« La neutralité n’est qu’une posture d’imposteur … Indignez-vous ! Engagez-vous ! »

dimanche 16 août 2020.
 

Nous reproduisons ici le discours prononcé à l’occasion du 33ème Congrès de la Conférence Internationale des Barreaux de tradition juridique commune (CIB) au Palais de Beaulieu de Lausanne

« La neutralité est-elle une forme de lâcheté ? ». Sans blague, ce sujet n’est pas une blague ! Car c’est du procès de la neutralité qu’il s’agit ; procès ardu s’il en est. Aussi, il me semble que cette audience eût dû se tenir ailleurs plutôt qu’à Lausanne, ici, sur le territoire Suisse ; cette Suisse altière qui aura fait de sa neutralité bicentenaire une Religion D’État. Il y aurait tout lieu d’ordonner le renvoi de juridiction pour cause de sûreté publique.

Mais…passons… Honorables Jurés, dissipons d’emblée tout malentendu sur le sujet ; et voyons en quoi le neutre diffère à la fois du partisan et de l’éclectique. En effet, devant une problématique donnée, le partisan assume ou la thèse ou l’antithèse ; l’éclectique se situe à califourchon sur la thèse et sur l’antithèse dont il tire une synthèse ; alors que le neutre, lui, se refuse de prendre parti. Ni pour la thèse ni pour l’antithèse ni pour la synthèse. Ni pour l’un ni pour l’autre des deux antagonistes. Ni pour Voltaire ni pour Rousseau, ni pour Senghor ni pour Césaire, ni pour ni contre l’avortement, ni pour ni contre la peine de mort, et pour être contemporain, le neutre n’est ni pour le Grand Barca ni pour le… Je sais !

Oui, je sais ! On nous a vanté mille vertus de la neutralité. On a répandu que la neutralité serait la sagesse de la prudence ou la prudence de la sagesse ; que la neutralité préserverait de la vengeance, de l’affrontement ; qu’elle garantirait la paix républicaine ; on a même soutenu que la neutralité serait gage de crédibilité… Non, ce n’est là qu’une péroraison tonitruante. A dire vrai, Dieu sait que toute neutralité cache une lâcheté qui a honte à s’avouer. Oui, la neutralité, c’est de la lâ-che-té.

Est-il besoin de le prouver ? En fait, vous le savez bien autant que moi : la raison humaine est jugement et le coeur humain est parti pris. Il en résulte qu’aussitôt qu’éclairé par les données d’un débat ou d’un conflit, humain, on ne peut pas ne pas prendre parti. La neutralité donc, si tant est qu’il soit possible d’être neutre, la neutralité, dis-je, n’est qu’une posture d’imposteur adoptée pour le besoin de la cause ou pour la cause du besoin. Un leurre. Une ruse. Et Pierre Billon a eu tant raison d’affirmer que « la neutralité c’est une chose qu’on trouve dans les discours, pas dans le cœur des gens ». (1). Dès lors, si s’interdire de clamer tout haut ses convictions par peur d’en subir les conséquences n’est pas de la lâcheté ; si renoncer à l’action par crainte de représailles n’est pas de la lâcheté ; si, m’ enfin ! voir l’injustice et passer son chemin n’est pas de la lâcheté, admettez au moins, admettez néanmoins que cela y ressemble beaucoup. Non ! Non ! Jamais ! La neutralité n’est pas une vertu. Des individus aux États, elle reste une veulerie. Eh quoi ! Un ami qui a fait vœu de ne jamais prendre parti pour personne ? Non merci ! Et en quoi serait-il donc mon ami, lui qui ne porterait pas sa part de mon malheur ? Que la neutralité nous préserve du chaos de l’affrontement… Oui, j’entends bien ; autant, heureusement ! qu’elle permet à l’injustice de prospérer. Voir la Shoah, l’apartheid, la ségrégation raciale, la xénophobie, l’esclavage sexuel, le terrorisme, des millions de viols et morts à l’Est du Congo, mon pays, oui voir tout cela et détourner son regard, c’est cela l’héroïsme de la neutralité.

Et dire que la paix perpétuelle de certains est à ce prix ! Comme si au-delà de la patrie, il n’y avait pas l’humanité ! Un Régime qui opprime son peuple a tout à gagner que des États tiers au conflit demeurent neutres. Mais Desmond Tutu considère avec raison que « si vous êtes neutres dans les situations d’injustice, vous avez choisi le côté de l’oppresseur ». Car « La neutralité, renchérit Elie Wiesel, aide l’oppresseur, jamais la victime ».

Alors… alors.., on m’objectera que la neutralité nous aurait évité l’enfer Lybien, l’Irak, l’Afghanistan, la Syrie, le Darfour, les migrants, etc. Certes mais comprenez-moi bien : si je conçois que l’indifférence et l’inaction qu’implique la neutralité sont funestes, je n’applaudis pas pour autant des interventions arbitraires dictées par des convictions parfois insincères. Et encore, toute parturition n’est-elle pas douloureuse ? 620.000 soldats tombèrent sur le champ de bataille lors de la guerre de sécession qui déchira l’Amérique de Lincoln ; mais il y avait un message de justice dans le crépitement de chaque balle tirée durant cette guerre-là. Ces crépitements d’obus étaient autant de voix qui rappelaient en chœur si besoin en était encore que « tous les hommes naissent libres et égaux en dignité et en droit » : Les Noirs aussi.

La neutralité est un leurre. Tenez ! Le Géant d’Asie a rassuré d’être de toute neutralité. Sapristi ! Une aubaine pour les roitelets du « Gondwana » qui jubilent et rendent grâce aux descendants de Mao d’avoir des droits de l’homme une vision aussi « grande » que leur taille. Mais ne vous y méprenez pas : Pékin se sait parce que Mao est à table, la table de Mendeleïev ; et en Afrique, lui dit-on, « il est impoli de parler quand on mange ; et malpoli de jaser la bouche pleine ».

La neutralité a engendré la langue de bois.

Ce patois de politiques irrésolus. Des lâches qu’effraie l’opinion publique. Ils disent aux uns : « vous avez raison », et aux autres : « vous n’avez pas tort ». Il est honteux d’être sans honte ! Est-ce cela la politique ? Enfin quoi, dans un monde mondialisé se nourrissant des confluences, si la neutralité n’est pas une lâcheté, elle devient une absurdité. Voilà, Honorables Membres du Jury, il ne me reste plus rien à prouver. Oh que si ! Vous rappelez que Dieu même a en horreur la neutralité. « Ainsi parce que tu es tiède, et que tu n’es ni froid ni bouillant, je te vomirai de ma bouche, déclare-t-il ». Bien ! La preuve est faite !

Maintenant, Mesdames, Messieurs, laissez-moi vous dire que j’ai un rêve. Moi aussi ! (N’ayant pas le monopole du sommeil, Martin Luther King ne peut avoir celui du rêve). J’ai un rêve. Mon rêve le voici.

Et si ce 33ème congrès de la CIB était celui de la rencontre de chaque avocat avec sa cause humaniste ! L’idéal pour lequel il devrait désormais vivre et même mourir s’il le faut. Quittez la tranquillité de votre neutralité !

« Pour les avocats dignes de la robe qu’ils portent, disait Jacques Isorni, il n’y a que le grand combat, poitrine découverte, avec tous ses dangers et tous ses risques… ». Quittez le confort de votre neutralité indifférente et descendez dans l’arène vous mêler des choses qui ne vous regardent pas.

L’humanité vous en saura gré. Comme Zola pour Dreyfus, accusez ! Comme Voltaire, donnez à graver cette épitaphe : « Il défendit Calas… ». Comme Sartre et Che Guevara, soyez de tous les combats ! Comme Mandela, quittez votre robe d’avocat s’il le faut et allez vers le large ! Et comme Vergès, sauvez Djamila et épousez-là. Indignez-vous ! Engagez-vous !

Car « Quiconque n’est pas dégouté par ce qui est dégoutant est encore plus dégoutant que ce qui ne le dégoûte pas ».


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