Georges Séguy : "La grève n’est pas une invention perverse du syndicalisme"

mercredi 1er août 2007.
 

Membre du syndicat des cheminots de Toulouse (Haute-Garonne) à la Libération, Georges Séguy a été secrétaire général de la fédération CGT des cheminots de 1961 à 1965, avant d’occuper le poste de secrétaire général de la confédération jusqu’en 1982. Pour« l’Humanité Dimanche », il livre son analyse du projet de loi contre le droit de grève.

HD. A-t-on déjà connu de pareilles atteintes au droit de grève ?

Georges Séguy. Oui, sous Pétain, avec la charte du travail, qui prétendait soumettre les syndicats à l’autorité de Vichy. Mais aussi sous la Ve République, quand, au début de son premier mandat, le général de Gaulle a décrété une restriction qui instituait un préavis de 5 jours avant toute grève. Un autre décret autorisait les ministres chargés des personnels de la SNCF, de la RATP, d’Air France, d’EDF et GDF d’user de réquisitions en cas de grève. Un an après, en avril 1963, les mineurs en grève déchiraient et brûlaient sur le carreau des mines les ordres de réquisition signés Charles de Gaulle et Georges Pompidou. En mai 1968,10 millions de travailleurs cessaient le travail et occupaient les entreprises, sans se préoccuper des fameux 5 jours de préavis. Ce simple rappel de l’histoire devrait donner à réfléchir aux actuels adversaires du droit de grève qui envisagent un passage en force, au mépris de l’intersyndicale.

HD. D’après vous, de telles mobilisations sont-elles envisageables aujourd’hui ?

G. S. Aussi peu de temps après le résultat de l’élection présidentielle, cela paraît difficile. Mais les choses peuvent évoluer très vite. Je pense que l’opposition des trois principales centrales syndicales devrait inciter le gouvernement à revoir sa copie. Quand on sait que 90 % des perturbations de la circulation ferroviaire sont d’origine technique ou consécutives à l’insuffisance du personnel, on comprend mieux que le prétendu service minimum n’est en vérité qu’une hypocrisie destinée à dresser les usagers des services publics contre les personnels de ces services. Si je puis me permettre, il est d’ailleurs surprenant que l’aversion de Nicolas Sarkozy envers le droit de grève ne lui ait pas encore donné l’idée d’une règle inédite, qui irait jusqu’au bout de sa singulière logique : que les avantages abusivement obtenus, sous la pression d’une grève, ne bénéficient plus aux salariés qui auront le courage et l’honneur de ne pas la faire ! Car le but du président de la République est évident : restreindre le droit de grève aujourd’hui dans les transports, demain dans l’enseignement, puis dans toute la fonction publique, pour finir par le secteur privé. Nous en reviendrions ainsi plus d’un siècle en arrière, à l’époque où la grève était illégale. Voilà pourquoi la solidarité interprofessionnelle, que l’on retrouvera lors des manifestations du 31 juillet, a tant d’importance.

HD. Quelles grandes conquêtes ont été gagnées grâce à la grève, y compris quand celle-ci était minoritaire ?

G. S. Le succès d’une grève ne se mesure pas au nombre de grévistes qui y participent mais plutôt aux résultats qu’elle obtient. Il est des grèves dites minoritaires qui aboutissent à des résultats positifs, dont l’ensemble des salariés bénéficient. Cela dit, la plus forte participation possible est l’une des conditions d’un compromis avantageux. Je me souviens très bien qu’en 1968, nous réclamions une augmentation du SMIG que le gouvernement et le patronat considéraient ruineuse pour l’économie nationale et catastrophique pour l’équilibre monétaire européen. Or, en moins de 24 heures et sous la pression des 10 millions de grévistes, nous avons obtenu une augmentation de 35 % pour l’industrie et de 50 % pour l’agriculture.

HD. « La négociation est moderne, la grève archaïque. » Que répondez-vous à cela ? G. S. Que la grève n’est pas une invention perverse du syndicalisme. Elle éclate quand l’injustice dont souffrent les travailleurs devient trop insupportable, qu’ils n’ont pas d’autre façon de réagir. Évidemment, on ne peut pas penser la stratégie de défense des travailleurs aujourd’hui comme à la naissance de la CGT, en 1895. Beaucoup de choses ont évolué. De ce point de vue, les vieilles idées selon lesquelles une bonne grève générale (dont on ne fixe même pas les objectifs) serait le meilleur moyen de se débarrasser du capitalisme sont dépassées ; Mai 68 l’a largement prouvé. Mais quand la question de la grève est posée, elle ne se pose pas uniquement aux organisations de travailleurs mais aussi au patronat. Le MEDEF envisage-t-il vraiment des relations sociales plus modernes que par le passé ?

entretien réalisé par V. Bordas vbordas@humadimanche.fr et E. Dimicoli edimicoli@humadimanche.fr

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