Rentrée brune dans les médias : la grande bienveillance du gouvernement

samedi 26 septembre 2020.
 

La rentrée médiatique a été dominée par des thèmes et des termes chers à l’extrême droite, le chroniqueur « identitaire » étant devenu une denrée de choix pour les chaînes d’info en continu. Un pas de deux, entre responsables politiques et médias, où l’exécutif prend largement sa part.

Au lendemain d’élections municipales ratées qui ont montré la difficulté du parti à s’ancrer sur le territoire, les responsables du RN peuvent au moins se féliciter d’avoir vaillamment conquis le terrain médiatique. Toute cette rentrée, le débat public a été colonisé non seulement par les thèmes de l’extrême droite – avec l’obsession sécuritaire – mais aussi par son vocabulaire entre « l’ensauvagement » et le « péril communautariste », certains – comme le président des Hauts-de-France Xavier Bertrand – s’évertuant à décrire une « France Orange mécanique », en référence au pamphlet de l’ultra-droitier Laurent Obertone, publié chez Ring.

Quand une journaliste du Figaro Magazine reçoit des messages menaçants après avoir assimilé aux terroristes du 11-Septembre une jeune étudiante voilée prodiguant des conseils de cuisine pour étudiants fauchés, c’est non seulement toute la droite qui lui apporte un soutien ferme – sans un mot pour l’étudiante victime de cette islamophobie ordinaire –, mais aussi le ministre de l’intérieur et le président du Sénat. Une victoire idéologique par K.-O.

Le « mercato » médiatique de la rentrée a montré qu’être issu de la « fachosphère » ou avoir eu des responsabilités dans un journal d’extrême droite est une des cartes de visite les plus prisées du moment. Au lendemain du scandale provoqué par la dégradante fiction dépeignant la députée Danièle Obono en esclave dans Valeurs actuelles, la rédaction d’une des principales radios de France – Europe 1 – apprenait avec stupeur que le rédacteur en chef de l’hebdomadaire d’extrême droite allait désormais diriger le service politique de la chaîne. Devant la levée de boucliers de la rédaction, celui-ci n’occupera finalement « que » le poste d’adjoint au chef du service politique.

Finalement écarté de l’antenne de LCI où il officiait depuis deux ans, Geoffroy Lejeune, directeur de la rédaction de Valeurs actuelles, après le tollé provoqué par le « roman » raciste visant Danièle Obono, a été recruté en cette rentrée dans l’émission « Balance ton post » sur C8 de Cyril Hanouna dont l’audience a récemment un peu décliné. À croire que « l’identitaire » est une valeur sûre pour rebooster l’audimat défaillant.

Un an après l’embauche controversée d’Éric Zemmour sur la chaîne de Vincent Bolloré, les bonnes audiences de son émission sur CNews – « Face à l’info » a rassemblé près de 500 000 téléspectateurs le 2 septembre, devançant sur cette case l’émission de Cyril Hanouna – font manifestement saliver tout le PAF. Le racisme crasse reste une valeur sûre.

La présence annoncée à la rentrée de Marion Maréchal comme chroniqueuse sur une chaîne télé a ainsi donné lieu à de frénétiques spéculations. Difficile de compter le nombre d’échos de presse qui ont feuilletonné sur la présence, ou non, de l’ancienne députée frontiste officiellement retirée de la vie politique. Avant l’été, des rumeurs la disent bientôt recrutée sur CNews, puis « contactée » par LCI, qui démentira.

En cette rentrée, non seulement Marine Le Pen peut donc taper du poing sur la table lorsqu’elle s’estime maltraitée ou que les cadres du RN ne font pas assez de matinales, mais c’est toute la nébuleuse identitaire qui gravite autour de sa nièce, désormais confortablement installée dans le paysage médiatique.

Si LCI a finalement renoncé à appointer Geoffroy Lejeune, l’ami fidèle de Marion Maréchal, en cette rentrée, difficile d’y voir un « cordon sanitaire » érigé par la chaîne face à l’extrême droite. Il aurait en tout cas été plus convaincant si LCI n’avait pas gardé Arnaud Stéphan, ancien mentor de Marion Maréchal, passé par le GRECE et la droite identitaire la plus radicale, comme chroniqueur régulier. Après avoir été jusque-là casé en deuxième partie de soirée, il occupe désormais avec le sourire la case 8 h 30-10 h sur LCI. Une jolie promotion pour celui que la chaîne présente aujourd’hui pudiquement comme un « communicant ».

Les amis de la petite-fille de Jean-Marie Le Pen sont désormais partout dans les médias. Dans ceux qu’ils ont créés pour faire caisse de résonance à la mouvance catholique identitaire comme à L’Incorrect, ou dans ceux qu’ils ont phagocytés comme Valeurs actuelles, mais aussi, et surtout, dans un nombre incalculable de talk-shows politiques où « l’identitaire » est devenu une denrée qu’on s’arrache.

La journaliste Charlotte d’Ornellas, passée par le site de « réinformation » Boulevard Voltaire et qui a cofondé en 2016 avec Damien Rieu de Génération identitaire l’éphémère magazine France, est une chroniqueuse régulière de « L’heure des pros » de Pascal Praud ou de « Punchline » de Laurence Ferrari sur CNews. Une chaîne où Gabrielle Cluzel, qui a pris la succession d’Emmanuelle Ménard à la rédaction en chef de Boulevard Voltaire quand elle a été élue députée, parle, elle, en continu, sur à peu près tous les sujets.

David Pujadas, longtemps proche de Patrick Buisson avec qui il a coanimé une émission politique pendant trois ans, a également recruté en cette rentrée, dans un style plus respectable, Alain Finkielkraut et Caroline Fourest dans son émission « 24 heures Pujadas », les deux essayistes ayant comme point commun une obsession sur l’islam qui permettra à la chaîne de faire bonne mesure face à ses concurrentes.

Dans cette banalisation de la parole xénophobe dans les médias – qui s’est récemment accélérée mais qu’on observe depuis plusieurs années –, le rôle de l’exécutif est troublant. Après l’abjecte fiction de Valeurs actuelles la concernant, Danièle Obono a reçu un coup de téléphone de Macron pour l’assurer de son soutien, le chef de l’État condamnant la publication pour laquelle le parquet a aujourd’hui ouvert une enquête pour « injure à caractère raciste ».

C’est pourtant lui qui, un an plus tôt, avait apporté une reconnaissance symbolique à l’hebdomadaire d’extrême droite en lui accordant un très long entretien sur des thèmes chers au journal : l’islam, le communautarisme, etc. « Il faut parler à tout le monde », expliquait alors l’entourage du chef de l’État. Macron, en pleine campagne présidentielle, avait déjà choisi Tugdual Denis, le rédacteur en chef adjoint de Valeurs actuelles, pour raconter sa visite très politique au Puy-du-Fou et mettre en scène l’accueil bienveillant à son égard de Philippe de Villiers.

Si nombre de personnalités politiques, y compris à gauche, ont accordé des entretiens à Valeurs actuelles ces dernières années, ceux donnés à l’hebdomadaire par plusieurs ministres ont incontestablement apporté une légitimation inespérée au journal.

Longtemps considérée comme la « caution de gauche » du gouvernement, Marlène Schiappa a d’ailleurs offert, en cette rentrée, un opportun soutien à l’hebdomadaire d’extrême droite, en pleine tourmente après son « roman » Obono. Invitée sur France Inter à expliciter la loi à venir contre le « séparatisme », celle qui est devenue ministre déléguée à la citoyenneté auprès de Gérald Darmanin, juge le dessin représentant Obono « pas correct, c’est un euphémisme », mais explique qu’elle continuera à donner des entretiens à l’hebdomadaire car « les gens qui lisent Valeurs actuelles ont le droit de savoir ce que fait le gouvernement ».

Quelques minutes plus tôt, Marlène Schiappa avait validé l’emploi du terme « ensauvagement » relancé par Darmanin en expliquant « que c’est le rôle du ministre de l’intérieur d’avoir des mots forts et d’être offensif ». La « une » de l’hebdomadaire cette semaine-là, contenant la fiction incriminée, montrait deux jeunes hommes noirs juchés sur le toit d’une voiture, et sobrement titrée : « Ensauvagement : soixante jours dans la France des nouveaux barbares ».

Un an et demi auparavant, le 20 février 2019, encore secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, Schiappa fait la couverture en accordant un entretien fleuve à l’hebdomadaire où elle multiplie les perches au lectorat de Valeurs actuelles. « Je suis très opposée au modèle de société multiculturaliste à l’anglo-saxonne » car « adhérer à la citoyenneté française doit être un pacte d’adhésion à nos valeurs, à notre philosophie », lance-t-elle. En référence aux agressions survenues à Cologne le soir de la Saint-Sylvestre, elle entonne le même refrain que l’hebdomadaire sur la prétendue indignation sélective des féministes françaises… « Au moment des événements de Cologne, j’avais été très choquée par un certain déni de féminisme. Au nom de quoi serait-ce plus tolérable pour un pauvre violeur immigré de commettre une agression sexuelle ? », interroge-t-elle.

Encore ministre du budget, le très sarkozyste Gérald Darmanin accepte, lui, un long dialogue avec Éric Zemmour dans les colonnes de l’hebdomadaire, le 3 avril 2019. Il intervient quelques jours avant le discours de la Convention de la droite, pour lequel Éric Zemmour est aujourd’hui poursuivi pour injure et provocation à la haine raciale et encourt une amende de 10 000 euros requise en juillet par le parquet.

Gérald Darmanin qui est encore ministre du budget se livre en préambule à un étrange hommage au polémiste pourtant déjà condamné pour provocation à la haine raciale. Il avoue avoir lu tous ses livres. « Certains m’ont plu tout particulièrement : L’Homme qui ne s’aimait pas est certainement un des livres que j’ai le plus relu. J’avoue moins apprécier Destin français car il ne remplacera pas Bainville », affirme-t-il en référence à l’œuvre du maurrassien et pilier de l’Action française Jacques Bainville. S’il a un reproche à faire à la nouvelle coqueluche de CNews, c’est d’être « très sartrien ». Une accusation qui dans l’hebdomadaire d’extrême droite revient à le juger trop à gauche… N’en jetez plus !

Bruno Le Maire, quant à lui, a accepté en avril 2019 un dialogue avec Éric Zemmour au Cirque d’Hiver, lors d’une soirée coorganisée par Valeurs actuelles, qui sera marquée par l’évacuation violente des féministes du collectif « La barbe » et les saillies xénophobes de plusieurs invités, sans aucune réprobation du ministre, comme l’avait raconté Mediapart.

C’est en fréquentant les mêmes plateaux de télévision que Geoffroy Lejeune et Bruno Roger-Petit, actuel « conseiller mémoires » de Macron, et ex-porte-parole de l’Élysée, se sont liés d’amitié. Ce proche du président a d’abord invité à parler de sport l’ami intime de Marion Maréchal dans son émission « #BRP » diffusée sur le site Sport365. Aujourd’hui, comme l’a récemment révélé Le Monde, le conseiller de Macron continue de tester ses formules auprès de l’identitaire aux cheveux mi-longs qui sera reçu à l’Élysée, aux côtés de Charlotte d’Ornellas, en avril 2019, lors de la cérémonie de remise de la Légion d’honneur à Michel Houellebecq.

Reconvertie en animatrice de talk-show, l’ancienne ministre de Sarkozy Roselyne Bachelot, avant de devenir l’actuelle ministre de la culture d’Emmanuel Macron, installe à sa table, en tant que chroniqueuse régulière de son émission « L’heure de Bachelot » sur LCI, la rédactrice en chef de Boulevard Voltaire Gabrielle Cluzel. Une jolie légitimation symbolique pour celle qui dirige un site condamné en 2014 pour incitation à la haine contre les musulmans. En juin 2019, sur le plateau de Roselyne Bachelot, on l’entend défendre longuement la présence de Marion Maréchal au Medef. « Mais quoi, elle a tué sa grand-mère ? Elle égorge des chatons ? », s’époumone-t-elle en réponse à la polémique provoquée par l’invitation – finalement retirée – faite par l’organisation patronale à la petite-fille de Jean-Marie Le Pen.

Dans la banalisation et la légitimation de l’extrême droite dans l’espace médiatique, l’exécutif actuel aura eu sa part. Une façon, sans aucun doute, d’installer un paysage


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