Les évangéliques aux Etats-Unis : « In Trump We Trust »

vendredi 25 septembre 2020.
 

À la racine du discours de « guerre civile » du président américain, on trouve les chrétiens blancs de confession évangélique, au premier rang desquels son vice-président et son chef de la diplomatie. Certains prophétisent une « seconde guerre civile » et ont une règle : tout est bon dans le chaos.

Les chrétiens blancs de confession évangélique – plus communément dénommés « évangéliques » – figurent parmi les soutiens inconditionnels de Donald Trump. Ils avaient amplement participé à la victoire en 2016. Quatre ans plus tard, en pleine campagne de réélection, on décèle leur influence dans les discours de « guerre civile » déclamés par le candidat républicain : diabolisés, les démocrates sont accusés de vouloir imposer le socialisme et le chaos aux États-Unis.

« En Amérique, il y a environ 95 millions d’évangéliques, et au moins 60 millions sont des néo-charismatiques pentecôtistes, une frange qui met l’accent sur les dons de l’esprit », dit André Gagné, professeur titulaire à l’université Concordia (Montréal) et auteur du récent ouvrage Ces évangéliques derrière Trump (Labor & Fides).

Que sont ces « dons de l’esprit » ? « Des charismes surnaturels qu’accorde le Saint-Esprit aux croyants pour qu’ils effectuent leur service (ce qu’ils appellent le “ministère”) en vue de l’édification de la communauté chrétienne (ce qu’ils appellent “le corps du Christ”), répond André Gagné. Quelques-uns de ces dons sont le parler en langues (la glossolalie), la prophétie, les guérisons, les miracles, la parole de connaissance, etc.

Ces évangéliques voient Trump comme un « élu de Dieu ». Pour ces croyants, il a été « choisi » pour lutter contre les tendances libérales en matière de mœurs – avortement, droits des personnes LGBTQ+, cours d’éducation sexuelle… – de la société américaine, mais aussi contre les ennemis extérieurs (Russie, Chine, Iran). En août 2019, interrogé sur la guerre commerciale qu’il engage avec Pékin, Trump déclare tout simplement : « I’m the chosen one » (« Je suis l’élu »). 9782830917246

Mais comment un type à la moralité aussi douteuse peut-il attirer ces hommes et femmes de foi, peut-on se demander (au risque de paraître « old school ») ? C’est que rien de cela n’a d’importance à leurs yeux. Trump n’est pas un saint, mais plutôt une nouvelle version d’un de ces personnages historiques païens comme Cyrus, le fondateur de l’Empire perse, qui a libéré les Juifs après avoir envahi Babylone au VIe siècle avant notre ère et leur a permis de reconstruire leur temple à Jérusalem.

Tout comme le roi perse, Trump est riche et puissant. Et aux yeux des évangéliques, c’est forcément Dieu lui-même qui permet l’émergence d’un nouveau Cyrus pour faire advenir une nation étasunienne régie par les valeurs judéo-chrétiennes.

En mai 2019, l’un des dirigeants de cette frange religieuse, Lance Wallnau, soutien de la première heure, a commencé à vendre au prix de 45 dollars une « pièce de prière présidentielle » à l’effigie des deux hommes (Trump et Cyrus !) pour promouvoir la réélection de son président favori. « Cette bataille pour l’avenir des États-Unis a déjà commencé, expliquait-il. Nous devons prier maintenant et nous ne devons pas être prisonniers du désespoir, de l’anxiété ou de la peur. »

Dans cette « bataille culturelle », Trump peut compter sur le soutien non seulement de deux évangéliques qui figurent dans son gouvernement – le vice-président Mike Pence et le chef de la diplomatie Mike Pompeo –, mais aussi de sa « conseillère spirituelle » à la Maison Blanche, Paula White-Cain. Celle-ci avait été la première femme à prononcer une prière d’invocation à la cérémonie d’investiture d’un président américain, celle de Trump en 2016.

Arrêtons-nous un instant sur ce personnage haut en couleur et controversé – elle a ainsi déclaré : « Partout où je vais, Dieu règne. Quand je marche à la Maison Blanche, Dieu marche à la Maison Blanche. Quand je rentre dans la rivière, Dieu rentre dans la rivière. Quand je vais dans une laverie, cette laverie devient un lieu sacré. J’ai le droit et l’autorité de déclarer terre sacrée la Maison Blanche, car j’y étais et partout où je suis l’endroit devient sacré »… À ce compte, les mensonges de Trump, qualifiés de « faits alternatifs », peuvent apparaître en effet comme parole d’Évangile !

Elle accompagne Trump depuis 18 ans, dit-elle. Cette télévangéliste fortunée, pasteure de 2014 en 2019 d’une méga-église en Floride, accusée d’avoir détourné les fonds des fidèles pour son train de vie personnel (plutôt luxueux), appartient au courant de l’« Évangile de la prospérité », persuadé que plus l’on est riche, plus l’on est béni des dieux.

Charlatan pour ses contempteurs, elle « joue un rôle pivot », dit André Gagné, qui ajoute : « En 2015, elle a été capable de rallier des évangéliques de différentes confessions autour de la candidature de Donald Trump. C’est elle qui a organisé la réunion des évangéliques avec lui à la Trump Tower à New York. »

C’est aussi elle qui a donné le ton le 18 juin 2019 lors du lancement de la campagne de réélection de Donald Trump à l’Amway Center d’Orlando en Floride. Devant 20 000 personnes, elle prononce une prière de « combat spirituel », un classique de la rhétorique évangélique. Citant des versets à tout-va, elle appelle à lutter « contre les dominations, contre les autorités, contre les princes de ce monde de ténèbres, contre les esprits méchants dans les lieux célestes ». Pour résumer, cette nouvelle campagne est un combat contre les forces du mal.

« Ce qui frappe le plus, c’est la volonté de diaboliser l’adversaire politique, de l’associer aux forces du mal. Ce genre de rhétorique polarise de plus en plus l’électorat américain », souligne le professeur titulaire à l’université Concordia (Montréal).

Au vu des événements récents et de la tournure prise par la campagne, Paula White-Cain semble s’être convertie en conseillère politique. Critiqué pour sa gestion désastreuse de la crise du coronavirus, Trump joue en effet à fond la carte religieuse. Le 1er juin, il fait en sorte de disperser violemment des manifestants pacifiques de Black Lives Matter rassemblés devant la Maison Blanche pour pouvoir se faire prendre en photo, Bible à la main, devant une église vandalisée. Un mois plus tard, la Maison Blanche en fait une vidéo de promotion.

Il fait également pression sur les États pour obtenir une réouverture plus rapide des églises.

En août, sur le tarmac de l’aéroport de Cleveland, en pleine mobilisation contre les violences policières dans le sillage du meurtre de George Floyd par la police, il attaque Biden, un catholique pratiquant, et dit de lui qu’il est « contre Dieu ». « Oubliez les armes à feu, oubliez le second amendement [qui garantit le droit d’être armé – ndlr]. Plus de religion, plus rien. On porte atteinte à la Bible, à Dieu. Il est contre Dieu, contre les armes. »

Le porte-parole de Joe Biden a répliqué : « Donald Trump est le seul président dans notre histoire à avoir gazé avec du lacrymogène des Américains pacifiques et jeté un prêtre hors de son église pour pouvoir la profaner – et une Bible aussi. Et tout ça avec l’objectif cynique de chercher à diviser notre nation à un moment de crise et de douleur. »

Trump a choisi la politique du pire pour sauver sa peau et, dans ce climat d’hystérie, les évangéliques sont comme des poissons dans l’eau. Ne voient-ils pas dans le chaos annoncé le signe que Jésus reviendra les chercher afin que le royaume de Dieu s’établisse finalement sur terre ? « Les gens ont le droit de croire ce qu’ils veulent. Le danger, c’est quand ce qu’ils croient influence la politique, qu’elle soit nationale ou internationale », souligne André Gagné.

Le secrétaire d’État Mike Pompeo, « lit la bible et tente de faire correspondre les Écritures avec la réalité du monde d’aujourd’hui, poursuit-il. Sur le plan géopolitique, c’est inquiétant ». Dans sa vision, Israël est une nation à défendre coûte que coûte, au détriment du peuple palestinien, car, toujours selon les évangéliques, le retour de Jésus sur terre sera précédé par la possession pleine et entière de la Terre sainte par le peuple juif.

Cette vision du chaos à venir qu’ils appellent de leurs vœux a accouché depuis les années 1990 d’un discours sur l’avènement d’une « seconde guerre civile aux États-Unis ». C’est ce qu’affirme un pasteur et animateur de radio, Michael Brown, auteur en 2019 du livre La Guerre de Jézabel avec l’Amérique : le complot pour détruire notre pays et ce que nous pouvons faire pour renverser la tendance (Jezebel’s War With America : The Plot to Destroy Our Country and What We Can Do to Turn the Tide).

Dans la bible, Jézabel, femme d’Achab, roi d’Israël, est décrite comme usant de son pouvoir de séduction pour tuer des prophètes de Dieu. Michael Brown prévient : « Nous sommes à l’aube d’une guerre civile aux États-Unis. Mais cette fois, ce sera l’avortement, et non pas l’esclavage, qui divisera la nation. Et même si j’espère de tout mon cœur que ce ne sera pas une guerre de violence physique, le conflit idéologique sera sans aucun doute violent et intense. »

Nous y sommes donc, dans des temps inquiétants entretenus par ces prophètes de mauvais augure qui croient dans un autre charlatan, politique celui-là. Mais Donald Trump, lui, y croit-il vraiment ? On peut se poser la question, même s’il est difficile d’y répondre.

Dans le livre que vient de publier un de ses anciens proches, l’avocat Michael Cohen – qui fut son âme damnée avant de se retourner contre lui –, il est question de la réunion avec les évangéliques à la Trump Tower en 2015, au cours de laquelle tous avaient apposé leurs mains sur le futur président pour prier.

Selon Michael Cohen, Trump lui aurait dit une fois cette cérémonie achevée : « Comment peut-on croire dans ce genre de conneries ? Peux-tu croire que des gens croient dans de telles conneries ? » Seul Dieu pourra reconnaître les siens…


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