Presse, culture de masse et idéologie dominante (formation PRS)

vendredi 3 novembre 2006.
 

Compte-rendu d’une séance de « formation participative », où chacun a pu procéder collectivement et concrètement à l’examen de l’objet que nous avions choisi : l’idéologie véhiculée par la culture de masse. L’animatrice de la séance, Hella Kribi, a analysé le contenu de plusieurs titres de presse parmi les plus lus par les Français. Les participants pouvaient réagir, compléter ou discuter les observations d’Hella Kribi, grâce à la projection de unes et à la distribution de reproductions de ces journaux. Ce travail collectif de décryptage nous a mis sur la voie de plusieurs analyses.

Que voulions-nous examiner ? La culture de masse. Mais qu’est-ce que la culture de masse ?

C’est d’abord de la culture, c’est-à-dire des biens immatériels partagés et porteurs de valeurs consenties ou non. Le caractère massif de cette culture est déterminé par la quantité d’individus qui la partagent. Par conséquent, plus la culture est massive, plus les valeurs ont des chances de s’imposer comme étant légitimes. Autrement dit, plus la culture est de masse, plus elle est normative au plan des valeurs.

Voyage dans la presse magazine

Le champ de l’observation d’Hella Kribi était dicté par les chiffres de l’AEPM (Audience et Etudes de Presse Magazine : « L’AEPM a pour objectif de dénombrer et de qualifier les lecteurs de la presse magazine en France. » - www.aepm.fr).

Nous avons découvert à cette occasion que le journal le plus lu par les français est

Télé Magazine, en vente dans les grandes surfaces, auprès des caisses (14 184 000 de lecteurs ! Pas des acheteurs.... Des lecteurs !). Vient ensuite Version Femina, supplément du JDD et de plusieurs titres de la presse quotidienne de province (10 144 000 de lecteurs), Femme Actuelle (7 319 000 de lecteurs) puis Télé 7 jours, Télé Z et TéléLoisirs.

D’autres magazines tutoient ces sommets : en particulier et notamment, au fil des rencontres au kiosque à journaux, Femme Actuelle, Voici, Public, Entrevue, qui attirent également le plus de lecteurs par rapport à une presse dite sérieuse parce que... dite politique (les quotidiens d’information tels Le Monde,Libération ou Le Figaro...).

Nous avons également appris que les Français lecteurs de ces titres ne sont pas les plus démunis. On trouve des lecteurs de ces journaux dans toutes les classes sociales : la hiérarchie des titres les plus lus est identique parmi les ménages les plus aisés. C’est en cela que cette presse constitue un élément particulièrement représentatif de la culture de masse.

On aurait pu aussi choisir l’équivalent télévisuel de cette presse : les séries sitcoms, soap-operas (qui tiennent leur nom du fait que des entreprises fabricantes de lessives les financent !), les émissions de téléréalité, les journaux télévisés, les pubs, etc. bref tout le P.A.F. ! Mais pour des raisons pratiques, Hella Kribi s’est concentrée sur un objet précisément circonscrit, facilement traitable devant un public fourni et dans un temps limité.

La séance a de fait beaucoup porté sur les titres de la presse « people », dont on s’aperçoit que les codes sont repris partout (depuis les hebdos télé, jusqu’au traitement de la politique dans la presse dite de référence).

Que peut-on remarquer à simplement observer des unes de la presse people ?

Les unes sont encombrées de gens et d’infos-titres. Les couleurs criardes (rose, orange ou jaune fluo) accentuent la violence visuelle.

Les gens (les people)

Ce ne sont pas nécessairement les plus connus, mais leur apparition sur la une du journal contribue à les faire apparaître comme des stars. Ils sont de ce fait transformés en stars.

Ils apparaissent de manières diverse et répétée sur plusieurs unes ; ce qui produit sur le lecteur le sentiment de déjà vu.

èUn phénomène de reconnaissance peut avoir lieu.

Les infos-titres

Ils évoquent l’ intimité de ces gens : ils l’exposent et la livrent au lecteur. Il peut donc se produire un transfert d’intimité ou une appropriation des stéréotypes sentimentaux ainsi exhibés.

èUn phénomène d’identification peut avoir lieu.

Que peut-on déduire de ces observations ?

Une représentation de la société porteuse de confusions

Ces journaux invitent les lecteurs à côtoyer des personnes et des situations qu’ils ont l’impression de connaître déjà. Cette proximité conditionnée avec les people neutralise la capacité critique puisqu’il n’est pas évident de remettre en cause ce qui nous ressemble. De la même façon, il n’est pas évident de remettre en cause ce qui est présenté comme accessible et désirable. Si je peux avoir la même chose ou devenir la même chose avec tous les avantages que cela semble comporter, alors je vais me garder de la critiquer pour mettre toutes les chances de mon côté. Il s’agit de ne pas apparaître comme un renégat, mais comme un bon joueur sinon je suis assuré de ne rien obtenir du tout.

èLa reconnaissance et l’identification se font donc au détriment de la capacité critique.

Ces journaux véhiculent des représentations stéréotypées de la réalité. Ce ne sont en aucun cas des faits réels ni des analyses appuyées sur de quelconques événements vécus. Les informations énoncées n’en sont pas et l’intimité suggérée n’en est pas une. Il s’agit comme pour l’insécurité, d’un sentiment d’intimité. Le procédé consiste à prétendre faire partager l’intimité d’une star. Dès lors, la confusion vient de qu’il trompe à propos de ce à quoi le lecteur s’identifie. En cela il est mensonger à plusieurs titres.

èLa reconnaissance et l’identification se font donc au détriment de la capacité de distinguer le vrai du faux.

Ce procédé consiste d’abord à fabriquer de toutes pièces le sujet auquel le lecteur est sommé de s’identifier. Il est donc possible de contrôler l’objet du désir du lecteur et, ainsi, son désir tout entier. On ne se demande pas ce que le lecteur veut, mais on lui impose ce qu’il doit vouloir.

Par la manufacture du désir du lecteur, il est possible de produire en masse les objets de consommation qui s’y attachent : des vêtements à la nourriture, des loisirs au mode de vie.

Il en résulte un appauvrissement culturel colossal puisque la capacité à vouloir d’un individu semble se résumer à un besoin de consommer. Il y a donc deux réductions successives : 1) la réduction de l’objet du désir (j e dois vouloir telle ou telle chose matérielle) ; 2) la réduction de la capacité à le déterminer ( je ne peux plus vouloir que telle ou telle chose matérielle).

èLa reconnaissance et l’identification se font donc au détriment de la capacité à vouloir et de la liberté individuelle.

Une fois le désir réellement intime des lecteurs empêché et remplacé par le désir matérialiste, il est possible de les maintenir dans une frustration permanente ; le vrai ressort de la consommation ! Or la frustration ne produit pas d’identité collective. Elle ne peut donc pas produire de solidarité ni d’engagement collectif. Elle ne produit que de l’incapacité à imaginer autre chose.

Par ailleurs, en substituant systématiquement à la culture collective, une culture pseudo-intimiste, le procédé qui produit ce sentiment d’intimité exalte l’individualisme. L’individualisation à outrance qui résulte de cette représentation de la société interdit toute conscience de l’intérêt général.

En outre, ces journaux flattent sans cesse la « personnalité ». Or la « personnalité » du lecteur qui est sans cesse interrogée n’a d’autre référence que des individus starifiés dont les qualités ne peuvent pas choisies ni évaluées réellement par le lecteur. La « personnalité » est donc factice et l’identification artificielle. Or sans possibilité de développer une structure individuelle, il n’est pas possible de concevoir un engagement collectif.

èLa reconnaissance et l’identification se font donc au détriment de l’engagement collectif et de l’imagination.

Cette représentation de la société fait intervenir des identités collectives simplifiées et superficielles. En effet, elles ne sont déterminées que par des apparences : l’apparence physique (la couleur de la peau, le sexe) ; l’apparence vestimentaire ; un comportement schématisé qui déterminera une orientation sexuelle ou un type de personnalité (timide, agressive, volontaire, généreuse, séductrice, machiste...). Elles privilégient un modèle communautariste.

èLa reconnaissance et l’identification se font donc au détriment du principe républicain.

Ces apparences ne permettent pas d’identification à une activité professionnelle et encore moins à l’investissement d’une force de travail. On n’est jamais renseigné sur les moyens de subsistance des stars. Le lecteur n’est jamais confronté explicitement au modèle social qui soutient le succès ou l’infortune des personnages mis en scène dans cette presse. La proximité entretenue est donc source de confusion sur la réalité des conditions d’existence des stars par rapport à la sienne propre. Il ne peut naître aucun antagonisme de classe entre le lecteur et ces stars. La force de l’aliénation du lecteur par rapport au modèle véhiculé est trop importante. D’une manière générale, cette presse neutralise la capacité de concevoir une classe au sens marxiste du terme.

èLa reconnaissance et l’identification se font donc au détriment de la conscience de classe.

Une représentation de la société porteuse de normes sociales

La représentation des stars chargées de sacs de courses et d’enfants en bas âge véhicule le schéma suivant : la norme est d’être hétérosexuel, marié et parent.

èC’est d’abord une norme familiale : il faut être producteur (de consommateurs) et consommateur (de biens).

Les stars majoritairement représentées dans ces journaux sont liées aux jeux de la téléréalité. Cette représentation exalte la compétition en tant que modèle comportemental ; c’est-à-dire en tant que conduite socialement valorisée. C’est l’attitude qui fait gagner dans la vie ! cf. la positive-attitude du premier ministre Raffarin, expression empruntée à une star pour enfants et pré-adolescents.

èC’est ensuite une norme comportementale : il faut être compétiteur.

Par contraste avec les bassesses humaines des stars qui sont distillées pour accentuer la proximité avec le lecteur - ce qui en dit long sur l’estime dans laquelle on tient l’humanité « ordinaire » dans cette presse -, on y valorise certaines valeurs labellisées « éthiques ». Elles consistent dans des sentiments et actes de compassion, presque exclusivement à l’égard de victimes de catastrophes naturelles, et un consumérisme éthiquement correct, baptisé commerce équitable.

Les signaux donnés sont les suivants :

- les victimes de la vie le sont par accident ; il n’y a donc pas de responsable et surtout pas le lecteur.

- la consommation est un comportement qu’il faut déculpabiliser ; il est donc possible d’en faire une valeur en soi.

- le pouvoir du lecteur est considérable moyennant un engagement minimal ; point n’est besoin d’aller plus loin.

- il suffit d’investir argent et sentiment charitable pour solutionner les problèmes ; le pouvoir d’action solidaire se résume donc à un pouvoir d’achat.

èC’est enfin une norme éthique : il faut mettre en œuvre des valeurs incontestables.

Pour conclure, il faut préciser que ces déductions auraient aussi bien pu résulter de l’examen de la presse dite sérieuse ; ainsi qu’il a été remarqué à plusieurs reprises par des camarades saturés des people de papier glacé...

Pour autant, cet exemple est le plus pertinent pour illustrer le processus de l’idéologie dominante. En effet, le fait pour cette presse d’être une presse de « détente » lui permet de toucher des individus en situation de « disponibilité » intellectuelle. Contrairement à une presse dite sérieuse, face à une presse de loisirs, aucun dispositif critique n’est sollicité.

Une question a tout de même interrogé l’impact de cette presse : est-ce que le 29 mai aurait pu avoir lieu si cette presse était aussi influente sur les comportements sociaux qu’on le dit ?


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