En 2021, « continuons à lutter joyeusement, à chanter et danser effrontément ».

mercredi 23 décembre 2020.
 

Une bonne nouvelle ? En 2020 ? Mais oui : jeudi à Nice, les poursuites ont été annulées, pour « violation de leurs droits », contre neuf potes d’ATTAC qui risquaient 5 ans de prison pour une action contre la Société Générale. Pour fêter ça, l’artiste HK était là, et nous avons valsé dans la rue, comme au bal. Donc en 2021, « continuons à lutter joyeusement, à chanter et danser effrontément ».

Alors, oui, je sais, j’avais dit que je n’écrirai plus jusqu’à l’an prochain, afin de prendre dignement congé de cette année maudite qui aura vu nos espoirs d’un monde moins con noyés dans la chloroquine, le gaz lacrymogène, les gyros des flics en manif sauvage et les postillons contaminants d’une classe politique dont les discours et les actes pourraient se résumer à un émoji doigt d’honneur.

D’autant plus que notre expulsion locative approche. Un huissier est venu récemment frapper à notre porte au petit matin, et ça n’était pas pour nous vendre un calendrier des « bureaucrates du stade » huilés en petite tenue. Une convocation au commissariat a rapidement suivi, c’est dire si notre petit appartement du vieux-Nice est plus proche de l’esprit d’une barricade assiégée que de celui d’un marmot attendant sereinement de savoir au coin du feu ce que le hipster du grand Nord va fourrer dans ses chaussettes.

Sauf que voilà. En rentrant de mon dernier jour de travail au lycée, jeudi, laissant derrière moi l’ennui des surveillances de visio-cours et des heures de vigilance au portail en compagnie de militaires armés, une fois arrivé dans mon « squat », j’ai eu la joie d’y retrouver mes copaines en train de faire de la musique en compagnie de Kaddour Hadadi, dit HK.

HK, c’est cet artiste talentueux dont les chansons vous poursuivent jusque dans la plus obscure des manifs, si bien hélas qu’au bout d’un moment, force est de constater que les premières notes de « on lâche rien » vous donnent parfois envie de sauter par la fenêtre plutôt que d’entendre la suite –pardon Kaddour.

Et le voilà donc, dans mon salon, en train de répéter ses plus grands titres en compagnie de mon grand copain Jules, de Juga, avec ma copine à la trompette et plein d’autres potes du Vieux-Nice et d’ailleurs au trombone, au violon, à la clarinette ou à l’accordéon. Les notes résonnent entre nos murs tagués, devant cette grande inscription : « la justice nique sa mère », nous rappelant quelque chose de pas si lointain, un temps où se passaient des choses comme des bals, des concerts, c’était avant que la culture et la joie ne soient jugées « non-essentielle » , un temps où il était normal de se retrouver pour s’aimer en musique, tous venus d’horizons différent mais communiant dans la beauté des trilles et des mots, nous tous les fils et filles d’une même époque pourrie, ou pas, une pathétique lueur de défi dans nos regards ivres, connement heureux et connement inconscients de la suite. Aujourd’hui, l’inconscience est un luxe que seuls nos dirigeants peuvent s’accorder.

Et Kaddour chante sa nouvelle chanson, Danser encore : « Nous on veut / continuer à danser encore / voir nos pensées, enlacer nos corps / passer nos vies sur une grille d’accords » … Et l’émotion nous prend. C’était comment déjà, quand s’enlacer et danser n’était pas interdit ? C’est quand qu’on se caresse tous ?

Puis nous allons au tribunal. Car j’ai oublié de le dire : si HK est venu parmi nous, c’est surtout pour apporter son soutien au neuf « inculpé.e.s de la Société Générale », ces copaines poursuivies pour avoir balancé, en marge d’une manifestation, du blanc de Meudon –donc, un pigment coloré s’enlevant très facilement à l’eau- sur une banque de Jean Médecin, le 26 octobre 2019. Un procès absurde, témoin du harcèlement judiciaire contre les militant.e.s pour un monde plus juste. Ils risquent cinq ans de prison.

https://www.facebook.com/watch/?v=4...

Sur place, il y a foule, et les potes commencent à s’installer pour jouer sur le parvis. Geneviève (Legay, bien sûr) vient me saluer et me tape une clope, « très fine, hein, s’il te plait », que je lui roule bien volontiers. Sur les marche du palais, Voltuan, l’affichiste tout-terrain, est là, avec ses célèbres pancartes, dont l’une où est écrit : « Société Générale climaticide, stop énergies fossiles ».

Le concert bat son plein, et soudain une clameur : « Ils sortent ! » Et effectivement nos neuf potes sortent les uns après les autres. Libres de toutes charges. « On a gagné ! » Les poursuites ont purement et simplement été annulées. En cause : un dossier d’accusation délirant et mal foutu, et la violation de leurs droits lors des procédures, de l’interpellation jusqu’à la mise en examen. Un « fiasco », comme l’a titré Nice-Matin. Un camouflet pour la banque, pour la police, pour Estrosi –qui semble avoir fait pression dans cette histoire. En bref : une victoire, donc quelque chose dont nous avions perdu l’habitude.

La musique reprend de plus belle. On chante, on valse. Avec serrée dans mes bras la petite Nina, je regarde toute cette joie et cette beauté, en me disant que malgré tout peut-être elle aura droit à grandir dans une société qui ne sera plus ce cauchemar qu’elle est devenue, parce qu’il reste encore des gens qui dansent et qui luttent. Et qui gagnent.

Oui, on a chanté et valsé. Et oui, comme le feront sans doute remarquer certains, auprès desquels je m’excuse d’avance, nous n’avions pas tous nos masques, et nous n’avons pas tous respecté les gestes barrières. Parce que nous sommes des irresponsables ? Peut-être. Ou plutôt sans doute parce que nous croyons dans la responsabilité individuelle. L’irresponsable, le vrai, il est actuellement confiné à la Lanterne (ça me rappelle une autre chanson : « Ah ! Ça ira, ça ira, ça ira, les aristocrates à la lanterne ! ») et il trouve que les lieux où on chante et danse, ça n’est pas utile à la nation.

On lui souhaite bon rétablissement, ou pas, et on donne rendez-vous l’an prochain : nous n’avons pas fini de danser, et demain nous appartient.


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