Retraite : seulement 98 voix pour adopter la réforme

vendredi 20 mars 2020.
 

La fin de la première étape du parcours de la loi de réforme des retraites est aussi misérable que le début. Il n’y aura eu que 98 voix pour adopter le texte. Telle fut la conclusion du seul vote qui aura eu lieu à l’Assemblée nationale pour le texte « le plus important du quinquennat » selon les dires des dirigeants du régime Macroniste. Même pas cent robots dans l’hémicycle pour faire l’affiche de l’histoire ! Deux heures après un sondage faisait savoir que 58% des sondés auraient voté la censure. La seule victoire possible a été remportée : la victoire morale.

Car la déroute morale de la République en Marche est complète. Je ne parle pas seulement de l’impression terrible qu’aura laissé la méthode depuis l’origine. Ce texte bâclé présenté au Parlement en procédure accélérée, cette étude d’impact de mille pages pipeautées, les vingt-neuf ordonnances trouant le texte de décisions inconnues. Je ne parle pas non plus des heures passées en commission spéciale, puis en pleinière, montrant à quel point la majorité ne maîtrisait pas le contenu du texte et à quel point celui-ci était plein d’inconnues.

Je ne pense pas ici spécialement au 49.3, cette brutalisation inutile du débat. J’ai à l’esprit ces scènes dans l’hémicycle dont les députés marcheurs présent se sont faits les acteurs répétitifs. Les injures, le marquage sur le bord de nos bancs, les hurlements à chaque occasion, les interminables lectures de textes pour dénoncer « la perte de temps », l’obstruction et pour réclamer « le débat au fond » plutôt que de répondre, sur le fond précisément, à l’opposition. Sans oublier l’explosion de rage du rapporteur « nous sommes la République, vous n’êtes rien ».

Ce qui est frappant c’est le lendemain du 49.3. La majorité LREM est mal en point. Ses orateurs, la veille, se sont vautrés. Gilles Le Gendre, le président du groupe marcheur, était sec au point de renoncer à la moitié de son temps de parole, qui a pourtant déclenché des vagues de fous rire potaches. Stanislas Guerini, le chef du mouvement, hurla sans discontinuer y compris le micro coupé dans une ambiance de hurlements généralisés, donnant de l’hémicycle l’image d’une bouilloire en pleine évaporation. Le président de séance, Richard Ferrand lui-même, a conclu après le départ de Guerini : « ça fait du bien quand ça s’arrête ». Le Premier ministre, dépité et gêné, ne pouvait cacher sa honte. Avec de tels amis, en effet, pas besoin d’ennemis ! Comment ces gens sortiraient-ils d’une telle déroute ?

Dès le lendemain, la macronie se montra incapable de se reprendre et s’abandonna à une rage de mauvais perdants. Ses députés rejetèrent la demande de commission d’enquête sur l’étude d’impact que le PS présentait. Une balle dans le pied de plus pour les marcheurs. Car c’est à eux seuls que ce vote a nui, en laissant supposer qu’il y avait là quelque chose à cacher.

Mon souvenir marquant c’est cette scène d’un hémicycle peuplé de gens qui « font autre chose » : lecture, messagerie téléphonique, ordinateurs portables, en attendant que « ça se finisse ». Le ministre lit son courrier, la rapporteure en fait autant. Après chaque défense d’amendement de l’opposition, ni le ministre, ni la rapporteure, ne répondent quoi que ce ne soit ni sur le fond, ni sur la forme. Ils jettent un « défavorable » pour tout commentaire. Et le ronron reprend.

Depuis mon bureau, je voyais la scène à l’écran. Je consultais mes camarades. Depuis la réunion de groupe du mardi, Clémentine Autain et quelques autres députés m’alertaient sur le danger d’un engloutissement silencieux de la loi organique sur les retraites.

En réunion de groupe, on convint d’attendre de voir ce qui se passerait vraiment. En toute hypothèse faire durer les débats n’a qu’un intérêt pour nous : obliger la majorité à parler et à donner « des éclaircissements ». Chacune des interventions de marcheurs couplée à nos questions est une formation gratuite pour le spectateur de nos vidéos et de la chaine parlementaire. Je passais donc mon tour mercredi, pendant un bout d’après-midi, pour sentir l’ambiance. Nous étions en surnombre (presque 9, alors que la noria fonctionne à meilleur rendement à trois, deux qui se relaient pour parler, un en renfort pour les sorties d’hémicycle et les pauses de parole d’un des deux autres).

Jeudi, Clémentine me dit de venir voir et entendre sur place. L’ambiance est glauque. Elle alerte. Visiblement la majorité tente une nouvelle tactique. Sur l’écran on ne voit pas, on ne sent pas l’hémicycle. La caméra se concentre (et c’est bien ainsi) sur la personne qui parle. Elle annule les bruits de fond. Elle réduit au minimum les plans de coupe, car les mimiques des autres députés ou leurs attitudes pourraient fonctionner comme un commentaire sur ce qui se dit. Je suis donc aller sentir. Mathilde Panot, la vice-présidente, est là aussi. Les copains alertés reviennent. Certains sont bloqués en commission, d’autres sont en circonscription. On se concerte sur le fil « Telegram » du groupe. On conclut qu’il s’agit bien de la noyade qu’on craignait.

Le marquage a disparu, personne n’ouvre la bouche en face, les députés des oppositions parlent dans le vide. Il faut réagir. Ugo Bernalicis pique du verbe pour éveiller la salle. Rien n’y fait. Donc c’est une manœuvre. Mathilde Panot et moi sommes chargés de donner un coup d’éperon pour vérifier que les marcheurs restent sur la position de l’édredon. Encéphalogramme plat en face.

Nous nous concertons. Sont-ils seulement abattus par leur déroute de l’avant-veille ou bien est-ce un silence concerté ? Les sacrifices des grévistes et des manifestants méritent mieux que d’être engloutis dans le silence des brebis macronistes qui paissent leur smartphone. Nous refusons de faire tapisserie. Qu’ils restent entre eux, noyés dans notre mépris, foudroyés dans la nudité de leur nullité. Que le voile soit arraché et que la comédie soit visible.

On décide qu’on se lève et qu’on se barre, la seule chose à faire quand on est inclus de force dans un rôle qu’on refuse. Clémentine Autain est donc chargée du discours final du groupe. Puis on sort parler avec les communistes, et enfin avec les socialistes. En général ceux-là embrouillent tout et ne respectent aucun accord. Mais après quelques tergiversations, tout le monde rejoint le point de vue de la sortie immédiate.

C’est le meilleur cas de figure ; la droite ne peut nous suivre. Sa ligne est de se démarquer de la gauche de l’hémicycle. Elle va donc trouver un habile nouveau défi : que la majorité accepte un vote final dit « solennel », qui se fait le mardi en séance plénière. Finalement, les macronistes diront encore non. Sans doute parce que ce serait trop dangereux pour eux. On verrait trop les absents volontaires. Et les votes négatifs seraient possible de la part des quarante dissidents annoncés en coulisse. Du coup la droite aussi quitte la salle. Reste les macronistes et la RN madame Ménard. Elle accepte de servir à sauver les apparences d’un vote contradictoire.

Mais le résultat est là. Ridicule. Il y a 315 députés macronistes, plus 40 députés Modem et la ribambelle des UDI et autres « indépendants » qui votent dans tous les sens. De cette masse de près de 400 députés, il n’y en aura eu que 98 pour adopter la loi scélérate de réforme des retraites. C’est une déroute. Le lendemain, un député de plus quittait le groupe LREM. Et démissionnait de son mandat. Ce n’est qu’un début, après pourtant onze départs depuis janvier. Quand on pense que le départ de six mécontents de leur place sur la liste des européennes me valut la une du « Monde », on mesure la protection dont LREM jouit du fait de ses riches protecteurs alors même que dans n’importe quel autre pays, une telle saignée serait considérée comme une crise de régime. En France le larbinage est une institution.


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