Agriculture : de la gestion de la crise du Covid-19 par le gouvernement Macron à nos mesures d’urgence

samedi 25 avril 2020.
 

Les agricultrices, agriculteurs et le secteur agricole et alimentaire sont fortement vulnérables aux aléas climatiques, économiques, géopolitiques et sanitaires

Ce secteur porte les stigmates des nombreuses crises antérieures et celle du Covid-19 laissera, à son tour, ses marques indélébiles. Dans ce contexte, la gestion de crise du gouvernement Macron ne permet pas d’entrevoir une issue positive pour les agricultrices, les agriculteurs et notre alimentation. Bien au contraire, des avancées en faveur d’une meilleure résilience alimentaire et d’une agriculture écologique et paysanne sont menacées tandis que la concentration des pouvoirs entre les mains de quelques-uns, notamment la grande distribution, s’accentue.

Nous traversons pourtant une période où des choix politiques courageux pourraient inscrire notre agriculture et notre alimentation dans une dynamique de transition écologique et paysanne et de gagner en résilience.

L’appel à rejoindre « la grande armée de l’agriculture française »

Avec la crise du Covid-19 et les mesures de confinement, de nombreux·ses salarié·es agricoles permanent·es font valoir leur droit de retrait, se mettent en arrêt maladie ou se retrouvent contraint·es de s’occuper de leurs enfants privés d’école. Par ailleurs, en conséquence de la fermeture des frontières, de nombreux travailleur·ses étranger·es (détaché·es ou migrant·es) attendu·es pour les travaux des champs de ce printemps ne viendront pas. Certain·es estiment que le secteur pourrait avoir besoin de 200 000 personnes pour assurer les travaux des champs durant les 3 prochains mois.

C’est donc ce double effet (diminution de la main d’œuvre permanente pour raison de confinement et diminution de la main d’œuvre étrangère pour cause de fermeture des frontières) qui s’abat sur le secteur agricole, désormais sans main d’œuvre à une saison où des semis, des plantations et des récoltes massifs, notamment en fruits et légumes, doivent impérativement être faits.

En effet, des cultures comme les fraises ou les asperges risqueraient de rester au champ plutôt que d’être cueillies et commercialisées. Les nombreux légumes d’été (tomates, poivrons, aubergines, etc.) pourraient ne pas être plantés suffisamment tôt pour garantir une pleine saison de production. Tout ceci aurait pour conséquence une grave baisse de revenu pour les agriculteur·ices avec pour certain·es, les producteur·ices de plants par exemple, une faillite assurée. D’autre part, cela accentuerait la dépendance alimentaire de la France vis-à-vis des importations qui sont déjà massives, voire provoquerait des situations de pénurie.

Ainsi, sous l’impulsion de la profession, le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation Didier Guillaume lance un appel à rejoindre « la grande armée de l’agriculture française », celle-là même que lui et ses prédécesseurs s’appliquent à décimer méthodiquement. Il souhaite simplifier la possibilité de ceux qui n’ont plus d’activité à aider les agriculteurs, pour prendre la place des nombreux travailleurs saisonniers aux abonnés absents. Pour cela, il promet un recrutement facilité ainsi que la possibilité de cumuler temporairement et sous certaines conditions le travail agricole et le chômage partiel. Il exclut les situations de bénévolat considérant que le Code du travail doit être respecté.

Ainsi, les ministères (Agriculture et Alimentation, Travail et Économie et Finances) ont promis une plateforme visant à « faciliter les recrutements » en ce qu’elle « regroupera toutes les offres disponibles pour les entreprises concernées ». Cette plateforme, qui devrait être portée en partenariat avec le Pôle Emploi, se fait toujours attendre. Pire encore, le Ministre de l’Agriculture fait parallèlement la promotion de la plateforme « des bras pour ton assiette » lancée par la profession agricole alors même que des annonces déposées sur ce site font appel à du bénévolat.

La préfecture de la Seine-et-Marne fait, quant-à elle, à travers un communiqué daté du 30 mars intitulé « Main d’œuvre saisonnière, les réfugiés en renfort ! », un appel aux gestionnaires d’hébergements d’urgence des demandeur·ses d’asile du département pour « faciliter la mise en relation entre les réfugiés et les professionnels agricoles », afin de pallier les difficultés de recrutement que rencontrent les agriculteurs. Comble de l’ironie lorsque l’on sait qu’il est normalement interdit à ces mêmes réfugié·es de travailler en France, et qu’on connaît leur dépendance totale à l’administration qui se fait placière de main-d’œuvre.

L’appel au « patriotisme alimentaire » des promoteurs du libre-échange !

Sommes-nous au bord de la pénurie alimentaire ? À en croire la Fédération du Commerce et de la Distribution, c’est une situation que nous ne devrions pas connaître car les produits seraient disponibles dans les entrepôts (même si ces considérations masquent l’effet à retardement d’une mauvaise année agricole sur les stocks disponibles les prochaines années). Et depuis une quinzaine de jours, l’ANIA, la FNSEA, la Coopération agricole et la FCD « unissent leurs forces pour prendre toutes les dispositions permettant à la filière alimentaire de fonctionner de manière optimum », comprendre que les promoteurs de l’agrobusiness se serrent les coudes. Seulement, les stocks sont possibles pour les pâtes, le riz ou les conserves mais beaucoup moins pour les fruits et légumes frais et les pertes côté producteur·ices peuvent être importantes. Ainsi, le Ministre de l’Agriculture de lancer un appel au « patriotisme alimentaire » à plusieurs reprises, en se félicitant que la grande distribution s’engage « au patriotisme alimentaire et disposent dans les étals des fruits et légumes de France ». Il en appelle également au consommateur pour acheter prioritairement des produits agricoles français. Il ne faut accorder aucune indulgence à ce gouvernement qui a adopté à tour de bras tous les accords de libre-échanges possibles (TAFTA, CETA, MERCOSUR, etc), et jusque ces dernières semaines un accord de libre-échange avec le Vietnam.

C’est donc, une fois de plus, le « en même temps » macronien qui est à l’œuvre. Suite à la fermeture unilatérale et arbitraire des marchés alimentaires de plein vent (qui représentent pourtant 15 à 20 % du commerce de denrées alimentaires consommées sur le territoire, majoritairement produites en France), le Ministre compte sur le fait que les enseignes de la grande distribution achètent des fruits et légumes français « parce qu’elle sont solidaires [des agriculteurs et agricultrices] dans cette crise ». Encore une fois, le Ministre compte sur la bonne volonté des acteurs de la grande distribution, qui se sont engagés à ne pas augmenter les prix des produits frais sans pour autant mettre en place le moindre encadrement des prix au motif que nous vivons dans une « économie ouverte ».

Grande distribution contre marchés de plein vent

Tout ceci alors que 21 organisations dont la Confédération Paysanne dénoncent l’échec de la loi EGALIM (qui prévoyait timidement d’encadrer les négociations commerciales entre les producteur·ices et les distributeurs) à l’occasion du 1er anniversaire de cette loi au motif que « le rapport de force reste encore défavorable aux agriculteurs au profit de la transformation et de la grande distribution ». « Comme nous l’avions réclamé dès le début des débats sur la loi EGALIM, l’État ne peut pas compter sur la seule responsabilisation des acteurs ; il doit jouer son rôle d’arbitre. En pleines négociations commerciales, nous sommes encore loin de paiements qui couvrent les prix de revient des paysan·nes dans la filière laitière ; dans les autres filières c’est encore pire. » disait encore la Confédération Paysanne dans un communiqué le 10 février dernier. Mais pour cela, ne faut-il pas faire preuve d’un véritable volontarisme politique et désobéir aux traités européens ?

Ainsi, après avoir subi la fermeture des restaurants et de la restauration collective, les productrices et producteur qui optent pour la vente directe dans les marchés devront désormais se réorganiser et écouler leurs productions en grandes et moyennes surface. Celles et ceux qui ont fait le choix d’une certaine autonomie – garante d’un prix rémunérateur grâce aux circuits-courts – dépendraient, à leur tour, de la grande distribution dont chacun connaît les pratiques commerciales en défaveur de la rémunération paysanne ? Les grand·es perdant·es de l’histoire seront encore une fois les producteur·ices, alors que ce secteur n’avait pas attendu le coronavirus pour entrer en crise structurelle.

En parallèle de quoi, le droit à l’alimentation est une fois de plus piétiné par le gouvernement. La fermeture des marchés, et l’hyper-promotion faite par le ministre de la grande distribution crée une distorsion inacceptable dans le droit de chacun à choisir son alimentation qui est directement lié au droit de choisir son agriculture. Cela condamne, par ailleurs, les nombreuses situations de solidarité adressées aux plus populations les plus démunies.

« La Confédération paysanne estime que l’approvisionnement alimentaire de la population doit pouvoir se poursuivre en dehors des grandes surfaces. Cette crise du Covid-19 ne doit pas détruire le travail quotidien que nous menons pour relocaliser la production et assurer la souveraineté alimentaire ». De son côté, la Fédération Nationale des Marchés de France estime qu’il est « très important de maintenir ces activités de commerces qui sont vitales pour nos territoires et nos concitoyens » et que les marchés doivent pouvoir être maintenus car, en cas de respect des obligations sanitaires actuelles, « il y a moins de risque de contamination que dans les autres formes de commerce », en particulier dans les grandes surfaces.

C’est effectivement l’avenir de nombreux·ses paysan·nes qui se joue là, ainsi que la situation économique de nombreux acteurs économiques intermédiaires de petite taille comme les revendeur·ses, les primeures ou les transformateur·ices. Il faut à tout prix, dans la gestion de cette crise, soutenir les producteur·ices inscrits dans des démarches de qualité telles que l’agriculture paysanne, agriculture biologique, etc. et dans des circuits de commercialisation diversifiés. Il faut également garantir aux mangeurs et mangeuses une diversité de modalités d’accès à l’alimentation, c’est un enjeu de démocratie alimentaire. C’est ainsi que le pays pourra sortir par le haut d’une telle crise, pourra améliorer sa résilience alimentaire et anticiper au mieux les cas de nouvelles crises qui se montreront inévitables.

Nos mesures d’urgence :

Sortir la plateforme de mise en lien des personnes disponibles et des besoins dans les fermes en excluant les possibilités d’entraide, de bénévolat et autres situations hors cadre du code du travail français qui ne peuvent décemment remplacer des emplois saisonniers. À moyen terme, réglementer le recours au travail détaché pour en limiter fortement l’usage et permettre aux 5,6 millions de demandeur·ses d’emplois de sortir de la précarité.

Garantir aux producteur·ices des prix rémunérateurs et aux consommateur·ices des prix justes. Pour cela, nous devons d’urgence mettre en place un prix minimum d’entrée pour les fruits et légumes et l’encadrement immédiat des prix d’achat au producteur et des prix pratiqués en rayon par la grande distribution sur tous les produits alimentaires. Le « patriotisme alimentaire » (privilégié dans les rayons des fraises françaises − donc plus chères − à des fraises de provenance étrangère) ne peut en aucun cas justifier que l’industrie agro-alimentaire et la grande distribution s’octroient des marges confortables au détriment des producteur·ices et des mangeur·ses. Les marges doivent être contraintes par des prix d’achat et de vente encadrés. Cette mesure exige de désobéir aux traités européens.

Soutenir financièrement les producteur·ices de fruits et légumes pour réaffirmer le caractère stratégique de ces productions et encourager durablement à l’installation dans ces productions afin de limiter au maximum, à terme, le recours aux importations massives que l’on connaît aujourd’hui (50 % des fruits et légumes consommés sur le territoire sont importés).

Mettre en place toutes les dispositions nécessaires pour permettre le maintien des marchés de plein vent dans les conditions sanitaires que la crise que nous traversons exige pour limiter au maximum les pertes économiques pour les paysan·nes en vente directe. Déployer les moyens financiers et humains nécessaires pour pallier toutes les situations. Les marchés doivent pouvoir se tenir dans des halles, en plein air, dans des stades ou gymnases spécialement réquisitionnés ou des systèmes de paniers alimentaires doivent être organisés par les collectivités.

Proposer des filets de sécurité financiers et des aides aux producteur·ices et revendeur·ses (primeurs, principalement) contraint·es d’arrêter leur activité à cause de la fermeture des marchés de plein vent.

Réorienter les missions des Marchés d’Intérêt National pour les transformer en Marchés d’Intérêt Régional afin de limiter les flux de productions agricoles et garantir une consommation locale.

Réquisitionner les cuisines centrales collectives inutilisées du fait du confinement pour assurer la confection de repas à destination de la population et pour les convertir temporairement en conserveries afin de perdre le moins de denrées alimentaires fraîches.

Allouer des moyens financiers et humains (employé·es municipaux, par exemple) pour permettre aux structures comme les CCAS d’assurer une distribution massive de repas préparés et de paniers alimentaires à la population, prioritairement aux plus démunis.

Arrêter toute négociation liée à un quelconque traité de libre-échange et refuser de signer tout nouveau traité.

Accéder à la demande des nos parlementaires nationaux et européens pour que le Plan National Stratégique (qui doit être établi dans le cadre de la future PAC) soit discuté à l’Assemblée nationale.

Exiger le maintien du budget de la PAC au niveau européen.


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