Auditions Covid-19 : Jérôme Salomon esquive les questions des députés

jeudi 25 juin 2020.
 

Auditionné par la commission d’enquête de l’Assemblée sur la gestion de la crise du Covid-19, le Directeur général de la santé a exaspéré les députés, esquivant les questions qui fâchent sur les masques et les tests, et réaffirmant que l’État a réagi au mieux à une crise qui était imprévisible.

« Avez-vous un regret » sur la gestion de la crise du Covid-19 par l’État ? Deux fois la question a été posée par des députés au professeur Jérôme Salomon. Deux fois le Directeur général de la santé (DGS), et ancien conseiller santé du candidat Emmanuel Macron, a refusé d’y répondre.

Auditionné pendant quatre heures, mardi soir, par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale, Jérôme Salomon a déployé beaucoup d’énergie à ne pas répondre aux questions sur la pénurie de masques, les tests, les blouses, ou l’impréparation de l’État. Provoquant l’exaspération des députés, qui n’ont cessé de réclamer, en vain, des « réponses précises ».

Pendant quatre heures (voir la vidéo ici [1]), l’homme chargé par le ministre de la santé Olivier Véran de gérer la pandémie a défendu bec et ongles la ligne officielle, exposée dimanche à la télévision par le président Macron [2] : il n’y a eu aucune erreur. Malgré les enquêtes de presse, dont celles de Mediapart, qui ont documenté le contraire (lire ici [3], là [4], là [5] et là [6]).

Le DGS a même, contre l’évidence, nié le manque de tests et parlé de simples « tensions » sur les masques, sans jamais prononcer le mot de pénurie. « J’ai l’impression qu’on n’a pas vécu la même période », lui a lancé la députée ex-LREM du Bas-Rhin Martine Wonner.

La ligne de défense de Jérôme Salomon, déjà développée par son ministre, tient en une phrase : « Le monde entier a été surpris par cette crise », et la France a géré au mieux une situation imprévisible. « C’est toujours plus facile de réécrire l’histoire quand on sait ce que c’est devenu », a-t-il insisté.

Le DGS avait tenu le même discours fin avril devant la mission parlementaire, qui a rendu un rapport insipide début juin [7]. Désormais dotée des pouvoirs d’une commission d’enquête, la mission veut désormais la « vérité », a lancé le rapporteur (Les Républicains, LR), Éric Ciotti. D’où le choix, pour sa première audition, de l’emblématique Jérôme Salomon, dont les conférences de presse quotidiennes à la télévision ont rythmé le confinement.

« Notre rôle n’est pas d’être un tribunal judiciaire ou populaire », a rappelé Éric Ciotti à Salomon. Peine perdue, tant le DGS semble préoccupé avant tout par sa défense pénale, alors que le parquet de Paris a annoncé le 8 juin l’ouverture d’une vaste enquête pénale sur la crise du Covid-19 [8], pour « mise en danger de la vie d’autrui », « homicides et blessures involontaires » et de « non-assistance à personne en péril ».

Jérôme Salomon n’a cessé d’esquiver les questions qui fâchent. Les alertes que l’ex-ministre de la santé Agnès Buzyn dit avoir lancées le 11 janvier [9] ? « Nous avions un échange d’information quotidien avec la ministre », s’est-il borné à répondre. Sa note alarmiste de septembre 2016 au candidat Macron, dans laquelle il affirmait que « la France n’est pas prête » face à une pandémie ? Le « message peut -être un peu caricatural d’un infectiologue », a relativisé Salomon, assurant avoir pris des mesures, une fois nommé DGS en janvier 2018.

À peine entré en fonction, il découvre, à la suite d’un audit, que l’essentiel du stock de 754 millions de masques chirurgicaux, très ancien et en piteux état, est inutilisable. Il n’en commande pourtant que 100 millions entre la fin 2018 et le début de la crise du Covid en janvier 2020, alors qu’un rapport d’experts remis au ministère en réclamait un milliard en mai 2019.

Pourquoi une commande aussi faible ? Jérôme Salomon a servi une réponse technocratique, affirmant que l’État attendait la mise en place d’une réforme de l’approvisionnement, basée sur des « stocks tournants ». Pourquoi a-t-il dit le 26 février qu’il n’y avait « pas de sujet de pénurie », alors que les stocks de masques FFP2, les plus protecteurs pour les soignants, étaient à zéro ? Le DGS répond que l’explosion des besoins hospitaliers était imprévisible, quand bien même la doctrine officielle de l’État a acté la nécessité d’un vaste stock de masques depuis quinze ans.

Même embarras au sujet du « mensonge d’État » sur les masques (voir articles déjà cités). Pourquoi Jérôme Salomon a-t-il affirmé fin février que les masques étaient inutiles pour la population, avant de les recommander deux mois plus tard ? « Comme disait Voltaire, avant de savoir, on ne sait pas », a-t-il répondu, affirmant que le consensus scientifique a évolué et que la France a « toujours suivi les recommandations internationales ».

Son malaise sur le sujet est tel qu’il a réussi à se contredire à nouveau. Il y a « un énorme doute sur l’efficacité des masques » pour le grand public, a affirmé le DGS, citant une étude financée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), parue début juin dans la revue médicale The Lancet [10]. Sauf que cette étude recommande le port du masque dans la population [11]. Et que Salomon a par la suite, lors de son audition, rappelé qu’il était favorable aux masques pour le grand public.

Il n’a pas répondu non plus sur le faible nombre de masques commandés fin janvier, et sur les difficultés à en faire venir de Chine au mois de mars, au plus fort de la crise. Seule avancée : Jérôme Salomon a promis de fournir à la commission d’enquête les documents sur les différentes commandes, que lui a réclamés le rapporteur Éric Ciotti… et que l’État a refusé de fournir à Mediapart au nom du « secret des affaires » [12].

Même stratégie du déni concernant le fiasco de l’État sur les tests. La France est l’un des pays de l’OCDE qui en a réalisé le moins, et l’exécutif a longtemps été incapable d’organiser les capacités disponibles, alors que les labos privés, publics et vétérinaires avaient offert leurs services (lire notre enquête ici [13]). « Testez, testez, testez ! », avait pourtant supplié l’OMS le 16 mars.

Jérôme Salomon a estimé que cette recommandation de l’organisation internationale « ne visait pas la France mais d’autres pays qui n’avaient pas accès aux tests ». Il affirme que la France a fait le bon choix en ne testant pas massivement au plus fort de la crise, se contentant d’une « surveillance syndromique ». Le DGS a critiqué les laboratoires, mais aussi les Français, à qui il reproche de ne pas aller suffisamment se faire tester aujourd’hui, maintenant que les capacités sont enfin disponibles.

Sur la pénurie extrême de blouses de protection pour les soignants, il répond avoir passé commande le 30 janvier, oubliant de préciser que son volume était insuffisant (322 000 blouses), et qu’aucun autre achat n’a été ordonné avant le 23 mars (lire notre enquête ici [14]).

La députée Caroline Fiat (La France insoumise), frustrée par cette réponse, a dû s’y prendre à deux fois pour coincer l’anguille Jérôme Salomon. Elle a souligné que la pénurie persistait, et demandé quand l’ensemble des soignants aura enfin de vraies blouses, et pourra cesser d’utiliser des modèles artisanaux confectionnés dans des sacs plastiques. Le DGS a alors dû admettre qu’il n’en savait rien : « On est toujours dans les commandes pour qu’on puisse répondre à ces besoins. »

L’audition a aussi montré les failles des commissions d’enquête parlementaires à la française, loin des interrogatoires pugnaces menés par leurs homologues américaine et britannique. Faute de temps de parole, les députés posaient souvent plusieurs questions à la fois, ce qui a permis à Jérôme Salomon d’éviter de répondre à celles qui le dérangent.

Et les députés n’avaient pas la possibilité de relancer le DGS lorsqu’il enchaînait les réponses creuses, puisque leur micro était très rapidement coupé. Lorsque le député (LR) Julien Aubert a, comme tant d’autres, tenté de pousser Jérôme Salomon dans ses retranchements, il a été repris par la présidente (LREM) de la commission, Brigitte Bourguignon : « Ce n’est pas un dialogue, M. Aubert. Vous n’avez pas forcément eu la réponse que vous attendiez, on y reviendra. »

Tout aussi frustrée que ses collègues au bout des quatre heures d’audition, Brigitte Bourguignon a indiqué à Jérome Salomon, que ses réponses « méritent d’être précisées, en tout cas c’est la volonté générale des parlementaires qui siègent dans cette mission d’enquête ». Elle a prévenu le DGS que la commission se réserve « la possibilité » de « l’auditionner à nouveau ». Et de conclure en citant, comme l’avait fait Jérôme Salomon au sujet des masques, le philosophe Voltaire : « La vérité est la fille du temps. »

Yann Philippin

• MEDIAPART. 17 juin 2020

Les articles de Yann Philippin sur Mediapart : https://www.mediapart.fr/biographie...


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