« Ségur de la Santé » : « Le coronavirus a montré que le service public était indispensable »,

vendredi 17 juillet 2020.
 

INTERVIEW André Grimaldi, diabétologue, vient de sortir le livre « Santé : urgences », qui pose un diagnostic et propose des solutions pour aider le système de santé français.

André Grimaldi, professeur de diabétologie au CHU La Pitié-Salpétrière et auteur de Santé : urgences, Odile Jacob

• Ce vendredi devait prendre fin le « Ségur de la Santé », six semaines de négociations entre soignants et ministère de la Santé pour dessiner et financer le plan massif pour l’hôpital promis par Emmanuel Macron.

• L’occasion de donner la parole à André Grimaldi, diabétologue et fin connaisseur de notre système de soins, qui vient de publier Santé : Urgences.

• En donnant la parole à 27 médecins et avec le concours du sociologue Frédéric Pierru, André Grimaldi dessine les contours et challenges de notre médecine, qui doit se moderniser tout en luttant contre les inégalités et l’inefficacité.

Les alertes se répètent, les manifestations de soignants se suivent, les plans s’accumulent. Mais rien n’y fait, la France a mal à son hôpital. Et pourtant, la population n’a jamais autant mesuré son besoin de soins gratuits, de prévoyance, de prévention que ces derniers mois avec la crise du coronavirus. Les soignants, parfois sans matériel, ont été au rendez-vous. Ils attendent maintenant que le président tienne son engagement de dévoiler un plan massif pour l’hôpital public.

Olivier Véran a lancé le 25 mai un « Ségur de la santé » qui devait prendre fin ce vendredi. Mais finalement, l’ultime rendez-vous a été repoussé... sine die. Pour faire le tour des enjeux de ces négociations ambitieuses, 20 Minutes a interrogé André Grimaldi, professeur émérite de diabétologie au CHU de la Pitié-Salpêtrière, qui a publié mi mai l’ouvrage Santé : urgences*. Il y détaille ses pistes, ainsi que le point de vue de 27 médecins, pour révolutionner la santé de demain.

Oihana Gabriel : Il y a presque deux ans était annoncée la stratégie de transformation du système de soins « Ma Santé 2022 ». Puis le ministère a débloqué trois plans pour les urgences, puis l’hôpital. Et pourtant, le divorce entre soignants et gouvernement n’a fait que s’accentuer. Pourquoi selon vous ?

André Grimaldi : La ministre Agnès Buzyn avait fait un bon diagnostic : on a voulu traiter l’hôpital comme une entreprise commerciale et on s’est trompé. Cela a entraîné une perte de sens auprès des professionnels. Mais les actes n’ont pas suivi les promesses. Ce qui est un problème récurrent de ce gouvernement. Le président [en mars 2020] a dit : « La santé est une chance, pas une charge ». Et le Premier ministre inaugure le « Ségur de la santé » en disant que notre diagnostic était le bon, et qu’il faut seulement aller plus vite dans les réformes.

Mais ce divorce vient de loin. Le choix du management utilitariste remonte à 2008 avec deux choses : le président Sarkozy déclare que tous les actes de soins doivent passer à la tarification à l’activité, sauf les missions d’intérêt général comme la psychiatrie. Suivi d’une loi Bachelot qui met en œuvre la gouvernance d’entreprise dans l’hôpital public. En plus, le budget de l’hôpital va être mis sous contrainte. On a un monstre qui tue l’hôpital. Le privé choisit ses activités, donc les plus coûteuses pour une clientèle qui peut payer. L’hôpital public fait tout ce que les autres ne veulent pas. Ce vendredi se clôt le Ségur de la Santé, qu’en attendez-vous ?

L’attente, c’était avant, maintenant, c’est la désillusion. La première déception, c’est le texte qui convoque le Ségur, où ne figure pas une seule fois le mot « public ». On croyait que la crise du coronavirus avait montré l’importance du service public. La vraie question, c’est le plan d’urgence qui s’appelle « salaires, lits et effectifs ».

Justement, est-ce que l’enveloppe de 6,3 milliards, annoncée par Olivier Véran la semaine dernière pour la revalorisation des salaires, vous semble suffisante ?

Clairement, elle est insuffisante. On a appris petit à petit qu’il y avait 2 milliards pour le privé, que c’est brut et pas net, que ça variera selon les personnes. Quant aux 300 millions pour les médecins et internes, c’est dérisoire. Ce qui était très attendu aussi, c’était l’embauche. Face à un service privé qui paye double, l’avantage du public, c’était le sentiment de grande liberté, d’être à la page, d’avoir des outils de pointe. Si les conditions de travail sont beaucoup plus difficiles, pourquoi ne pas aller dans le privé ? Une chose encore plus inquiétante, c’est qu’actuellement est discuté le PLFSS [le projet de loi de financement de la Sécurité sociale décide du budget, notamment des hôpitaux], il n’en est pas question du tout au Ségur. Qui décide ? Darmanin et Le Maire ou Véran ? On est en train de détricoter l’hôpital public. De façon irréversible. La seule chose qui pourrait changer les choses, c’est une grande crise sociale, pire que celle du coronavirus. Vous écrivez dans « Santé : urgences » que la thématique de la santé a jusqu’ici peu été abordée lors des campagnes présidentielles, ce qui devrait changer pour 2022. Pourquoi ?

A cause du coronavirus. On dégringole depuis des années et là, on a vu qu’on faisait beaucoup moins bien que l’Allemagne. Les Etats-Unis montrent ce qu’il ne faut pas faire, mais c’est vers ce modèle qu’on va, une gestion commerciale de la santé.

Parmi vos dix propositions pour refonder l’hôpital public, vous imaginez un hôpital public avec non plus un, mais deux directeurs…

Il y a deux logiques, souvent en tension : celle du soin et celle de la gestion. La règle commune, avant, était de promouvoir le juste soin du malade au moindre coût pour la collectivité. On a changé ça en disant désormais « c’est la rentabilité de votre établissement qu’on cherche ». L’hôpital a intérêt à faire deux IRM au lieu d’une. Voilà pourquoi on pourrait imaginer une direction à deux têtes : un directeur médical, qui doit faire avec les soignants très mobilisés sur la qualité du travail, les effectifs, l’enseignement et la recherche. Et un directeur de la gestion. Qui doivent négocier. En cas de désaccord, on peut faire appel à un conseil de surveillance.

Vous abordez une autre question… Comment lutter contre les déserts médicaux ?

La médecine libérale a sacralisé la liberté d’installation. Que n’ont ni les infirmières, ni les pharmaciens. En 1981, Raymond Barre autorise les dépassements d’honoraires. Liberté sur laquelle il serait compliqué de revenir. Mais on peut faire une chose, au prix d’une grande tension : qu’un médecin ne puisse pas s’installer dans une zone très dense quand il fait des dépassements d’honoraires. Par exemple, il peut ouvrir un cabinet dans le 19e arrondissement de Paris, qui est un désert médical, mais pas dans le 5e. Deuxième chose, la médecine se fait en équipe. Si on veut attirer les médecins, on a besoin d’un projet collectif avec de bonnes conditions de travail. On peut même imaginer deux concours de médecine, comme pour les enseignants : une voie dans le public, dans un centre de santé, une maison médicale, un hôpital, un CHU avec un contrat de dix ou quinze ans. Une autre, sans engagement.

Troisième problème : la médecine libérale s’est longtemps opposé à la délégation de tâche. Or il nous faut des infirmières de pratique avancée, des pharmaciens qui vaccinent. Mais tant qu’un médecin généraliste est payé à l’acte, il ne souhaitera pas que son patient diabétique renouvelle son ordonnance chez son pharmacien…

Vous expliquez que pour traiter les maladies chroniques, le soignant doit s’appuyer sur le patient…

Dans la maladie chronique, le malade est un acteur du soin. Pour améliorer l’observance, qui n’est que de 50 %. Si vous voulez les aider, il faut comprendre pourquoi ils ne suivent pas le protocole. Plutôt que de les infantiliser en imposant le port du masque, mieux vaut poser la question : pourquoi vous ne mettez pas votre masque ? Il est intéressant de proposer, dans une équipe de soins, un patient ressource qui aide un autre patient parce qu’il est déjà passé par là. Le malade peut s’identifier à lui.

La France n’est pas tellement habituée à miser sur la santé publique et la prévention. Comment réparer ce tort ?

La révolution de 1958 a introduit une discipline phare à l’hôpital : la biologie. Il faut aujourd’hui qu’on fasse une nouvelle révolution, celle de la santé publique, parent pauvre en France. Les médecins y sont hostiles parce que c’est l’État. C’est compliqué parce que c’est une discipline médicale, mais qui impose le concours de sociologues, de psychologues, d’économistes…

Nous sortons d’une période de crise sanitaire sans précédent. Que nous a montré le coronavirus sur notre système de soins ?

Que le service public était indispensable, qu’on ne pouvait pas garder le slogan du « flux, pas de stock ». On a en mesuré les dégâts avec les pénuries de masques, de médicaments décisifs comme le curare, la morphine. On a pris conscience de notre dépendance vis-à-vis de la Chine pour les médicaments. Il faut avoir un établissement public français ou européen qui organise la production des médicaments essentiels.

Propos recueillis par Oihana Gabriel

• 20 minutes. Publié le 03/07/20 à 07h45 — Mis à jour le 03/07/20 à 09h23 :


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