"Panne de l’ascenseur social" : la jeunesse mise en difficulté

vendredi 5 février 2021.
 

Texte de l’Union Nationale Lycéenne (extrait)

On observe dans l’Histoire de l’École républicaine deux démocratisations majeures de l’enseignement. Ces événements sont majeurs pour analyser l’État du service public d’éducation aujourd’hui.

La gratuité de l’École suite à la loi du 16 Juin 1881

Toutefois, les enfants des familles les plus précaires devant toujours contribuer aux besognes quotidiennes pour subvenir aux besoins du foyer, peu en bénéficient concrètement.

L’École sera d’ailleurs rendue laïque par la loi du 28 mars 1882, ce qui est un progrès majeur pour notre milieu. Cependant, il ne s’agissait donc pas de donner la même éducation à tous les enfants, mais avant tout de transmettre un socle commun pour fédérer autour des valeurs de la République, dans un climat de revanche suite à la guerre perdue face à la Prusse. Jules Ferry affirme ainsi au sujet de sa réforme qu’il a “promis la neutralité religieuse, [mais] pas la neutralité philosophique ou la neutralité politique." Toutefois, il s’agit d’une étape primordiale pour le progrès au sujet de l’accès à l’éducation.

L’obligation scolaire jusqu’à 16 ans suite à l’ordonnance de Janvier 1959

Dès lors, la scolarisation se développe fortement, jusqu’à atteindre les 80% d’une classe d’âge obtenant un diplôme de l’enseignement secondaire. L’accès à l’éducation est une avancée fondamentale pour la jeunesse. L’accès à un diplôme pour une large partie de la population n’est pas nécessairement synonyme d’un abaissement du niveau général. Il garantit au contraire une amélioration générale du niveau de vie de la population. Un éventuel abaissement du niveau général des élèves serait davantage à mettre au compte de la forte baisse de moyens dans le service public d’éducation ces dernières années que sur le taux de réussite au bac élevé.

Cependant, les conditions dans lesquelles se font cet apprentissage restent tout aussi fondamentales. Elles connaissent aujourd’hui encore de trop nombreuses limites.

Démocratisation de la scolarisation mais maintien de la sélection sociale

Aujourd’hui, la jeunesse a majoritairement accès à l’enseignement en France, mais pas dans les mêmes conditions. Le système scolaire actuel reste fortement en faveur des classes les plus favorisées : elles y retrouvent leurs références culturelles “classiques” et des implicites qu’elles ont déjà appris à décoder. De surcroît, l’accès ou non à une aide concernant nos choix d’orientation joue toujours un rôle déterminant. On observe une censure plus importante chez des élèves issus de milieux populaires que chez les autres, même à compétences scolaires égales. Le coût que peut représenter le fait de faire des études longues, notamment l’absence de salaire pendant la période d’étude, nous pousse à nous tourner vers des formations plus professionnalisantes mais moins rémunératrices. L’instauration de Parcoursup est venu nous mettre une barrière supplémentaire. Quand nous décidons de nous inscrire à la fac’, nous pouvons dorénavant être refusés et ne pas avoir d’affectation dans l’enseignement supérieur.

Depuis les années 1990, le combat contre la reproduction des inégalités stagne. 70% des fils d’ouvrier deviennent ouvriers suite à leurs études. Il en est de même pour les fils de cadres, devenant cadres à leur tour. Les réformes Blanquer ne sauraient que creuser ce constat déjà lourd. La répartition inégale des enseignements de spécialités sur le territoire favorisera l’augmentation des inégalités d’accès à l’enseignement et donc à l’emploi. De plus, le contrôle continu inclus dans le baccalauréat engendre un accès au diplôme à deux vitesses.

La crise sanitaire a accentué cette dynamique : l’enseignement en distanciel creuse les inégalités face à l’éducation. L’accès au numérique n’étant pas le même pour tous, tout comme notre capacité à travailler en autonomie, nombre d’entre-nous sont laissés sur le carreau. Une conséquence : une forte hausse du décrochage scolaire, qui engendre une forte anxiété dans la jeunesse.

L’École est donc loin de parvenir aux objectifs de justice sociale qu’elle s’assigne.

Mythe méritocratique et culpabilisation permanente des élèves

Malgré ce constat alarmant, l’actuel ministre de l’éducation ne reconnaît pas les inégalités intrinsèques du service public d’éducation. Il porte un regard particulier sur l’École : celui de la méritocratie, avec pour outils ses réformes et l’optique d’instaurer l’apprentissage des “savoirs fondamentaux”. L’idée derrière cette notion de savoirs fondamentaux réside l’acceptation de cette éducation à deux vitesses : l’une, destinée à tous et visant à enseigner la lecture, l’écriture et le calcul, qui sont des compétences primaires universellement utiles. L’autre, destinée à une élite (sociale, économique…) et permettant une réelle élévation intellectuelle. Nous refusons cette binarité et demandons une seule et même éducation, permettant la formation citoyenne de tous ainsi que notre émancipation intellectuelle nous étant due de droit en démocratie.

Au vue des inégalités qui ne reculent plus malgré l’action de l’école publique, nous ne pouvons pas considérer que la réussite des élèves dépend de leurs qualités propres. Celles-ci dépendant davantage de leur environnement social et pédagogique, dans lequel nous évoluons. Nier l’implication des phénomènes systémiques qui vont influencer nos choix et nos résultats est fondamentalement violent. Les élèves les moins favorisés ont déjà à lutter contre un système grandement inadapté à leur égard, et qui tend à le devenir davantage sous l’exercice du ministre de l’éducation actuel. Les culpabiliser pour un échec dont ils ne sont pas acteurs, mais à l’inverse victime, est une forte atteinte à notre bien-être. Il faut par ailleurs voir une constante dans la culpabilisation dont la jeunesse est sujette. Pendant la crise sanitaire, nous avons été désigné comme les boucs-émissaires, responsables de cette crise sanitaire. Pourtant, nous étions tous aussi précautionneux que les autres générations. Cette crise s’est accentuée par des prises de décisions incohérentes, le gouvernement privilégiant un jour la santé de la population et celui d’après “l’économie française”. De surcroît, elle est la conséquence de politiques anti-écologiques mondiales dont nous ne sommes pas décisionnaire. Il en est de même à l’École : nous subissons des politiques éducatives fondamentalement inégalitaires et n’avons pas à être blâmés pour cela.


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