Nucléaire et filière EPR : un rapport au vitriol de la Cour des Comptes

lundi 27 juillet 2020.
 

Après une enquête approfondie de 18 mois, les magistrats de la Cour des Comptes ont rendu des conclusions cinglantes à l’égard de la filière EPR française. Manon Dervin, auteure du livre « L’Ecologie populaire » aux Éditions 2031, nous propose une synthèse du rapport.

Le fiasco de l’EPR de Flamanville

Ainsi, le fiasco de l’EPR (« European Pressurized Reactor ») de Flamanville se confirme. Il est édifiant. Le projet devait être achevé en 2012, nous sommes en 2020. Lancé en 1989 et porté par Framatome et Siemens, la double paternité franco-allemande initiale du projet a été source de complexité. D’autant qu’en 1998, l’Allemagne change de politique et se détourne du nucléaire. La Cour des comptes confirme que la complexité technique de l’installation et des innovations requises a été sous-estimée. Elle assène en constant la perte de compétence technique de la filière. De l’aveu même de Pierre Moscovici lors de la conférence de presse de présentation du rapport : « on a perdu la main pour le dire un peu trivialement ».

Résultat : 4500 modifications de faites, 10 ans de retard, des délais multipliés par 3,5, un coût multiplié par 3,3, réévalué à sept reprises pour un total de 19 milliards d’euros minimum. Soit six fois plus cher que prévu.

Ce désastre industriel est sous perfusion d’argent public. Autant d’argent qui n’est pas investi dans le développement des énergies renouvelables. Orano (ex-Areva) a été renfloué à hauteur de 4,5 milliards d’euros par l’Etat, ED à hauteur de 3 milliards d’euros. Le coût de production de l’électricité produite par l’EPR s’établirait entre 110 € et 120 € le mégawattheure. Un prix deux fois supérieur à celui de l’électricité produite par les réacteurs nucléaires existants. Et trois fois supérieur au prix de l’électricité qui sera produite par le parc d’éolien en mer de Dunkerque (44 € / MWh).

Un développement international hasardeux

Le fiasco est en réalité planétaire. Que ce soit en France, en Chine, au Royaume Uni ou en Finlande, le constat est le même : les retards et surcoûts sont considérables. La filière EPR compte six réacteurs : deux en service en Chine (Taishan), et quatre en construction, un en France, un en Finlande, deux au Royaume-Uni.

Ceux de Taishan ont été mis en service en 2018 et 2019 avec un retard de cinq ans sur le calendrier prévu et un surcoût évalué à 60%. Leur rentabilité est toujours insuffisante. Le réacteur finlandais Olkiluoto n’a toujours pas démarré et son coût a déjà quadruplé. Ceux d’Hinkley Point affichent des retards pour un surcoût de 3 milliards de livres. Pour finir, les projets de constructions de 6 EPR en Inde n’ont pas abouti. La stratégie d’exportation à l’étranger est un échec. La filière industrielle qui se veut vitrine des savoir-faire français est un naufrage.

Une énergie du passé

Le coût de construction de trois paires d’EPR dit « de nouvelle génération » est estimé à 46 Md€. De l’aveu même de la Cour des Comptes :

« la situation d’EDF, entreprise cotée en bourse et déjà endettée, est incompatible avec les besoins massifs d’investissement auxquels l’entreprise devra faire face en cas de déploiement de nouveaux réacteurs. » D’autant qu’« il demeure une incertitude sur la capacité de la filière nucléaire à construire de nouveaux réacteurs électronucléaires dans des délais et pour un coût qui demeurent acceptables ».

Continuer de subventionner une telle stratégie serait un véritable gâchis, à rebours de la bifurcation écologique.

Plus personne n’ignore que cette énergie est dangereuse, génère énormément de déchets que l’on ne sait plus où stocker et est une entrave à la souveraineté énergétique puis que sa matière première, l’uranium, est importé. Les mésaventures de la filière EPR viennent ajouter à ce bilan un nouveau critère à charge : le nucléaire ne fournit plus une énergie à bas coût. Pour finir, le réchauffement climatique relègue définitivement le nucléaire au rang d’énergie du passé. Le président de la Commission de régulation de l’énergie, auditionné à l’Assemblée nationale le 7 juillet, a estimé que les fleuves sont devenus trop sensibles aux aléas climatiques pour accueillir de nouvelles centrales nucléaires. La Cour des Comptes souligne que « compte tenu de leur durée de construction, de production et de démantèlement, la décision de construire ou non de futurs EPR aura des conséquences jusqu’au XXIIe siècle ». Ce sont de bonnes raisons d’y renoncer définitivement.

Manon Dervin


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