LREM va perdre sa majorité absolue : une bonne nouvelle pour l’opposition ?

samedi 23 mai 2020.
 

Annoncée de toute part, la création imminente d’un nouveau groupe à l’Assemblée nationale, composé principalement de députés LREM, ferait perdre sa majorité absolue au parti présidentiel. Une bonne nouvelle pour l’opposition ? Pas vraiment.

C’est la breaking news politique à venir, le bombe atomique parlementaire : des frondeurs LREM vont quitter le groupe pour en fonder un neuvième à l’Assemblée nationale, provoquant, de fait, la chute du groupe majoritaire sous la barre des 289 élus nécessaires pour former une majorité absolue. Prends ça Macron !

Sauf que, sauf que, sauf que…

Déjà, désacralisons un chouia cette notion de majorité absolue. Pour rappel, en quinze législatures sous la Vème République, nous n’avons connu que six majorités absolues : en 1968, 1981, 2002, 2007, 2012 et 2017.

Ensuite – et c’est peut-être là le point le plus important de cette affaire –, LREM n’a pas franchement besoin d’être absolument majoritaire pour faire passer ses textes (ou plutôt ceux du gouvernement [1]). Pour bien se le figurer, nous avons analysé l’ensemble des scrutins solennels sur un texte (dont les déclarations et motions de censure), soit 66 votes. LREM n’a connu que trois votes difficiles :

Le 5 février 2019, lors du scrutin public sur l’ensemble de la proposition de loi visant à prévenir les violences lors des manifestations et à sanctionner leurs auteurs : avec ses 241 voix « pour », LREM n’a que 43,6% des scrutins. Avec les voix du Modem, la majorité atteint les 50,3% – sans compter les 97 voix LR et les 12 « UDI, Agir et Indépendants »...

Le 23 juillet 2019, lors du scrutin public sur l’ensemble du projet de loi autorisant la ratification de l’accord économique et commercial global et de l’accord de partenariat stratégique entre l’Union européenne et le Canada : avec ses 229 voix « pour », LREM n’a que 41,4% des scrutins. Avec les voix du Modem, la majorité atteint les 47,2% – le texte ne sera adopté que grâce à l’abstention de 52 députés LREM… mais avec 9 votes « contre » de députés LREM !

Le 15 octobre 2019, lors du scrutin public sur l’ensemble du projet de loi relatif à la bioéthique : avec ses 250 voix « pour », LREM n’a que 45,9% des scrutins. Avec les voix du Modem, la majorité atteint les 51% – sans compter les 24 voix socialistes, les 15 insoumis, les 12 communistes, les 12 LR, les 9 « Libertés et Territoires » et les 7 « UDI, Agir et Indépendants »… On le voit, quand ça chauffe pour LREM, les députés de la majorité présidentielle peuvent quasiment toujours compter sur leurs alliés du Modem pour s’en sortir. Sinon, les votes des partis d’opposition ou l’abstention dans ses rangs lui suffisent.

Par ailleurs, il faut noter que pour ces 66 votes solennels, pas un seul n’a recueilli l’ensemble des 577 votes des députés. Le plus grand nombre de votants s’élève à 573. En moyenne, ils sont 496 à voter, soit une majorité absolue de 248 voix. LREM n’a été en dessous que six fois en trois ans… Et ça n’a pas suffit à faire capoter un texte.

Pour rester dans les statistiques, voici, en moyenne, comment votent nos députés lors de ces scrutins solennels :

LREM, majorité et en même temps opposition ?

Le départ d’une dizaine de parlementaires fera certes perdre sa majorité absolue à LREM mais, factuellement, rien ne changera. Et n’allons pas non plus croire que ces marcheurs d’hier ne voteront plus de concert avec leurs ex-camarades ! La plupart des anciens du groupe LREM ayant quitté le navire amiral il y a quelque temps déjà s’alignent quasiment toujours, par conviction. En réalité, le fait de ne plus être rattaché au groupe du Président ne leur offre qu’un seul avantage : la liberté de voter « contre ». Car LREM n’est pas un endroit où cela se fait. L’exclusion est la sentence encourue à ceux qui ont tenté l’aventure.

Certes, perdre la majorité absolue, l’alpha et l’oméga de la politique française, c’est symboliquement fort. Là encore, il faut se méfier des symboles. Avec l’arrivée d’un nouveau groupe – le neuvième –, c’est du temps de parole en plus qu’il va falloir partager avec les autres groupes car, jusqu’à preuve du contraire, le temps n’est pas extensible.

Mais le mal que va faire ce nouveau groupe à l’opposition (aux oppositions !) est bien plus insidieux. Pour schématiser, c’est un peu comme si l’Assemblée nationale devenait un congrès du parti LREM, à la seule différence qu’on y aurait invité tous les élus d’opposition.

Ainsi, on trouve dans l’hémicycle la motion majoritaire (LREM), la motion droitière (UDI, Agir et Indépendants), la motion radical-socialiste (Libertés et Territoires) et, désormais, la motion écolo qui s’appellerait « Écologie, démocratie, solidarité », à en croire Les Échos, un groupe « qui ne veut se situer ni dans l’opposition, ni au sein de la majorité présidentielle », lit-on sur RTL.

Besoin de personne

Plus besoin face au « macronisme pluriel » du groupe LR qui ne sait s’il est réellement contre la politique du gouvernement, des socialistes qui peinent à exister et d’une gauche radicale qui ne pèse pas assez lourd pour déranger la majorité autrement que par le bruit… quand les groupes LFI et GDR ne servent pas de prétexte pour un 49.3 « inévitable » – rappelons qu’ils sont 33 parlementaires. Mieux encore, à l’Assemblée nationale, le nouveau clivage en trois pôles n’a pas de sens puisque l’extrême droite et EELV n’existent pas ou presque.

LREM, c’est la politique toute entière et la politique est toute entière à LREM ! Un paradigme qui vient s’ajouter à l’absolutisme présidentiel à la française, la voie royale pour Emmanuel Macron... s’il n’y avait pas d’élection en 2022.

Bref, tout pourrait se résumer à la déclaration d’Aurélien Taché, qui annonce avec fracas dans le dernier JDD : « Je suis un homme de gauche. Pour le rester, je dois quitter LREM [...] Je ne serai pas dans l’opposition. » La belle entourloupe.

Loïc Le Clerc


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