborder un certain nombre de questions, comme le voile ou l’immigration. « Ça aurait permis un vrai débat, plus serein », veut croire le vice-président du groupe LR. « Par le jeu d’amendements, on donne forcément le sentiment d’ouvrir un débat par le petit bout de la lorgnette, regrette-t-il. C’est la limite de l’exercice… » On aurait presque perçu, au timbre de sa voix, un brin de remords.


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