14 juillet d’Emmanuel Macron : les passions somnifères d’une fin de règne

lundi 20 juillet 2020.
 

Pour pallier l’absence du défilé militaire, le président de la République a renoué avec une autre tradition en ce jour de fête nationale : l’interview télévisée. Analyse critique d’un exercice raté.

Ce 14 juillet devait être celui de la réconciliation, du grand changement qu’Emmanuel Macron avait promis aux Français. Enfin, ça, c’était ses mots. Auxquels ont été heureux de croire ceux qui avaient déjà cru à ceux de Nicolas Sarkozy en 2008. Les autres, l’immense majorité des autres, n’attendaient plus rien d’un président pour qui, dans la juste continuité de ses prédécesseurs, les mots et les récits n’ont plus de sens et entrent en systématique contradiction avec les actes et les décisions.

Pourtant, une fois encore, on avait convoqué pour cette fête nationale, tous les avatars de ce qui fait la grande France dans les esprits étroits pour lesquels cela rime avec soldats et armée. Flanqué de slogans jusqu’à la lie, le non-défilé du 14 juillet 2020 avait presque les allures démagogiques d’une Union soviétique au faîte de ses certitudes. A cela, plus pour capitaliser sur l’émotion suscitée par la crise du Covid-19 que pour affirmer qu’ils sont véritablement au centre de notre société, on a placé quelques soignants en blouse blanche au milieu des treillis – au garde-à-vous, comme pour renforcer le contraste avec les images qui nous ont abreuvés toute l’année passée de soignants en lutte pour la survie de leur outil de travail, en grève ou dans la rue. Autoflagellation et autosatisfaction

« Emotion et fierté », commence par nous rappeler Emmanuel Macron, comme si quelqu’un avait encore envie de connaître la saveur de ses états d’âme. Emotion et fierté mais tout de même, ses communicants avaient du lui recommander de ne pas éviter de répondre aux questions sur son impopularité et sur la virulence, voire la violence, des réactions qu’il suscite dans la population. Nous avons donc eu droit à un magnifique épisode d’autoflagellation, mâtinée d’autosatisfaction. En bref, les Français comprennent mal le Macron alors qu’il est pourtant dans le juste. Pour ses thuriféraires, c’est une habile façon de reconnaître qu’il est dans une impasse politique tout en justifiant qu’il gardera le même cap.

Mais Emmanuel Macron l’a lui-même confessé : il ne croit plus au politique car ce qu’il prône, c’est un « dépassement politique ». Plus fort que le ni gauche ni droite (son fond de commerce depuis plus de trois ans), on arrive maintenant au stade final de la décomposition idéologique du politique : le plus de politique du tout. Tout s’imposerait de soi-même puisque les choses sont comme elles sont. Dès lors, impossible de juger l’action d’Emmanuel Macron bonne ou mauvaise à l’aune d’une quelconque colonne vertébrale idéologique : il fait simplement ce qu’il peut – et il n’y a que les efforts qu’il déploie que nous serions en mesure de juger. L’horizon de nos sociétés n’est plus un rêve mais une simple variation technique du présent. Mais, à trop être obnubilé par un devenir advenu avant même qu’il ait été politiquement débattu, on en vient à confondre le conditionnel et le futur, comme en témoigne assez magistralement ce tweet, publié à 13h55 en ce 14 juillet : « j’ai fait ce que j’avais dit que je ferai » (sic – et je ne suis même pas lacanien). L’unité, mais pas à tout prix

Nier le politique dans sa dimension conflictuelle (c’est-à-dire le nier tout court), c’est aussi devoir affirmer l’absolu des unités du présent – sinon, comment justifier que la barque que l’on cherche politiquement et collectivement à mener n’aille nulle part ? C’est la réponse dite pragmatique aux questions dites du quotidien qui seraient les seules à animer les esprits des Français. Seulement, Emmanuel Macron en a aussi défini les limites : le « discours radical » et les femmes en semblent exclus. La République ne saurait en effet souffrir de ces fractures : c’est pourquoi il semble évident pour Emmanuel Macron, tout en les « respectant », de balayer d’un revers de la main, les revendications politiques de ceux qui prônent la rupture avec l’existant, en toute matière, qu’elle soit économique, sociale ou sociétale. Habile (ou non) argumentaire discursif pour avaliser les politiques d’austérité ou pour promouvoir un ministre accusé de viol.

Seulement, le réel rattrape souvent au galop les inepties logorrhéiques du président. Et, malgré « le charme de la France », la population qui souffre doit appeler un minimum de réactions politiques. Un minimum… A la crise du Covid, on en appelle ainsi aux tests qu’on aurait en nombre suffisant sans que, soi-disant, la demande ne suive – alors même que l’on pourrait penser que c’est au politique, précisément et en l’espèce, de créer la demande. A la crise économique qui nous pend au nez dans des proportions inégalées quand elle n’est pas déjà l’un des paramètres centraux pour la vie de beaucoup de Français, on annonce un plan de relance de 100 milliards d’euros, tout en renvoyant vers le Premier ministre l’impossible tâche d’en déterminer les détails. Fin de règne

S’il ne s’agit pas tant de faire des comptes d’apothicaire afin de déterminer ce qu’Emmanuel Macron a détruit lors des trois premières années de son mandat (même s’il y a à faire en la matière), il faut regarder les choses en face : il reste deux ans au président-déjà candidat à sa réélection pour ne rien faire sans accroître la détestation dont il est l’objet. Le bloc bourgeois, solide socle électoral sur lequel il s’appuie aujourd’hui – et qui, pour l’instant, lui suffit pour prétendre à une seconde victoire en 2022 –, ne le soutiendra pas indéfectiblement s’il montre trop peu de considération pour tout ce qui lui est étranger. D’autant que l’abstention très importante aux élections cache mal un accroissement de la politisation de pans entiers de la population, des gilets jaunes aux marcheurs pour le climat en passant par les féministes et les racisés. Les alternatives se construisent et en sont peut-être au stade du beau brouillon mais leur mise en place efficace et efficiente n’est peut-être plus qu’une question de mois.

Pablo Pillaud-Vivien


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