Loi sécurité globale : La presse étrangère s’inquiète du virage autoritaire d’Emmanuel Macron

mardi 1er décembre 2020.
 

Plusieurs journaux européens et américains se sont fait l’écho des risques pour la liberté de la presse du projet de loi sécurité globale, et s’inquiètent plus largement du virage droitier et autoritaire pris par le président français.

Dans le miroir d’une presse étrangère que le président français imagine pouvoir séduire par la magie de son verbe, Emmanuel Macron aimerait se voir (et se croire) comme le héraut de la régulation du capitalisme et de la liberté d’expression.

Mais ce que les journaux étrangers lui renvoient – en scrutant ses actes – n’est guère ragoûtant : l’image d’un dirigeant autoritariste qui « braconne théoriquement et symboliquement sur les terres du Rassemblement national » en vue de sa réélection en 2022, et qui rejoint ainsi la cohorte de ceux qu’il prétend combattre, les Orbán, Trump et compagnie.

Le projet de loi sur la sécurité globale, dont le désormais célèbre article 24 criminalisant la diffusion d’images de policiers, a achevé d’écorner l’image de ce président jeune et qui semblait si libéral il y a encore un an, suscitant l’inquiétude de nombreux journaux européens et américains.

La RTBF, radio-télévision belge de service public, dénonce un texte « dangereux » et une « atteinte grave au droit de la presse ». Tandis que le Washington Post se fait l’écho de « l’indignation » des journalistes français, mais aussi des « défenseurs des droits de l’homme », dont la Défenseure des droits française, l’ONU et Reporters sans frontières.

« Alors qu’Emmanuel Macron a vanté son pays comme étant au premier rang des défenseurs de la liberté d’expression, les journalistes français condamnent ce qu’ils considèrent comme une atteinte à la liberté de la presse dans leur pays », ajoutait jeudi le quotidien américain dans un second article, soulignant que le président avait promis de défendre la liberté d’expression lors de son hommage au professeur assassiné Samuel Paty.

« Le président de la République se présente comme le champion de la liberté de la presse dans le monde musulman, souligne dans le Washington Post Dov Alfon, directeur de la rédaction de Libération et ancien rédacteur en chef du journal israélien Haaretz. Il explique à l’étranger que la France est supérieure, ou du moins a des idées culturellement supérieures, car ici il y a des lois qui garantissent la liberté de caricature, d’exprimer une opinion, d’analyser et d’informer. Mais de retour en France, il permet à ses ministres de proposer des lois qui ressemblent à celles des pays qu’il vient de critiquer. »

La presse internationale est interloquée par le désormais célèbre article 24 du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale vendredi. La Libre Belgique souligne qu’il va punir « lourdement » (jusqu’à un an de prison) la diffusion d’images d’un policier ou d’un gendarme en intervention lorsque celle-ci a pour but de porter « atteinte à son intégrité physique ou psychique ».

Le quotidien britannique The Guardian pointe le flou de cette définition et le risque que poserait une interprétation trop large par les tribunaux. Alors même que « le couteau de la sécurité globale coupe dans les deux sens », réduisant le droit des citoyens à diffuser les images, mais accordant à la police « plus de pouvoir pour utiliser les images des drones et des caméras », souligne le journal néerlandais De Volkskrant.

La Libre Belgique redoute une volonté de la France et de son président de « camoufler les violences perpétrées par certains policiers ». « Comment est-il possible de démontrer les violences policières sans filmer les policiers ? », s’interroge De Volkskrant.

Les nombreux journaux étrangers qui se sont penchés sur le sujet rappellent les nombreux cas de violence exercée par les forces de l’ordre lors des manifestations des gilets jaunes. Ces violences suscitent en France « un mouvement d’indignation croissant », écrit le site américain Politico, tandis que le quotidien espagnol El País souligne que de nombreux cas de violences policières « étaient basés sur des images diffusées sur les réseaux sociaux ».

Dès le 6 janvier, bien avant la polémique sur la loi sécurité globale, le grand quotidien néerlandais NRC Handelsblad s’inquiétait de la « pression croissante sur la presse française ». Le journal citait les menaces de mort que continuent de recevoir les journalistes de Charlie Hebdo, mais aussi la rétrogradation de la France à la 32e place du classement de Reporters sans frontières (RSF) sur la liberté de la presse à cause des violences exercées par la police contre les journalistes lors des manifestations des « gilets jaunes », ainsi que la convocation de plus de dix journalistes français par la DGSI (les services secrets intérieurs), dont nos partenaires de Disclose, pour avoir publié des informations couvertes par le secret défense.

La presse européenne a été tout aussi choquée par les déclarations du ministre de l’intérieur Gérald Darmanin, lorsqu’il a indiqué cette semaine, après l’arrestation d’un journaliste de France 3 lors d’une manifestation contre la loi sécurité globale, que les reporters devraient désormais s’accréditer pour couvrir les manifs. « Des journalistes n’auraient donc plus le droit de faire le boulot », s’indigne la RTBF.

Les correspondants étrangers en France soulignent que Darmanin ne pourrait pas tenir un discours aussi radical sans l’aval d’Emmanuel Macron. « Le fait qu’il n’a pas été recadré par le président Macron est révélateur », écrit le journal néerlandais De Volkskrant. « Depuis que le président Emmanuel Macron l’a nommé cet été, le ministre a émergé comme la voix de l’aile dure du gouvernement sur la sécurité. Il est l’incarnation d’un virage à droite qui inquiète certains députés de LREM, le parti de Macron », ajoute le quotidien espagnol El País.

C’est ce que constate crûment le correspondant à Paris du principal journal économique allemand Handelsblatt, Thomas Hanke. Dans un commentaire intitulé « L’Europe a besoin du Macron de 2017 – et non de celui de 2020 » publié jeudi, il fait part de ses désillusions : « Le président français est entré en fonction en tant que réformateur ouvert d’esprit. En attendant, il se réfugie dans les idées nationalistes – au détriment du pays. »

Le nationalisme est partout désormais chez Emmanuel Macron, remarque le journaliste allemand. « Cela prend des formes et des tons parfois dérangeants : il y a une semaine, lorsque les cendres de l’écrivain Maurice Genevoix ont été transférées au Panthéon, Macron célébrait les “tempêtes d’acier” de la Première Guerre mondiale, le “courage français” et la “terre de France”. » La loi « sécurité globale » s’inscrit dans cet autoritarisme nationaliste, souligne-t-il.

Et Macron trouve de nouveaux alliés chez ses adversaires d’antan, ceux qu’il dénonçait comme des « populistes », en l’occurrence le chancelier autrichien Sebastian Kurz, qui « était son ennemi favori il n’y a pas si longtemps ». « Aujourd’hui, Macron et Kurz réclament un renforcement des pouvoirs d’intervention des ministres de l’intérieur et veulent annuler Schengen si nécessaire. » « Une impression se dégage : le Macron de l’automne 2020 mène exactement la lutte idéologique qu’il a catégoriquement rejetée il y a trois ans. »

Dans une analyse, le New York Times relevait les ressemblances entre les deux hommes : « M. Kurz, qui a 34 ans, et M. Macron, âgé de 42 ans, tous deux d’ambitieux et impénitents caméléons politiques, illustrent la métamorphose politique qui s’opère dans une Europe hautement inflammable, notamment concernant les questions de terrorisme et d’immigration. »

Dans un article titré « Macron contre les médias américains », le New York Times est aussi revenu dimanche dernier sur le fait que le président français a obtenu le retrait de deux tribunes parues dans les médias anglo-saxons Financial Times et Politico, accusés, aux côtés d’autres médias comme le Washington Post, de « légitimer » le terrorisme islamiste et de ne pas comprendre la laïcité à la française.

Vu la polémique aux États-Unis, Emmanuel Macron a décroché son téléphone pour appeler Ben Smith, journaliste du New York Times, et lui expliquer son point de vue – manifestement sans succès.

Dans son article, Ben Smith rappelle que Macron n’a pas seulement attaqué des tribunes, mais aussi des articles journalistiques qui critiquaient le risque de stigmatisation des musulmans, l’impasse faite par le gouvernement français dans la lutte contre le racisme et les discriminations. Le New York Times a ainsi pointé le contraste entre la réponse idéologique d’Emmanuel Macron à l’assassinat de Samuel Paty et le discours plus « conciliant » du chancelier autrichien après une attaque terroriste à Vienne.

À tel point que le journaliste du New York Times a demandé à Emmanuel Macron, lors de leur entretien téléphonique, « si ses plaintes à l’encontre des médias américains n’étaient pas elles-mêmes un peu trumpiennes – des attaques hautement médiatisées au service d’un programme politique ».

Mais, comme le rappelle Thomas Hanke dans le Handelsblatt, « beaucoup, surtout l’ancien président Nicolas Sarkozy, ont essayé cela avant Macron et ont échoué. L’original était toujours plus national, antiaméricain et anti-islamique, encore plus dur contre Schengen que la copie. Sur son parcours actuel, Macron risque de perdre de vue son engagement en faveur d’une France moderne et de mettre en péril sa grande crédibilité européenne ».

En ces temps de lutte contre la pandémie, Die Zeit décrit ainsi une France devenue un « Absurdistan autoritaire ». « Le verrouillage de la France est si répressif que même les règles sensées sombrent dans le discrédit », explique l’hebdomadaire allemand de centre-gauche qui cite le livre récent de la politiste Chloé Morin, Les Inamovibles de la République (L’aube), sur ces « hauts fonctionnaires et conseillers de Macron [...] tous issus de l’école d’élite ENA, qui se caractérise avant tout par son uniformité : il s’agit pour la plupart d’hommes issus de familles parisiennes aisées dont les pères étaient également hauts fonctionnaires ».

« Morin les appelle “l’aristocratie”, indique le journal. Ils ne sont pas conscients de ce qui est si évident : qu’il est insupportable pour une famille de cinq personnes vivant dans un appartement de trois pièces dans une banlieue grise de n’être dehors qu’une heure par jour. »

François Bougon et Yann Philippin


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