Mort de Wissam el-Yamni : la complicité malsaine des « experts »

samedi 16 janvier 2021.
 

Neuf ans que la famille de Wissam el-Yamni attend. Neuf longues années à désespérer de la justice française. Le 1er janvier 2012, à Clermont-Ferrand, ce chauffeur routier de 30 ans se faisait interpeller par la police. Dix minutes plus tard, il était dans le coma, un coma dont il ne sortira jamais.

Farid el-Yamni, le frère de Wissam, est devenu, comme tant d’autres proches de victimes, un militant malgré lui. Militant pour la justice, contre l’impunité dont jouissent trop souvent les policiers quand ils tuent.

Vendredi 8 janvier, lors d’une conférence de presse, Farid el-Yamni tient ces mots : « J’entends parler de brebis galeuses, d’une minorité de policiers, etc. Je suis ingénieur et, en tant que tel, j’ai une vision système des choses. Si un dysfonctionnement est possible, il va arriver. Pourquoi n’est-ce pas traité ? On devrait plutôt se reposer sur un système de contrôle afin d’empêcher ces dysfonctionnements. »

Farid el-Yamni a eu le temps de penser à notre système judiciaire. Depuis 2012, sa famille mène une bataille dans un seul et unique but : comprendre comment Wissam est mort. Les deux policiers impliqués, dont un formateur, n’ont toujours pas été inquiétés. Pas même auditionnés. L’IGPN, les juges d’instruction, sont trop de mèche au quotidien avec les agents de police pour que leurs enquêtes soient réellement indépendantes, et donc fiables.

La police des polices refusera de visionner les vidéos des caméras de surveillance aux abords de la scène de l’interpellation. Les différents juges en charge de l’affaire feront tout leur possible pour ne pas faire avancer le dossier – dossier qui aujourd’hui fait plus de 1000 pages. Sans cesse, la famille, par la voix de ses avocats, doit saisir la chambre d’instruction pour que celle-ci ordonne aux juges de faire leur travail.

Comme trop souvent dans ce genre d’affaires, c’est la parole des experts judiciaires qui pèse le plus dans la balance. En l’occurrence ici, c’est le docteur Michel Sapanet qui a rendu une expertise pour déterminer les causes de la mort de Wissam El-Yamni, en 2013. Voici ses conclusions : les lésions sur son corps étaient antérieures à l’interpellation – Wissam vivait donc, selon cet expert, avec de multiples fractures, ce qui ne l’a pas empêché de fêter le Nouvel an… ; les marques de strangulation sur son cou sont liées au frottement de ses vêtements – à noter que la ceinture de Wissam est toujours introuvable aujourd’hui, les policiers prétendant qu’il portait un jogging, ce qui est faux ; quant à la cause de la mort, Wissam aurait fait un malaise après l’absorption d’alcool, de cannabis et de cocaïne.

« Face à tout cela, on est seul. On devient fou de s’entendre dire que l’affaire est classée, qu’on est dans le faux. On n’apprend pas assez de nos affaires alors que les policiers, eux, ils apprennent en permanence. »

Farid el-Yamni est estomaqué de voir que le juge accepte cette version sans même demander quel taux de drogues avait Wissam dans le sang. Après analyses par un toxicologue, il s’avère que Wissam avait si peu de cocaïne dans le sang qu’on ne pouvait même pas le déclarer positif. Comment aurait-il pu en mourir ? Pour la famille, tout ceci n’a qu’un seul but : ralentir l’instruction.

Voilà pourquoi leur avocat parisien Henri Braun annonce la saisine prochaine de l’ordre des médecins ainsi que le dépôt d’une plainte contre cet expert pour falsification des données et des résultats de l’expertise. « L’aura des experts est telle que le juge ne va pas contre son avis. Les expertises deviennent des paravents à la justice », explique l’avocat.

Il ne fait aucun doute que cet expert est parti de la conclusion pour ensuite dérouler son expertise en sens contraire. Il fallait prouver que Wissam el-Yamni serait mort avec ou sans l’intervention des policiers. « C’est du charlatanisme, il ment sur tous les points », argue Farid el-Yamni, lequel n’arrive pas à comprendre comment on peut manipuler ainsi la science. Le frère de la victime et son avocat insistent fortement sur un point : cette plainte n’est pas déposée dans un esprit de revanche à l’encontre de Michel Sapanet, mais afin d’expliquer un dysfonctionnement judiciaire. C’est le rôle majeur de l’expert , excessif, sans aucun contrôle ni contradiction, qui est ici déploré.

Comme l’explique Farid el-Yamni : « Il sait que le corps va être enterré et qu’il aura le dernier mot. On ne respecte pas la vie. » Car au-delà de l’injustice ressentie par les proches, il est question de dignité. Peut-on laisser des corps humains se faire disséquer, mutiler, pour servir le mensonge et la dissimulation, et non la vérité et la justice ?

« Quand un homme de 30 ans, en parfaite santé, finit dans le coma quelques minutes après avoir été interpellé, il y a un problème, abonde Farid el-Yamni, visiblement ému. On veut un procès. » Combien de familles aujourd’hui en France ne demandent que cela ? Que la République tienne sa promesse de justice, indépendante. Lamine Dieng, Babacar Gueye, Shaoyao Liu, Gaye Camara, Cédric Chouviat ou encore Adama Traoré, la liste est longue, trop longue.

En 2019, une autre expertise est venue contredire la version de Michel Sapanet. Wissam el-Yamni aurait subi un pliage ventral, alors qu’il était menotté dans le dos, et serait mort suite à l’intervention d’un tiers. Quant aux lésions sur son corps, elles indiquent bien qu’il a été frappé. « La science ne peut démontrer des choses contradictoires », avance Farid el-Yamni. Face à tout cela, on est seul. On devient fou de s’entendre dire que l’affaire est classée, qu’on est dans le faux. On n’apprend pas assez de nos affaires alors que les policiers, eux, ils apprennent en permanence. »

Ce dernier n’a qu’un seul souhait désormais : que l’affaire Wissam permette qu’on améliore le système judiciaire, sur les expertises, les enquêtes. Pour qu’en matière de justice, l’honnêteté paye, et non plus la malhonnêteté.

Loïc Le Clerc


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