"Autonomie des universités" : Sur la pente du marché et de la concurrence (compte-rendu officiel du débat au Sénat, extrait)

vendredi 20 juillet 2007.
 

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon.

M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, vous vous attendez sûrement à ce que le peu de temps dont je dispose me conduise à tenir des propos quelque peu rugueux.

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles, groupe UMP. Mais non !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Cela ne vous ressemble pas, monsieur le sénateur !

[[M. Jean-Luc Mélenchon. Après tout, la rugosité n’est pas toujours l’ennemi de la pédagogie, surtout quand il s’agit d’exposer des arguments auxquels je tiens. Madame la ministre, vous avez souvent évoqué le contexte à propos du développement de l’université française. Vous avez raison : l’université ne s’appartient pas : elle appartient au pays, lequel est en droit de lui demander de se mettre en ligne avec ses objectifs de développement humain, culturel et scientifique.

Pour autant, plutôt que d’étudier ce contexte sous le seul angle de la compétition, mieux vaudrait en comprendre le contenu. Or, chaque année, sur les 1 400 milliards de dollars consacrés aux dépenses d’éducation, 21 milliards sont appropriés par des firmes privées.

Il s’agit bien d’un secteur d’accumulation, comme bien d’autres, notamment la santé. La production du savoir n’échappe pas à l’appétit de la concurrence et du marché. Tel est bien l’objectif de nombreux acteurs financier sur la scène internationale. A mon sens, il faut y résister. Vous pensez qu’il faut s’y résigner : je ne suis pas d’accord !

Mme Annie David, groupe communiste, républicain et citoyen. Très bien !

M. Jean-Luc Mélenchon. Selon moi, ce texte ne porte pas sur l’autonomie des universités, dont le parti socialiste est d’ailleurs partisan. En réalité, l’autonomie n’est qu’un prétexte ? C’est bien la « liberté » des universités qui est en jeu, terme que vous avez d’ailleurs mis en exergue dans le titre même du projet de loi. C’est-à-dire l’instauration du marché.

De même, la gouvernance, qui pose effectivement de vrais problèmes, est un alibi. L’accueil dans le premier cycle, l’articulation de l’enseignement avec la recherche, la lisibilité des filières de formation ne sont que quelques-unes des nombreuses questions qui restent en suspens. Or comment se fait-il que, pour aborder des problèmes aussi complexes, vous commenciez par la gouvernance ? Il y a là un véritable vice de forme.

Il faut d’abord commencer par traiter les objectifs et identifier les moyens, non seulement sur le plan financier mais également sur celui de la réorganisation des filières, eu égard, notamment, à la professionnalisation, et seulement, ensuite, s’intéresser à la gouvernance. C’est ce vice de forme qui me fait dresser l’oreille et qui me fait dire à quel point je ne peux pas être d’accord avec vous.

Madame la ministre, à quelle extrémité n’en êtes-vous pas rendue pour justifier la mise en place de la liberté de recrutement et de rémunération des enseignants ? Voilà, en effet, le cœur du sujet, qui ne manquera pas de déboucher sur un mercato des enseignants ...

M. Philippe Adnot, rapporteur pour avis, groupe UMP. Il existe déjà !

M. Jean-Luc Mélenchon. ...et sur une inégalité croissante entre les universités, entre celles qui pourront recruter les professeurs renommés et celles qui ne le pourront pas, faute de ressources financières suffisantes. Cette inégalité de moyens résultera de la capacité des établissements d’avoir accès, ou non à des fonds privés dans leurs fondations et à la gestion de leur patrimoine immobilier.

Au final, quelle aberration ! Avec ce système, vous allez contre l’effort fait par les Français, génération après génération, pour disséminer l’implantation universitaire sur tout le territoire et féconder partout les capacités productives du pays par le savoir. Vous avez choisi une logique inverse, en favorisant la concentration sur quelques pôles uniquement, lesquels capteront tous les moyens.

Mais comment vous y prenez vous ? Mes chers collègues, pour faire accepter cette réalité, sans autre forme de procès. Ici même, nombre de voix, Ô combien éminentes, se sont élevés pour affirmer que l’université française ne vaut rien et que ses résultats sont « à la traîne de tout le monde » ! Comment pouvez-vous accepter le classement de Shangaï, alors que celui-ci n’intègre aucune des valeurs de service public et d’accueil auxquelles nous croyons tous ici, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons ?

Mes chers collègues, savez vous que ce classement n’intègre ni le CNRS, ni l’INRA, ni même l’ENSIA, l’école nationale supérieure des industries agricoles et alimentaires ?

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles, groupe UMP. Absolument !

M. Jean-Luc Mélenchon. Sachez que l’index des publications scientifiques sur lequel s’appuie le classement des universités, dans lequel la France est si mal placée, est géré par une entreprise privée nord américaine. C’est moi qui vous l’apprends, et vous pourrez le vérifier !

Dans ces conditions, comment expliquez vous qu’étant à ce point en bas de l’échelle, la France figure parmi les trois premiers pays au monde pour le nombre de scientifiques pour cent mile habitants, et ce devant le Japon, l’Allemagne et les Etats-Unis ? Comment expliquez-vous de telles performances, sinon par la qualité de ce système que tant viennent de décrier à cette tribune ?

Le perfectionner ? Oui ! Le détruire ? Non !

Mes chers collègues, nous n’avons rien à faire du marché ni de la concurrence dans l’éducation et dans l’enseignement supérieur !

Puisque vous affirmez que notre patrie est « à la remorque » pour ce qui concerne l’accueil des étudiants étrangers, comment expliquez-vous que 25 % des personnels du CNRS soient des professeurs étrangers ? Et que la participation des étudiants étrangers croissent dans les universités françaises, tandis qu’elle stagne dans les universités américaines et anglaises ?

Souvenez-vous de tout cela avant de montrer du doigt la qualité du système universitaire français, car votre manière d’agir ne fait que transformer le Journal officiel de la République française en un recueil d’argumentaires critiques contre nos performances.

Mme Annie David. Très bien !

M. Jean-Luc Mélenchon. Madame la ministre, mes chers collègues, voilà donc présentés, en peu de temps, les raisons de mon désaccord. Personnellement, je crois au service public et à la logique qui a été la nôtre de dissémination du savoir et de développement du maillage universitaire dans notre pays. Comprenez-le, l’université française souffre non pas d‘un manque de liberté mais d’un manque d’égalité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC).


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