En Thaïlande, sous les costumes d’Harry Potter, une révolution en marche ?

lundi 10 août 2020.
 

Depuis deux semaines, de jeunes Thaïlandais bravent les interdictions de se rassembler pour appeler au changement. Ils osent même défier la sacro-sainte monarchie.

Les allures sont bien souvent trompeuses. À voir des jeunes gens déguisés en Harry Potter, comme ce fut le cas ce lundi 3 août, ou brandir le week-end dernier des images de Hamtaro, un personnage de manga, qui croirait avoir devant les yeux autre chose qu’un simple jeu ? Et pourtant…

Ce qui est en train de se jouer depuis quelques semaines dans les rues de Bangkok – et petit à petit ailleurs en Thaïlande – prend la forme d’une profonde remise en cause du socle de valeurs sur lequel repose la société, analyse Wichit Chaitrong, du quotidien The Nation. Au sein de ce mouvement spontané et hétéroclite, le seul point commun semble être la jeunesse de ses adhérents. Une jeunesse qui se sent inspirée par le soulèvement à Hong Kong, comme le raconte sur le site d’information Khaosod l’étudiant Sirapob Phumphengphut. Une pancarte blanche en main et étroitement surveillé par, dit-il, une quarantaine de policiers, le jeune homme de 19 ans explique son geste :

“Je voulais voir ce qu’il se passerait si nous faisions la même chose ici. Et nous voulions montrer avec cette feuille blanche que personne n’est derrière nous et que tout ce que nous voulons, c’est la démocratie.”

Au cœur de leurs revendications, détaille The Brisbane Times, figurent trois demandes : “la dissolution du Parlement, une révision constitutionnelle et la fin du harcèlement des critiques du gouvernement”. Plus encore, sans pouvoir toujours le clamer haut et fort, étant donné la sévérité de la loi punissant les crimes de lèse-majesté, certains appellent à encadrer les pouvoirs du roi Maha Vajiralongkorn, “qui, après être arrivé sur le trône en 2016, a pris personnellement le contrôle de plusieurs unités de l’armée et des biens du palais estimés à des dizaines de milliards de dollars”, ajoute le quotidien australien.

Briser un tabou

“En exprimant leur opinion sur le rôle de la monarchie, les récentes manifestations ont évoqué un sujet hautement sensible, qui a toujours été un tabou dans la société thaïlandaise”, reconnaît le chroniqueur Whichit Chaitrong. Ce dernier rappelle que le gouvernement du général Prayut Chan-ocha, arrivé au pouvoir en 2014 à la faveur d’un coup d’État, avait alors instauré un code de douze valeurs, “ordonnant à la population de se plier à l’autorité, de défendre les institutions traditionnelles et ce qui est présenté comme étant la culture thaïe”.

Les manifestations actuelles témoignent de l’échec de cette tentative, écrit le journaliste du Nation.

“Même les écoliers remettent en cause les règles en matière de coupes de cheveux ou défient les valeurs traditionnelles de respect des enseignants. Quant aux étudiants, ils posent des questions sur la façon dont le pays est dirigé, s’écartant des valeurs consistant à respecter les institutions.” Des idées jusqu’alors peu ancrées dans la population thaïlandaise émergent chez les plus jeunes. Ainsi la liberté d’expression, qui entre en opposition frontale avec “l’obéissance aveugle qui, elle, est profondément enracinée dans la société hiérarchisée thaïlandaise”, écrit Whichit Chatrong. En d’autres termes, parmi ces jeunes manifestants, certains osent poser des questions, osent aller à la confrontation alors que “leurs aînés préfèrent éviter tout débat un peu vif” et “garder le silence ou plaisanter”.

L’appel à combattre les inégalités sociales apparaît également en rupture avec les discours habituels. Car si la Thaïlande fait partie des pays les plus inégalitaires du monde, beaucoup s’appuient sur le bouddhisme et la notion de karma pour justifier cet état de fait. Or, aujourd’hui, reprend The Nation, la situation est critiquée par “la jeune génération [qui] voit les choses très différemment et la juge injuste et corrompue”.

Pour autant le mouvement actuel a-t-il des chances de parvenir à ses fins ? L’universitaire Aim Sinpeng de l’Université de Sydney, interrogée par la BBC, en doute. “Les manifestations ne vont pas, pour l’instant, ébranler plus que ça le gouvernement car elles n’ont pas assez d’ampleur, estime-t-elle. Elles sont significatives, mais nécessiteront un élan plus important.”


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