Nouvel album de Renaud : « Le rouge est le symbole de la gauche et des révolutions »

lundi 30 juillet 2007.
 

Plus de vingt ans que Renaud ne s’est pas produit à la Fête de l’Humanité. C’est dire si sa venue, dimanche 16 septembre à La Courneuve, est un événement.

Certains n’étaient que des ados et s’en souviennent comme de leur premier concert sur la grande scène. D’autres roulaient leur bosse depuis déjà longtemps. Les plus minots de ses fans n’étaient pas nés. À l’époque, il chantait son HLM, son beauf, Germaine et tous les étudiants. Poil aux dents. Il parlait de la deuxième génération comme on parle maintenant de la troisième, faisait sa seconde rencontre avec Gérard Lambert mais n’avait croisé la Pépette qu’une seule fois, aux autos tamponneuses. Il allait aux bastons, mais ne jetait pas encore de cailloux. Il se demandait à quelle heure on arrive ? Mais pas encore C’est quand qu’on va où ?

C’était en 1983, 1984, peut-être 1985. C’était hier. Renaud faisait son premier passage sur la grande scène de la Fête de l’Huma. Il revient aujourd’hui, changé et inchangeable. Pour preuve, l’entretien qu’il nous accordait, il y a quelques mois, au moment de la sortie de son album Rouge sang (1) et dont nous publions quel- ques extraits.

Marie-Noëlle Bertrand

Pourquoi avoir baptisé votre dernier album Rouge sang ?

Renaud. Rouge sang, c’est aussi RS & RS, le titre d’une autre chanson qui sont les initiales- communes à ma femme et à moi. C’était amusant comme coïncidence. Avec Rouge sang, je voulais évoquer le sang animal et humain. C’est le rouge des révolutions, du drapeau, de la colère. Pour moi, le rouge est le symbole de la gauche, associé aujourd’hui au rose, au vert et parfois au noir. Et il y a le sang qui coule, versé par les barbares de tout poil, le sang humain ou animal.

Comment avez-vous vécu certaines critiques qui ont accompagné la sortie de cet album ?

Renaud. Globalement la presse populaire est pleine d’éloges, à savoir les quotidiens de province. La critique des journaux populaires nationaux comme le Parisien, Paris Match est également plutôt louangeuse.

C’est la presse bobo nationale, mais essentiellement parisienne (le Nouvel Obs, Télérama, Marianne, Libé, les Inrockuptibles, le Point et le Monde...) qui m’a assassiné. Avec des arguments parfois qui frisent la diffamation, l’insulte, la calomnie.

Un côté procès ?

Renaud. Un côté procès stalinien, un vrai procès d’intention. J’y vois comme un paradoxe que ces critiques-là me reprochent d’avoir per- du toute légitimité auprès des cou- ches populaires, de la jeunesse, de la banlieue. Qui, d’eux ou de moi, a per- du cette audience populaire ? À mon avis, c’est plutôt eux. Est-ce que les jeunes, les couches populaires des banlieues de Montceau-les-Mines ou du Creusot, écoutent plutôt Renaud, ou achètent-ils les Inrockuptibles, le Monde ou le Nouvel Obs ? On connaît la réponse... Tout cela est tellement excessif. Ils me reprochent de vouloir être le défenseur de la veuve et de l’orphelin, ils me reprochent la constance de mes colères, de mes engagements, de mes convictions que je défends depuis quarante ans, depuis 1968 et même avant ! Je le fais parfois avec naïveté, paradoxe, contradiction, mais toujours avec le coeur à gauche. Je suis toujours autant révolté par l’injustice, la barbarie, la tyrannie, l’oppression, le monde capitaliste, l’économie de marché, la mondialisation. Je suis toujours autant révolté par cette économie néolibérale dont on crève, qui surproduit toujours plus et gaspille, tout cela au détriment des pays du tiers-monde, de l’Afrique, de l’Asie. Aujour d’hui, la lutte des classes, c’est les banlieues contre les villes, le Nord contre le Sud, les pau- vres contre les riches...

Quel regard portez-vous sur votre propre évolution, entre le Renaud d’Hexagone et le Renaud d’aujourd’hui ?

Renaud. J’ai vieilli, changé, j’ai évolué - dans le bon sens j’espère ! À ceux qui me reprochent d’avoir trahi, d’avoir changé, je réponds : vous voudriez qu’à cinquante-cinq ans je chante les mêmes histoires de Mobylette et de banlieue qu’à vingt ans ? Que je continue à m’habiller en Perfecto avec un bandana rouge et des cheveux jaunes ? Je ne dis pas que j’évolue en mieux, je dis juste que j’ai changé, comme tout le monde, comme la vie... Le monde a changé. Les artistes, les médias, les moyens de communication et d’expression ont changé. Or quand moi je change, je trahis ? Quand je ne change pas, c’est que je stagne, je radote ou je n’évolue pas, je ne suis qu’un vieux soixante-huitard attardé... J’ai l’impression qu’on me cherche des poux dans la tête et que tous les moyens sont bons.

Vous avez changé, mais vous dites pourtant dans une de vos chansons : « Je sais que j’écrirai toujours comme un acte de résistance »...

Renaud. La chanson, les arts, la littérature, la culture doivent être des moyens d’éveil, de connaissance, de prise de conscience, de refus de la barbarie. La chanson, de ce point de vue, est essentielle. Plus que tout autre art, elle peut être un drapeau et doit être parfois un tambour de guerre. Les mots sont des armes de destruction massive. Je sais à quel point je me suis construit par rapport à mon éducation, notamment à travers des chansons de mon enfance, les chansons de Brassens, de Dylan... Avec ses chansons, Johnny Clegg a fait davantage pour la libération de Nelson Mandela et la fin de l’apartheid que bien des résolutions de l’ONU, restées lettres mortes. Je ne dis pas qu’une chanson peut changer le monde, mais elle doit être un cri, un acte de résistance.

Ne pensez-vous pas qu’il faudrait réhabiliter le mot « utopie » dans une société qui en manque cruellement ?

Renaud. J’ai toujours plaidé pour l’utopie. L’utopie politique, l’utopie constructive, collective. Je rêve d’un candidat à l’élection présidentielle prochaine bardée d’utopie, que l’utopie soit une des composantes de son programme.

Avant le succès de Boucan d’enfer, vous avez connu des années plus sombres...

Renaud. Il y a surtout eu des années sans. Je me cachais des médias parce que je n’avais pas envie de voir ma tronche. Je n’avais pas perdu l’inspiration, mais le goût d’écrire. J’avais perdu l’envie d’être aimé, parce que je me détestais moi-même...

Où êtes-vous allé chercher l’énergie nécessaire pour repartir ?

Renaud. Dans mon amour de la vie. Je ne sais plus qui a dit que « la vie ne vaut rien, mais rien ne vaut une vie ». Je suis tout sauf suicidaire. J’ai réalisé un jour que je me tuais à petit feu. J’ai compris que non seulement je me faisais du mal, mais que j’en faisais autour de moi, à mes proches, à ma famille, à ma fille, à mon ex, à mes copains. Et puis j’ai retrouvé l’amour, le désir et la croyance dans une vie à deux grâce à Romane (Serda - NDLR). J’ai préféré la garder elle plutôt que garder l’anisette au frais ! Cela m’a donné le goût de me battre de nouveau, de profiter de la vie et de me réveiller le matin en me sentant vivant. Tout à coup, je retrouvais mon vrai désir de vivre en dehors de mes amours, celui de l’écriture. Et ma plume a été par- ti- cu- lière- ment féconde.

Dimanche 16 septembre, 17 h 35. (1) L’Humanité

du 11 octobre 2006.

Entretien réalisé par Victor Hache


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