En Argentine, un vote historique pour la légalisation de l’IVG

dimanche 3 janvier 2021.
 

L’Argentine est devenue mercredi le quatrième pays d’Amérique latine à légaliser l’interruption volontaire de grossesse, après un vote moins serré que prévu au Sénat. Reportage aux côtés des féministes rassemblées sur la place du Congrès, au cœur de la capitale argentine, au petit matin.

Des cris de joie traversent la nuit. Il est un peu plus de 4 heures du matin, et après douze heures de débats, le Sénat vient d’approuver la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse lors d’un vote historique. À Buenos Aires, aux abords du Congrès, les militantes féministes s’enlacent, agitent leur foulard vert – symbole de leur lutte – et pleurent. Il fait terriblement chaud et humide mais le résultat produit l’effet d’un immense souffle frais.

« Je n’arrive pas à le croire. C’est trop. C’est trop historique. Je n’arrive pas à croire que je suis témoin de ce moment-là », sanglote Malena, 21 ans, dans les bras d’une amie. « C’est fou, surtout pour nous, notre génération, savoir qu’à l’avenir on va pouvoir disposer de notre corps. On gagne un droit et c’est fou », s’émeut Luciana, 16 ans, qui fait partie de ces très jeunes femmes dont l’activisme a vivifié le mouvement féministe en Argentine.

Haut-parleurs diffusant des refrains de reggaetón saturés, tambours battant de joyeuses cumbias, fumigènes, groupes dansant avec ferveur : toute la nuit, les militantes ont veillé, dans une ambiance festive. « Cette loi doit permettre aux femmes qui avortent clandestinement d’arrêter de mourir. C’est une dette de la démocratie », soutient Daiana, 26 ans. Elle porte noué autour du cou un foulard vert déclinant la maxime de la lutte « avortement légal, sûr et gratuit » et arbore la même couleur aux poignets, dans les cheveux et sur les ongles. Elle insiste : « La maternité doit être libre et désirée. »

Paillettes vertes sur le front, Emilia se rappelle les mobilisations historiques de 2018 qui s’étaient déversées en une marea verde, une « marée verte », confirmant la force de mobilisation des militantes féministes et leur capacité à influer sur l’agenda politique. Pour la première fois en Argentine la légalisation de l’IVG était alors débattue au Parlement. Approuvée par les députés, elle était rejetée par le Sénat au mois d’août mais le sujet s’imposait dans la société, un tabou tombait.

« C’est à cette époque que j’ai avorté, dans un centre de santé public », raconte la jeune femme qui a bénéficié de l’accompagnement de médecins militants s’appuyant sur une brèche de la précédente législation : l’avortement était permis en cas de viol, danger pour la vie de la femme ou pour sa santé, celle-ci pouvant être interprétée comme le bien-être psychologique également. « Mais je l’ai fait dans la peur : je pensais que si cela se compliquait, je ne saurais pas quoi expliquer », se souvient cette travailleuse sociale. « Nous les femmes on va pouvoir planifier notre vie », s’enthousiasme-t-elle. Selon les autorités, 38 000 femmes sont hospitalisées chaque année après des avortements réalisés dans de mauvaises conditions. Des dizaines d’entre elles en meurent.

La loi prévoit l’interruption de la grossesse sans condition jusqu’à 14 semaines de gestation. Alors que le rapport de force s’annonçait serré au Sénat, ce sont finalement 38 sénateurs et sénatrices qui se sont prononcés en faveur – et 29 contre, apportant une solide légitimité au texte qui avait été approuvé par les député·es le 11 décembre. « Nous sommes aujourd’hui une société meilleure qui élargit les droits des femmes et garantit la santé publique », a réagi le président Alberto Fernández (centre-gauche) sur Twitter. Le péroniste signe là une victoire de premier plan, en respectant une promesse de campagne. Le contexte sanitaire et une économie exsangue réduisent les marges d’action du gouvernement sur les autres fronts.

Camille Audibert


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