Coup d’oeil sur le contexte électoral

jeudi 19 mars 2020.
 

Vous êtes nombreux à me demander mon avis. Il est exact que j’ai été peu investi dans ces élections municipales compte tenu du temps que j’ai dû consacrer à ma tâche de Président de groupe parlementaire dans une bataille aussi fondamentale que celle de la réforme des retraites. Pour autant, je n’ai pas cessé un seul jour d’observer et de donner mes conseils à qui les demandait. Je crois utile de faire un point général à cet instant.

On devine ce qui se dessine. Le coronavirus va amplifier l’abstention prévisible pour les municipales. En pleine pagaille épidémique, on peut craindre un conservatisme spontané et une méfiance à l’égard du changement. Mais on peut penser aussi que les plus anciens se déplaçant moins par peur des contagions une certaine volatilité trouve son chemin. Et ainsi de suite. L’avenir est plus flou que jamais, la vue des possibles se dérobe. Tout est bavardage. Il faut donc regarder autrement. C’est-à-dire penser les municipales pas seulement du point de vue des résultats politiciens qui seront annoncés et disputés sur les plateaux de télé le soir des élections. Il faut le faire en considérant l’impact de long terme sur les représentations politiques des individus dans leur rapport à la société.

La tendance aujourd’hui est à s’obséder des premiers sans tenir compte des seconds. J’invite les Insoumis à se préoccuper d’abord de ce qui va changer dans les têtes autour d’eux. C’est le terreau pour la suite de notre enracinement. Car pour le reste nous sommes au sec. Ni la pluie ni la foudre ne nous tomberont dessus cette fois ci. Présents dans 550 communes dans les configurations les plus diverses, les Insoumis sont assurés d’être présents dans plus de deux cents communes pour la bataille de second tour. Partout les nôtres apprennent et se déploient. Nos thèmes, nos mots d’ordre, notre vocabulaire continuent d’imprégner en profondeur tous azimuts le discours politique. Je suis parfois surpris de retrouver nos mots dans des bouches inattendues. Mais c’est ainsi que l’on gagne les batailles de longue durée, celles qui reformatent les mentalités.

Nous avions besoin de cette étape. C’est aussi celle d’une reconstruction générale de notre mouvement. À cette occasion, des milliers de personnes se retrouvent dans l’action au coude à coude, affrontant les affres de l’invisibilisation, des usurpations les plus diverses. Mais aussi dans l’exaltation du contact avec le grand nombre, au porte-à-porte, dans les initiatives inventives les plus diverses comme nous en aurons déployées tant cette fois-ci encore. Au niveau national, depuis 2008, notre équipe n’a jamais cessé de gérer le temps long et de conduire le présent en y pensant. La fondation du PG puis la création et la gestion du mouvement Insoumis s’y sont alignés. Regardons tranquillement autour de nous. Un très grand changement va s’opérer. Je prévois qu’il sera pour l’essentiel favorable à l’objectif final.

J’aborde à présent les aspects les plus immédiats, ensuite ce qui est promis à entrer dans la longue durée.

D’abord l’adversaire au pouvoir. Les LREM se collent à la droite et au « centre ». Ils ne s’en décrocheront plus d’ici 2022. Comme l’a montré l’épisode du « séparatisme », cet ancrage va les déporter de plus en plus sur le terrain du RN Ils y seront déchiquetés. En toute hypothèse, les « marcheurs » sont déjà lourdement embourbés dans la détestation qui les entoure. Ils sont largement désorganisés par leur échec parlementaire sur la loi retraite. Ils sont aussi affaiblis par un état-major sans autorité qu’incarnent (si l’on peut dire) Gilles Legendre à l’Assemblée et Stanislas Guérini au Mouvement. Donc, à la sortie des municipales, LREM sera tétanisée et paralysée par les nouveaux départs de députés. Sans oublier l’accablement du désordre du pays qui vivra alors la phase aigüe du chaos économique et sanitaire liée au coronavirus.

La coupure du régime avec les classes moyennes instruites est proche du point de non-retour. L’épisode des femmes trainées dans les marches du métro aura bien complété le tableau utile pour construire un dégoût irréversible contre le régime dans des milieux qui lui souriaient naguère encore. C’est une situation insupportable pour la masse confuse que le macronisme a rassemblée. La Macronie n’est plus à la mode, elle est mal portée dans les milieux bien-pensants. Elle leur fait honte.

Dans ces conditions le gros de la troupe est incapable de résister aux chocs qui lui sont assénés. L’état-major de bric et de broc qui est censé commander est voué à se disperser après s’être entre-tué. Je note avec amusement les pudeurs des commentateurs qui ont sous le nez les violentes batailles de tweets entre dirigeants macronistes et se font un devoir de regarder ailleurs. Rien de comparable à l’acharnement qui fut déployé contre nous à propos des humeurs de quelques marginaux aigris. Privé de tête cohérente, privé de relais stable, privé de base enracinée socialement le macronisme n’est plus qu’un vernis. Sa fragilité est sans doute telle qu’il lui est impossible de se réformer et d’évoluer collectivement de façon cohérente. Dans ces conditions la fragilité est profondément incrustée dans la carcasse du régime et donc du système lui-même. Patience. Le hasard réalise toujours la nécessité. Tout cela ne peut échapper à son destin.

La déroute morale que nous avons infligée aux macronistes dans la bataille parlementaire sur les retraites n’est pas une anecdote momentanée. L’empreinte sera durable. L’heure de la débandade approche pour eux. Et comme cette fraction d’aventuriers est celle qui dirige l’État et qui l’a, pour une bonne partie, soumis à ses normes, la crise de la macronie sera celle du régime lui-même. Dans ce contexte il va de soi que bien des bras de fer locaux prennent une signification et une portée imprévue au début de ces élections. Je ne citerai que l’exemple de la municipale au Havre. Le Premier ministre candidat à la mairie plonge de 10 points dans les sondages après le dépôt du 49.3 sur la réforme des retraites. Son principal adversaire est un communiste, le député Jean-Paul Lecoq, soutenu par les gilets jaunes, les Insoumis et beaucoup de syndicalistes. La victoire d’une telle coalition serait davantage qu’une simple défaite locale pour l’attelage que forme cette liste. Elle est faite de « marcheurs », de membres des « républicains » et des autres composantes de la droite. Quoi que décide ensuite Macron, il est certain que la défaite municipale du Premier ministre serait aussi celle de son projet de réforme des retraites. On peut compter sur l’obstination du Président de la République pour aggraver encore plus profondément le discrédit qui entoure son action, après cela.

Le sentiment que le suffrage universel est vidé de son objet et de son pouvoir travaillera alors encore plus profondément les esprits. La voie n’en sera que plus largement ouverte à l’idée du changement général de la règle du jeu qu’exprime notre mot d’ordre de Constituante pour la sixième République.

Mais tout cela, ce n’est là encore que l’écume de choses. Voyons de plus haut. Ce qui est frappé à cette heure est plus profond. C’est la confiance dans une façon d’organiser les affaires humaines. La crise du coronavirus fait réfléchir en grand angle beaucoup de gens. La survenue de la crise économique et financière qui accompagne cet événement sanitaire alimente cette vision catastrophiste qui domine les opinions avec la prise de conscience de la crise climatique. Tous les mots qui viennent en avant seront nos points d’appui. Une nouvelle conscience politique est en train de se former, de manière certes floue et diffuse. Mais elle semble irréversible. La compréhension qu’il existe un intérêt général par-delà les intérêts particuliers, l’idée que les biens communs de l’humanité ne peuvent être saccagés par quelques-uns au nom des droits de la propriété privée, tout cela est autant d’eau à notre moulin.

De ce point de vue, la percée écologiste annoncée par les médias, qu’elle ait lieu ou non, est un formidable renfort pour le néo-collectivisme dont nous sommes la pointe avancée en politique. Ce n’est pas une difficulté pour nous. Il n’y a pas de concurrence réelle avec les forces politiques qui accaparent aujourd’hui le label de l’écologie politique. La contradiction que contient cet unanimisme consensuel de l’écologie actuelle laboure pourtant en profondeur pour les contradictions que nous allons y introduire. La ligne qu’incarne Yannick Jadot est un pur bienfait. Pro-business, proche du centre-droit, cette ligne désorganise le regroupement des bases sociales qui sans cela finiraient par se coaguler autour du macronisme. En même temps, elle contribue comme les autres tendances de l’écologie politique à ensemencer les esprits avec les principaux thèmes qui construisent une pente vers notre côté : bien commun, refus du productivisme, respectabilité de la radicalité écologique.

Les thèmes et les programmes que nos équipes ont instillés sur le terrain dans la construction des listes aux municipales nous offrent à présent une base de masse et un encadrement militant que nous n’avions ni au moment de l’élection présidentielle ni à celui des élections européennes. Pour moi, ces élections locales seront une étape décisive dans la construction de la force politique pérenne dont notre collectivisme a besoin au XXIe siècle pour notre pays. C’est cela qui sera surtout acquis. En plus bien sur des bonnes surprises qui ne manqueront pas de se produire au fil des deux tours des élections municipales. Joyeuses élections les amis !


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