UNE AUTRE GAUCHE EST POSSIBLE ( 5ème partie de la résolution votée par la Convention nationale de PRS du 1er juillet 2007)

mardi 17 juillet 2007.
 

La crise à gauche n’est pas sans issue. Partout des hommes et des femmes relèvent la tête face à un système qui les opprime. Partout l’échec patent du nouvel âge du capitalisme pousse des peuples à chercher les voies d’une alternative. Partout de nouvelles gauches fleurissent. La France peut prendre une grande part à ce printemps des gauches. Elle en a les moyens.

Elle peut aussi préférer maintenir sous perfusion une gauche crépusculaire, qui en refusant de se réinventer, se condamnerait à l’impuissance ou au renoncement. Un choix est donc ouvert.

L’avenir de la gauche n’est pas écrit. Il sera ce qu’en feront chacun de ceux qui acceptent d’être les dépositaires de son héritage et de ses combats.

A) LA REINVENTION DE LA GAUCHE A COMMENCE

La réinvention de la gauche n’est pas qu’un slogan. Elle a lieu en ce moment même en Amérique latine, au Brésil, Venezuela, Bolivie, Equateur, Argentine... Parce que le néo‐libéralisme a été appliqué dans ces pays avec une radicalité plus violente que partout ailleurs, c’est là qu’elle est la plus visible et spectaculaire. Mais ce processus se déroule également en Europe avec la naissance du parti de gauche allemand Die Linke.

Evidemment, aucune expérience ne nous fournit de modèle transposable.

Tout n’est sans doute pas à reprendre. Tout mérite d’être discuté. Mais l’énergie, l’audace et la persévérance qui ont rendu ces expériences possibles peuvent nous servir de référence. Evidemment, lorsqu’elles parviennent au pouvoir, les nouvelles gauches latino‐américaines dessinent dans leurs politiques des programmes différents.

Elles n’en ont pas moins en commun quatre points fondamentaux qui visent à rompre avec les méfaits du libéralisme. Notons que chacun d’eux résonne fortement dans l’expérience européenne du nouveau parti allemand de la gauche. N’ont‐ils pas un sens aussi en France ?

1°) LA REFONDATION CIVIQUE DES NATIONS GRACE A DES PROCESSUS CONSTITUANTS

Les nouvelles gauches au pouvoir ont appliqué à leurs pays la même méthode : s’appuyer sur l’implication populaire dans le changement politique et social. La première condition du changement politique est d’abord pour eux l’élargissement continu du corps électoral qui permet de faire émerger le continent civique des pauvres et des indigènes largement tenus à l’écart des affaires publiques dans ces pays. Au Venezuela, le nombre de votants a quasiment doublé depuis 1998 grâce à l’inscription de plusieurs millions de pauvres sur les listes et au recul de l’abstention.

Elu la première fois en 1998 avec 3,5 millions de voix, Chavez a été réélu avec 7,2 millions de voix en 2006, avec plus de 75% de participation. En Bolivie, le gouvernement Morales a engagé un vaste chantier pour donner des papiers et inscrire sur les listes électorales 2 millions d’Indiens (sur 9 millions d’habitants) qui n’ont jamais eu de papiers et ne pouvaient donc être citoyens.

L’étape suivante du changement politique est l’élection d’assemblées constituantes pour redéfinir les principes mis au poste de commande des pays, refonder les règles du jeu et relégitimer toutes les institutions de la vie collective. Après la Constituante vénézuélienne de 1998, c’est au tour de la Bolivie d’engager ce processus constituant depuis 2006 et plus récemment de l’Equateur avec un niveau de participation au vote stupéfiant même pour les organisateurs du scrutin. Ces processus constituants aboutissent à des Constitutions qui garantissent la poursuite de l’implication populaire et civique dans le changement social. Partout ils sont présentés comme une refondation de la nation elle‐même.

Chez les Allemands aussi la fondation du Linke est présentée comme le moyen d’une réunification véritable du pays, résorbant la fracture encore béante entre l’Est et l’Ouest. En outre, le programme du nouveau parti met au premier plan plusieurs chantiers démocratiques comme l’introduction du référendum ou le droit de faire grève contre les projets gouvernementaux « comme les Français ».

Et en France ? Pouvons‐nous nous satisfaire de la dérive censitaire d’une Cinquième République qui rogne chaque jour le débat public et prive les citoyens des moyens de se faire entendre ? La revendication d’une Sixième République n’est‐elle pas le préalable du changement en profondeur auquel nous aspirons ?

2°) LA RECUPERATION DE LA SOUVERAINETE SUR LES GRANDS OUTILS DE DEVELOPPEMENT ET L’APPROPRIATION SOCIALE DES RESSOURCES NATURELLES

Ce deuxième point est la conséquence intérieure logique du retour des peuples au poste de commande. A la fois source principale de revenus et instrument géopolitique à part entière, l’énergie est le principal objet de cette réappropriation sociale de la richesse nationale. Le Venezuela a ainsi repris en main publique la compagnie pétrolière PDVSA en organisant des mécanismes d’affectation de la rente pétrolière au financement des programmes sociaux. Il organise également le retour au monopole de l’exploitation pétrolière avec la nationalisation des compagnies qui exploitent les champs sous‐marins de l’Orénoque grâce à des prises de participations majoritaires de PDVSA dans ces compagnies jusque‐là contrôlées par une majorité de capitaux étrangers. Afin de faire cesser l’exploitation privée de sa ressource en gaz dans des conditions très défavorables à l’Etat, la Bolivie a aussi engagé la nationalisation des principales compagnies gazières. Après des années de sous‐investissement des compagnies privées, la reconstruction des infrastructures de l’économie passe aussi dans ces pays par la nationalisation de certaines compagnies de communication, d’énergie et de transport. Ce processus est également engagé en Equateur. En Argentine, l’annulation de la dette a la même signification.

En Allemagne également, Die Linke fait étroitement le lien entre les enjeux écologiques et l’exigence d’appropriation sociale d’un certain nombre de secteurs. C’est ainsi qu’il met l’accent sur la nationalisation de l’énergie comme condition d’un autre mode de développement à la fois plus égalitaire et respectueux de l’environnement.

Et en France ? La formation d’un pôle public de l’énergie n’est‐elle pas un objectif immédiat d’action écologique, sociale et de souveraineté ?

3°) LA PRIORITE AUX PLUS PAUVRES POUR ABOLIR L’APARTHEID SOCIAL

La première réponse des nouvelles gauches latino‐américaines à la pauvreté de masse n’a pas été d’abord économique ou sociale mais politique. Cette approche est résumée par la formule : « pour régler le problème de la pauvreté, il faut donner le pouvoir aux pauvres ». C’est la condition pour que l’Etat reste durablement au service du plus grand nombre. Les politiques sociales qui en résultent sont particulièrement audacieuses et globales touchant à la fois l’alimentation (Mission Mercal au Venezuela, plan Zéro faim au Brésil), l’alphabétisation de masse et l’éducation (Mission Robinson au Venezuela et en Bolivie), la santé pour tous avec des centres publics de santé et des médecins de proximité (Mission Barrio Adentro au Venezuela), le logement ou encore le soutien aux travailleurs (hausse du salaire minimum de 35% au Brésil) ...

Et les résultats sont tangibles : 2 millions d’adultes alphabétisés au Venezuela mais aussi une proportion de personnes vivant avec moins de 1 $ par jour (extrême dénuement) qui est passée d’après le PNUD de 14,7% à 8,3% entre 1998 et 2004. De même au Brésil, l’aide alimentaire apportée à 11 millions de familles pauvres a permis de faire passer le taux de pauvreté de 26,7% à 22,7% de la population au terme du premier mandat de Lula.

Ce recul de la pauvreté est aussi vertueux économiquement puisqu’il a permis de soutenir fortement la croissance de ces pays.

Cruel démenti pour les institutions financières internationales, les pays moteurs de la croissance latino‐américaine en 2005 ont tous d’une manière ou d’une autre réinvesti massivement dans les budgets publics et tourné le dos au consensus libéral. En tête des plus fortes croissances, on trouve en effet le Venezuela (18%), l’Argentine (8%) et le Brésil (5%).

En Allemagne, les principales revendications du nouveau parti Die Linke sont le salaire minimum, la revalorisation des petites retraites et le rétablissement des droits des chômeurs. Là aussi, au coeur de la première puissance économique européenne, la lutte contre la pauvreté de masse est le chemin par lequel passe la rupture avec le modèle économique dominant.

Et en France ? La résignation face à la pauvreté de masse n’est‐elle pas la première défaite de l’esprit républicain qui se dressa dès l’origine contre la misère et le premier renoncement de la gauche à la plus élémentaire solidarité de classe ? Le relèvement du salaire minimum et des petites pensions, la récupération des 10 points de richesse nationale passés des poches du travail dans celles du capital, ne sont‐ils pas à l’ordre du jour ?

4°) L’AFFIRMATION DU DROIT A DECIDER D’APRES SES PROPRES BESOINS DE DEVELOPPEMENT FACE A LA SUPERPUISSANCE ETATS‐UNIENNE ET AUX INSTITUTIONS FINANCIERES INTERNATIONALES

Ce point est la conséquence extérieure du programme de récupération de leur souveraineté par les peuples concernés. Cela conduit le front Venezuela‐Brésil‐Argentine à refuser la libéralisation commerciale américaine et à faire capoter la proposition Etats‐unienne d’ALCA. Cela les conduit aussi à une prise d’autonomie effective face aux institutions financières internationales qui ont conduit leurs pays à la ruine : remboursements anticipés au FMI par le Venezuela et le Brésil (pour économiser les intérêts) ou même refus pur et simple d’honorer une partie de la dette par l’Argentine.

Alors que dans les pays dirigés par ces nouvelles gauches, les questions militaires et de conflits de frontières sont à vif, le nouveau nationalisme de ces pays ne s’inscrit pas dans une perspective guerrière, traditionnellement liée aux nationalismes de droite. Pour eux, l’indépendance et la puissance nationale sont avant tout des instruments pour restaurer la souveraineté du peuple sur des sociétés et des économies balkanisées par les intérêts privés et les capitaux étrangers.

Ils renouent ainsi avec les sources de gauche du patriotisme issu de la Révolution française, écartant résolument les dérives droitières et xénophobes dans lesquelles finit toujours par sombrer le nationalisme européen.

En Allemagne, Die Linke inscrit son action dans une refondation démocratique et sociale du cadre européen actuel. Il met au premier plan l’actualité de la lutte pour la paix face à la politique impériale des Etats‐ Unis d’Amérique.

Et en France ? Devons‐nous renoncer à l’idée que notre pays peut être le promoteur sous toutes les latitudes d’un nouvel ordre mondial respectueux du droit de chaque peuple à fixer souverainement son destin ? Pourquoi maintenons‐nous notre participation au FMI et à la Banque Mondiale ? Pourquoi n’avons‐nous aucune politique de représailles contre les paradis fiscaux ? Pourquoi acceptons‐nous l’intégration au commandement militaire intégré de l’OTAN qui joint nos forces en Afghanistan sans mandat du Parlement français ?

B) EN FRANCE, LE DEBAT EST OUVERT

En France, le débat sur la gauche d’après est enfin ouvert. Certes, pas toujours dans le sens que nous appelons de nos voeux. Certains au sein du PS évoquent ainsi la remise à plat des fondamentaux du Parti créé à Epinay en 1971, qui tenaient dans le triptyque orientation de rupture avec le capitalisme, programme commun avec les seules forces de gauche et création d’un parti pluraliste ouvert à toute la gauche.

Quels autres choix proposent‐ils ? Comme ligne générale, une orientation social‐démocrate s’inscrivant dans l’accompagnement de la mondialisation libérale. Comme stratégie d’alliance, un dialogue privilégié avec le centre. Comme parti pour la porter, une formation dans laquelle le vote majoritaire soumet la diversité des points de vue qui se confrontent aujourd’hui à gauche. Tout se tient ! Ce modèle a sa cohérence : en finir avec la spécificité du PS français dans la social‐démocratie européenne.

Faut‐il au contraire tirer les leçons de l’impasse sociale‐démocrate et offrir une autre voie à gauche en construisant un nouveau parti ouvert à toute la gauche et non au « centre » ? Cette alternative ouvre une discussion fondamentale dans le Parti socialiste. Ses issues possibles changeraient profondément la nature du PS et, partant de là, le paysage de toute la gauche. Si le PS devient un parti de centre gauche assumé, un parti social démocrate, il ne pourra plus regrouper que ceux qui se reconnaissent dans cette impasse. A l’évidence, ceux qui veulent prolonger l’idéal de la République sociale et de la gauche de rupture ne pourront en être. Dans ce cas, il leur faudra proposer un autre chemin.

L’autre gauche aussi est au défi. Va‐t‐elle maintenir sa fragmentation si désespérante et si nuisible à la gauche toute entière ?

Alors il faudra admettre que l’avenir de la gauche est dans le parti unique que préfigure le Parti socialiste. Au contraire saura‐t‐elle proposer un dépassement de ses structures ouvrant ainsi un autre choix à gauche ? Celui d’une alternative prête à la conquête des pouvoirs plutôt qu’à l’adjuration, à des alliances plutôt qu’à l’ostracisation de ses voisins et cousins de gauche ?

Ces questions seront présentes dans les débats du congrès anticipé convoqué par le Parti Communiste Français pour la fin de l’année 2007.

D’ores et déjà, Marie‐George Buffet a mis plusieurs hypothèses sur la table. Parmi celles‐ci figure la constitution d’un « Die Linke à la française ».

De leur côté, plusieurs sensibilités de l’autre gauche impliquées dans la démarche des collectifs unitaires antilibéraux se posent aussi la question d’une nouvelle construction politique. Des débats ont également lieu au sein de la LCR. Partout le besoin d’une force nouvelle à gauche fait son chemin dans les têtes.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message