La République figée d’Emmanuel Macron

jeudi 24 septembre 2020.
 

L’estimant « menacée » par des « forces obscurantistes » et « séparatistes », le chef de l’État a livré sa vision de la République, vendredi, au Panthéon. Une approche conservatrice qui a tout pour satisfaire son nouvel électorat de droite.

« Il y a urgence. » C’est en ces termes que l’Élysée a justifié le discours prononcé vendredi par Emmanuel Macron, depuis le Panthéon, à l’occasion des 150 ans de la proclamation de la IIIe République, le 4 septembre 1870, qui a marqué la chute du Second Empire. « Nous sommes dans un temps historique où il y a une coagulation étonnante de forces hétéroclites qui ont pour projet initial de s’en prendre à la République et ce qu’elle emporte avec elle », a fait valoir l’entourage du chef de l’État.

Le choix de cette date a interrogé bon nombre d’historiens, mais aussi certains responsables politiques, à l’instar du chef de file de La France insoumise (LFI) Jean-Luc Mélenchon, qui s’est longuement exprimé sur le sujet dans une vidéo et a tweeté : « Non, monsieur le président, la République française n’est pas ce que vous en dites. Je vous répondrai solennellement le 21 septembre, vrai anniversaire de la fondation de la #République en France. »

« La République n’a pas 150 ans, elle va avoir 228 ans le 21 septembre prochain... Célébrer le 4 septembre 1870 et ignorer le 21 septembre 1792, la République révolutionnaire, le 24 février 1848, les Première et Deuxième République : légère sidération du professeur et du citoyen », a écrit Thibaut Poirot, professeur agrégé d’histoire, rappelant que le général de Gaulle, dans son discours du 4 septembre 1958, avait lui bien « inscrit les trois dates (1792, 1848, 1870) dans une histoire commune ».

En décidant de « remettre cette date du 4 septembre à l’honneur », Emmanuel Macron a opté pour le choix le plus conservateur, puisque la proclamation de cette IIIe République a été suivie de la répression des tenants d’une République démocratique et sociale, à savoir les communards. Au-delà du seul aspect historique, cette cérémonie était surtout l’occasion, pour le chef de l’État, de s’exprimer sur ses nouvelles marottes, à commencer par ce qu’il qualifie de « séparatisme » – pour ne plus dire « communautarisme ».

Rappelant qu’un projet de loi sur le sujet sera présenté à l’automne, le président de la République a souligné qu’« il n’y aura jamais de place en France pour ceux qui, souvent au nom d’un Dieu, parfois avec l’aide de puissances étrangères, entendent imposer la loi d’un groupe ». Ce faisant, il a confirmé que derrière le mot « séparatisme », il entend surtout lutter contre ce que sa ministre en charge de la « citoyenneté » appelle « l’islam politique ». Ce projet de loi vise « principalement le séparatisme islamiste », a d’ailleurs assumé Marlène Schiappa sur France Inter, le 31 août.

Emmanuel Macron a insisté vendredi sur ce point : « La République, parce qu’elle est indivisible, n’admet aucune aventure séparatiste. » Il a également affirmé qu’« on ne choisit jamais une part de France, on choisit la France ». Ses valeurs, ses principes, sa culture et son histoire constituent, aux yeux du chef de l’État, un « bloc », présenté de telle façon qu’il exclut toute réflexion sur la diversité, grande absente d’un discours où fut pourtant cité le poète Aimé Césaire.

Loin du mouvement perpétuel qu’elle devrait constituer, inlassable conquête de nouveaux droits, Emmanuel Macron a livré, sur un ton d’homme d’église, une vision sanctuarisée de la République, renouant avec l’idée d’« éternel Français » qui lui est chère. Employant à plusieurs reprises le mot « combat », qu’il résume désormais sous l’expression de « patriotisme républicain », il a également souligné que chaque citoyen avait « des devoirs et des droits, mais toujours des devoirs d’abord ».

Comme il l’avait déjà fait au mois de juin, le président de la République a de nouveau rendu hommage aux forces de l’ordre, et à « toutes celles et ceux qui luttent contre la violence, contre le racisme et l’antisémitisme », sans faire ne serait-ce qu’un sous-entendu à la discrimination systémique pratiquée par la police, récemment dénoncée par le Défenseur des droits. Il n’a bien évidemment pas eu un mot sur les violences policières – expression dont il refuse jusqu’à l’emploi.

Le chef de l’État a toutefois rapidement évoqué, d’un point de vue très général, la question des discriminations, reconnaissant que nous étions « encore loin, trop loin » du principe fondamental d’égalité. « Nous irons plus loin, plus fort dans les semaines à venir, pour que la promesse républicaine soit tenue dans le concret des vies », a-t-il de nouveau promis, sans plus de précisions. Le même discours d’émancipation était tenu pendant la campagne de 2017. Mais après trois ans d’exercice du pouvoir, il sonne faux.

Surtout, ce discours est littéralement écrasé par les questions identitaires auxquelles Emmanuel Macron s’est converti depuis un an. Le candidat d’En Marche ! qui défendait la diversité s’est métamorphosé en un farouche opposant au multiculturalisme, qu’il associe au communautarisme. Pour conserver l’électorat de droite qui est devenu le sien, le président de la République en a désormais adopté toutes les antiennes.

Reprenant à son compte le concept d’« archipellisation » de la société française, l’Élysée a confirmé que le discours du Panthéon constituait « l’acte 1 d’une série d’initiatives qui seront prises de manière à rappeler que dans ce pays, il y a une République qui garantit que nous vivons dans une société des droits de l’homme ». « À l’heure où c’est contesté par des forces qu’on peut qualifier très souvent d’obscurantistes, c’est un impératif qui s’imposait au président et à tous les Français », estime son entourage.

4 SEPTEMBRE 2020 PAR ELLEN SALVI


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