Insécurité : changer la police

dimanche 20 septembre 2020.
 

La sécurité ! Une fois de plus face à la menace d’une secousse sociale de grande amplitude, le système ressert son vieil attrape-mouche : « la sécuritéééé ». Tous ceux qui ont intérêt à ce que l’on « parle d’autre chose » se retrouvent dans un même bêlement, une même échelle de perroquet, une même escalade de surenchères. Il n’est pas question de la mort au travail, des suicides professionnels quotidiens, ni des féminicides, ni des enfants décrocheurs par milliers. Non, juste la « sécuritééé ».

Il est important de bien comprendre la technique mise en œuvre. Une pluie de propos outranciers et de sottises caricaturales se déverse sur les plateaux médiatiques. Quiconque essaie de résister par dignité intellectuelle à une telle hystérie est immédiatement mis au service de cette comédie sans le vouloir. Car le but de tout cela n’est pas de discuter, de comprendre ni même d’imaginer des solutions rationnelles. Aucun des bavards n’en a. Il s’agit juste de camper un paysage avec d’un côté des réalistes, qui « font face » et ne sont « pas dans le déni » et de l’autre côté des angéliques si angéliques qu’on peut les soupçonner d’être complices. Évidemment il s’agit de désigner une cible qui permette de provoquer une profonde division dans le peuple populaire et l’empêcher de devenir autre chose qu’un bétail affolé qui supplie qu’on lui donne des chiens de gardes.

Cette comédie dure depuis des années. Nous sommes tout le temps perdants. Car les affoleurs publics ont toujours le dernier mot. Il faut donc changer de tactique. Mieux vaut ouvrir le débat sur la façon de régler le problème plutôt que sur son existence. « Oui, il y a un problème » Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi n’arrive -t-on pas à le régler après 20 ans d’intense mobilisation politico-médiatique ? Notre réponse : même si les chiffres sont à la baisse la situation est insupportable pour ceux qui la subissent. Les insécurités sont grandissantes : violences, BIEN SÛR, mais aussi sanitaires, sociales, etc. Pourquoi la violence augmente-t-elle ? parce que la police est mal employée, mal formée, mal commandée, mal équipée. Elle est donc inefficace. Comment s’en sortir ? En réformant de fond en comble toute la police : ses effectifs, sa formation, sa doctrine d’emploi, son commandement. Quelle politique : frapper les réseaux à la base de la délinquance diffuse : armement, traite des êtres humains, drogue, racket. Pour le reste politique en trois mots : prévention, répression, réparation. La ligne d’action : rationaliser le débat. Refuser bien sûr les propos démagogiques « je suis très inquiet devant la violence croissante », etc. refuser les défaussages : « oui il y a un problème ». Entrer dans le concret : « vous serez sans doute d’accord pour dire », etc. « prévention, répression, réparation »

En face, les affoleurs publics mettent le paquet. Une longue interview dans Le Parisien du ministre Darmanin et de sa secrétaire d’État Marlène Schiappa publiée lundi 7 septembre vient le confirmer. Le ministre de l’Intérieur y déploie sa posture de shérif du far-west, revendique le mot venu de l’extrême-droite, « ensauvagement », et claque des formules définitives comme « la drogue, c’est de la merde ». Surprise, Marine Le Pen a choisi le même sujet pour sa propre rentrée ! Cette fois-ci, c’est elle qui court derrière « La République en Marche » pour les délires. Pour se mettre au niveau du ministre de l’Intérieur, elle a donc prononcé un discours sur ce seul thème lors de ses universités d’été à Fréjus, le 6 septembre. Elle parle elle d’une « France coupe-gorge », de « nos rues où règne l’anarchie ».

Mais au-delà de la com’, cette partition éculée déjà jouée par Sarkozy et Valls ne règle rien aux problèmes de crime et de délinquance. Les coups de menton du ministre de l’Intérieur servent essentiellement à masquer l’inefficacité de l’organisation actuelle de la police française. Et le fait qu’il ne fait rien de sérieux pour y remédier. L’actualité a montré de manière cruelle cette inefficacité. Voyez l’affaire grenobloise, fin août. Darmanin, depuis son bureau à Paris, ordonne une descente de police dans le quartier du Mistral, sur la base de vidéos vues sur Twitter. Résultat de l’opération de police : quelques dizaines de « consommateurs » contrôlés mais pas arrêtés et « deux scooter saisis » (sic). Alors qu’on était censé affronter un gang armé. Quelques jours plus tard, un groupe de rap de Grenoble dévoile qu’il s’agissait d’une mise en scène pour un tournage, avec des armes totalement factices. L’État lui aussi est ressorti de cette histoire humilié d’avoir voulu courir après des jouets en plastique, son autorité abaissée. La faute est pour Darmanin, lui qui avait osé dans cette affaire accuser le maire Éric Piolle et sa première adjointe Elisa Martin. Comment l’État et la police nationale peuvent-ils être à ce point trompés ? Il n’y a donc aucune personne au sein de la police qui soit au courant de la réalité du trafic de drogue dans le quartier du Mistral à Grenoble ? Plus de renseignement territorial et humain ? Les policiers peuvent donc être bernés aussi facilement ? La police est ridicule : incapable de savoir ce qui se passe sous ses yeux. Le livre du journaliste infiltré dans un commissariat en dit long sur les priorités de tous ces gens. Peut-on attendre un sursaut professionnel venu de l’intérieur de ce corps de fonctionnaires ? Apparemment non. Ceux qui dénoncent sont vécus et traités comme des traitres. Le commandement se charge de les réprimer vicieusement comme vient de le faire le préfet Lallement une fois de plus.

Mais le plus traumatisant c’est évidemment le ridicule qui désormais revient en boucle sur l’activité du service. En juin dernier, un règlement de compte avait entraîné la descente de plus de 150 personnes de nationalité tchétchène à Dijon. Pendant trois jours, ils avaient commis des violences dans la ville et brandi des armes. Tout le monde s’était alors étonné du temps de réaction de l’État. J’avais pointé l’anormalité de l’absence de renseignement policier sur l’arrivée depuis l’extérieur et même l’étranger d’une bande armée de 150 personnes dans une ville paisible. Évidemment, les médias en continu ont craché un maximum d’huile sur le feu et n’ont jamais rétropédalé après que la vérité ait pourtant été bien établie. Quelques mois plus tôt, en octobre 2019, l’arrestation ratée du faux Xavier Dupont de Ligonnès avait déjà bien fait rigoler au détriment de la police. Car elle n’était vraiment pas reluisante pour le prestige de la police française ! D’abord elle identifie mal une personne comme un suspect recherché, puis rate son interpellation à Roissy Charles de Gaulle, et se croit obligée de confier la tâche à la police écossaise. Pour finir, après un tapage médiatique monstrueux, tout tourne à l’eau de boudin : le suspect n’en était pas un !

Ces exemples montrent l’ampleur du problème. La police française est devenue inefficace dans sa mission qui est d’assurer la tranquillité publique et la sûreté. C’est cela qui créé le fameux « sentiment d’insécurité ». Il faut faire porter la responsabilité de ce délitement au bon niveau. C’est le haut de la chaîne de commandement qui est en cause. Ce sont les ministres successifs qui ont désorganisé la police, l’ont détourné de son rôle de gardien de la paix. Les échecs récents de la police ordinaire plaident pour une révision générale de l’organisation du corps.

L’urgent, c’est d’abord de changer de priorités dans l’action des forces de police. L’ère Macron est celle de leur un déploiement abusif pour la répression violente des mouvements sociaux, des militants syndicaux, écologistes et politiques. Le bilan terrible des manifestations de gilets jaunes avec sa trentaine d’éborgnés, ses cinq mains arrachées et ses centaines de blessés, parle pour lui. Les centaines de condamnés à de la prison ferme témoigne d’un cycle où la violence ne devient légitime qu’avec l’approbation après coup de violentes condamnations qui prolongent l’abus de pouvoir qu’est cette répression. À Paris, le préfet Lallement a systématisé les techniques de provocation d’incidents violents par le nassage et le gazage gratuit des cortèges. Ainsi, il obtient des images utiles pour discréditer les mouvements sociaux et invisibiliser leurs revendications dans les médias.

Il s’agit d’une utilisation politique de la police pour servir les intérêts du gouvernement plutôt que ceux de la tranquillité du peuple. Cette méthode doit cesser. L’Avenir en Commun propose de remettre dans le code de déontologie de la police que celle-ci œuvre pour « la défense des libertés et de la République ». Et non pour la défense de ceux qui occupent le pouvoir. Cette précision avait été retirée du code par Valls. Je réitère aussi mon appel à désarmer l’encadrement des manifestations. L’usage des LBD et des grenades est proscrit dans ce contexte en Allemagne, au Royaume-Uni, en Suède, en Finlande, en Irlande, en Norvège, en Belgique ou en Autriche. La police française doit revenir en la matière à une doctrine de la désescalade ayant pour objectif de permettre l’exercice du droit de manifestation.

L’efficacité policière est aussi détruite par la politique du chiffre. Celle-ci conduit toute la police à se concentrer sur les flagrants délits, auto-élucidés, plutôt que sur le travail d’enquête au long cours pour démanteler les réseaux. Les chiffres des effectifs suffisent pour se convaincre de cette dérive. La BAC, qui ne fait que du flagrant délit, avec le cortège de harcèlement et de brutalités que l’on connait, compte 7000 policiers dans ses rangs. Ce sont 2000 de plus que les brigades de la police judiciaire affectées aux enquêtes sur le trafic d’armes, la criminalité organisée, la drogue, la délinquance financière, le trafic d’êtres humains, le trafic de monnaies, etc.

Gerald Darmanin va dans le sens de cette préférence pour la flagrance et les petits délits. C’est le principal effet qu’aura sa décision à propos des amendes pour les consommateurs de cannabis. Les policiers vont passer leur temps à courir après les fumeurs, une manière d’améliorer facilement leurs chiffres, qu’après les trafiquants. Par ailleurs, dans le cadre d’enquêtes pour démanteler les trafics, les consommateurs sont souvent les premières sources de renseignement des policiers sur les trafiquants. Penser qu’il s’agit juste de mettre des amendes aux fumeurs de cannabis c’est donc ne rien connaitre au travail policier sérieux.

Les statistiques des faits délictueux constatés sont aussi parlantes. L’un des délits les mieux et les plus vite réprimés de la police française est celui « d’outrage sur une personne dépositaire de l’autorité ». On la comprend. Il est commis en même temps qu’il est constaté : parfait pour gonfler les chiffres. De plus, il peut donner lieu à des indemnités pour le policier en cas de procès. Cette pratique souvent mise à contribution a déjà été pointée par certains médias qui s’en sont émus. En 2019, les policiers en ont constaté 30 000. C’est-à-dire 60 fois plus que des faits de proxénétisme ou 45 fois plus que des faits de fraude fiscale. Voici les dégâts de la politique du chiffre. Ils conduisent notre police à délaisser certains problèmes graves. Comme celui de la circulation des armes. Il y a entre 6 et 11 millions d’armes non déclarées qui circulent dans le pays. Pourtant, on en saisi à peine 5000 par an.

L’urgence pour garantir le droit à la tranquillité publique de tous n’est donc pas dans les opérations de communication façon cow-boy de Darmanin. Il serait bien plus utile de redéployer les moyens à l’intérieur de la police. Moins de policiers pour gazer les manifestations et faire du contrôle d’identité et plus pour traquer les réseaux de trafic d’armes et de drogues. Avec cela, il faudrait aussi améliorer le niveau matériel concret de nombreux commissariats : rénover les locaux, renouveler les ordinateurs, changer les voitures.

Enfin, la question du lien entre police et population ne peut pas être éludée. Ce lien est très dégradé voire rompu dans certains endroits. Or, il ne peut y avoir de travail de police sans la confiance de la population dans l’institution et ses agents. C’est pourquoi les insoumis ont proposé la mise en place du récépissé en cas de contrôle d’identité. Le racisme dans la police doit être traqué et puni de manière intraitable. L’Avenir en Commun ouvre aussi le débat sur la mise en place d’une garde nationale composée de volontaires issus du service national citoyen qui se combinerait à la troupe professionnelle dans un corps de garde républicain enfin voué au maintien de la paix publique.


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