Loi sur la récidive : nouvelle surenchère répressive (par PRS national)

mercredi 18 juillet 2007.
 

Le projet de loi Sarkozy / Dati sur le renforcement de la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs a été adopté en première lecture au Sénat le 6 juillet ; il est en discussion à l’Assemblée Nationale à partir du 17 juillet. Cette nouvelle loi n’a pas d’autre but que d’ entretenir l’agitation sécuritaire dont Sarkozy a fait son terrain de prédilection. Sans résoudre aucun problème de fond, au contraire, puisque le choix du « tout carcéral » y compris pour les mineurs va précisément favoriser la récidive et le durcissement de la délinquance.

Depuis 2002, sous l’impulsion de Sarkozy, les textes législatifs en matière pénale se succèdent : 10 textes votés dont 5 qui modifient l’ordonnance de 1945 sur les mineurs. De nouveaux textes sont présentés sans même attendre l’application des précédents. La dernière loi sur la délinquance des mineurs date à peine de mars 2007 et la dernière loi traitant de la récidive date de décembre 2005.

Une loi qui fait reculer la justice

Les peines planchers : une justice qui devient automatique La loi instaure l’application de « peines planchers », c’est-à-dire des peines minimales obligatoires en cas de récidive pour tous les délits et crimes punis d’au moins trois ans d’emprisonnement. Les pouvoirs d’appréciations du juge sont considérablement réduits :

- En cas de première récidive : le juge ne peut redescendre sous le plancher législatif que s’il motive spécialement sa décision au regard des circonstances de l’infraction, de la personnalité de l’auteur, des perspectives de réinsertion

- En cas de deuxième récidive : Le juge ne peut redescendre sous le plancher législatif que s’il s’appuie sur des perspectives de réinsertion « exceptionnelles ».

- En cas de troisième récidive, le juge perd tout pouvoir d’appréciation.

Ces possibilités de dérogation font reposer sur les juges une très lourde responsabilité dans un système où la condamnation automatique va devenir la règle et la justice réelle l’exception.

Cette loi aura pour conséquence une diminution importante de la marge d’appréciation des juges, portant ainsi atteinte aux principes d’individualisation de la peine garantis dans l’article 8 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. (prise en considération par le juge des circonstances de l’affaire, de la personnalité de l’auteur, des intérêts des victimes).

Les mineurs traités comme des adultes

Les peines planchers sont aussi instaurées à l’égard de mineurs, et l’excuse de minorité peut être levée dans certaines circonstances à partir de 16 ans :

- Pour les mineurs de 13 à 16 ans, le juge peut habituellement prononcer des mesures éducatives, des sanctions éducatives et des peines éducatives. En cas de récidive, le principe de peines planchers s’appliquera aux prononcés de peines éducatives.

- Pour les mineurs de 16 à 18 ans, L’excuse de minorité peut être levée dès la première récidive lorsque le délit est commis avec violence ou circonstances aggravantes. En cas de deuxième récidive, l’excuse de minorité est écartée de plein droit, sauf en cas de motivation spécial du juge.

La spécificité de la justice des mineurs posée par l’ordonnance du 2 février 1945 est largement reniée. La nouvelle loi Sarkozy fait comme si les adolescents étaient des adultes alors que l’ordonnance de 1945 posait le principe qu’en matière de délinquance juvénile les solutions éducatives doivent être recherchées en priorité et que le recours à la sanction pénale et à l’incarcération doivent être l’exception. Or ce texte élargit les cas de recours à l’incarcération pour les mineurs. De 16 à 18 ans les jeunes seront donc considérés comme des mineurs pour ce qui est de leurs droits (droit de vote ...) mais désormais comme des majeurs pour ce qui est de leurs devoirs (responsabilité pénale).

Par exemple, deux jeunes de 16 ans qui dérobent deux fois de suite des bonbons seront condamnés à une peine automatique de 1 an de prison ferme (pour récidive de vol avec la circonstance aggravante de vol en réunion qui fera tomber l’excuse de minorité). Une véritable aberration qui va justement accroître les risques de récidive.

Une loi d’affichage aux conséquences dangereuses

Absence de toute étude d’impact et ignorance des précédents étrangers

Ce nouveau projet de loi Sarkozy n’a fait l’objet d’aucune étude d’impact, ce qui lui a d’ailleurs valu de sévères reproches du Conseil d’Etat. C’est le signe que pour Sarkozy les résultats comptent moins que l’affichage sécuritaire permanent.

Pourtant les conséquences risquent d’être catastrophiques notamment pour la population carcérale. Déjà, depuis 2002, les diverses mesures Sarkozy ont mécaniquement accru de plus de 10 000 le nombre de prisonniers. La France a ainsi aujourd’hui atteint une population carcérale de 63 000 détenus, en hausse de 35 % depuis 2002, pour une capacité d’accueil de 50 000 places environ. Un record de surpeuplement carcéral depuis la seconde guerre mondiale.

Avec la loi sur la récidive, la croissance des incarcérations pourrait atteindre les 10 000 par an, ce qui a conduit l’administration pénitentiaire à envisager le dépassement du seuil de 80 000 détenus dans les années 2010.

Cette politique est d’autant plus aberrante qu’elle a déjà montré ses limites dans d’autres pays. Sarkozy applique aveuglément la théorie dite de la « tolérance zéro » sans tirer aucune leçon de ses échecs. Au Royaume-Uni, la population carcérale s’est envolée depuis 1997 sous l’impulsion de Blair (de 61 000 à 77 000 détenus, avec une prévision de 90 000 en 2010) alors que le nombre de condamnations a baissé. Cette réponse carcérale systématique pose le problème d’un système pénal dont les sanctions ne sont plus du tout proportionnées et dont l’effet dissuasif est donc de moins en moins efficace.

L’Australie, qui avait instauré des peines planchers en 1996 s’est retrouvée dans la même impasse carcérale sans baisse du taux de délinquance : l’essentiel des mesures sur les peines planchers ont ainsi été retirées en 2000 !

Scepticisme des observateurs et magistrats

L’instauration des peines planchers réduit la marge d’appréciation des magistrats. Il s’agit donc d’une mesure de défiance à leur égard, puisqu’ils sont jugée trop « laxistes » par Sarkozy. Le principe de la peine plancher et son exception sur motivation spéciale aura pour effet de rendre les juges responsables, en cas échéant, de la récidive postérieure. Les médias se chargeront de souligner la première affaire de récidive après motivation spéciale des juges, et ceux-ci ne sortiront plus du principe de la peine plancher....

Face aux conséquences annoncées de la loi, le gouvernement argue de sa visée dissuasive... Or l’absence de vertus dissuasives des peines n’est plus à prouver...c’est un principe que l’on pensait admis depuis l’abolition de la peine de mort en 1981 ! De plus, de nombreux acteurs de la scène judiciaire pointent que plutôt que de miser sur une intériorisation de la norme, et surtout le la peine encourue par les populations délinquantes, il serait plus judicieux de mettre des moyens sur la prévention...

De l’Etat social à l’Etat pénal

Dans la stratégie libérale sécuritaire de Sarkozy, cette loi ne constitue qu’un pas de plus dans le désengagement de l’Etat Social au profit de l’Etat Pénal. Et pas par n’importe quelle politique pénale : l’esprit de la loi revient au tout enfermement qui prévalait au milieu du 19ième siècle, enterrant plus d’un siècle d’avancées des sciences criminelles, un demi-siècle de justice des mineurs et 32 ans de politiques de diversification des peines.


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