Macron : « Une volonté de cibler des personnes, de faire des exemples, pour faire peur aux gens qui luttent »

mardi 5 novembre 2019.
 

Incarcéré depuis le 18 avril suite à une plainte de militants fascistes, Antonin Bernanos est sorti de prison le vendredi 25 octobre, sous contrôle judiciaire, après une décision du juge des libertés et de la détention. Mais le parquet a fait appel

Mise à jour : La remise en liberté sous contrôle judiciaire d’Antonin Bernanos a été confirmée par la cour d’appel de Paris. « Je suis soulagé. C’est une grande victoire », a-t-il déclaré [

Nous nous sommes entretenus ce dimanche avec Antonin pour faire le point sur « l’affaire » et ses implications politiques, mais aussi pour discuter de l’État, de la police, de la gouvernance autoritaire de Macron, du danger de l’extrême droite et… de la prison.

Julien Salingue- Pour commencer, une question simple : comment vas-tu ?

Antonin Bernanos - Moi ça va. Bon, depuis que j’ai été libéré, tout est allé assez vite, et les choses sont compliquées avec le contrôle judiciaire : j’avais obligation de quitter Paris, je suis assigné à résidence, etc., et ça a fait pas mal de choses à gérer du jour au lendemain. Et puis en plus, je ne vais pas te mentir, j’ai déjà eu par le passé l’expérience de la Cour d’appel, et ça a souvent été une très mauvaise expérience, que ce soit pour l’affaire qui est en cours, où ils ont refusé systématiquement toutes les demandes de libération des JLD [juges des libertés et de la détention], et aussi lors de l’affaire précédente, l’affaire du 18 mai [4], où j’ai été exactement dans la même situation, puisque j’étais sorti après une DML [demande de mise en liberté], que je me suis présenté libre à l’audience et qu’ils m’ont quand même renvoyé en prison.

Du coup j’ai un pied dedans et un pied dehors on va dire, je n’arrive pas du tout à me projeter dans la vie quotidienne, dans la vie de tous les jours, je m’attends au pire à partir de mardi. Pour te dire à quel point j’en suis, je me suis arrangé avec le directeur de la prison pour qu’il réserve ma cellule, pour qu’il mette une étiquette avec écrit « réservé jusqu’à mardi » afin que je ne reparte pas de zéro et que je ne doive pas tout recommencer si je retombe mardi prochain. Donc voilà, c’est compliqué, j’ai pris mes dispositions, mais comme je te le disais, j’ai la tête à moitié dedans et à moitié dehors.

Comment se sont passés ces six derniers mois, en prison ?

Ce n’est pas la première fois que je fais de la prison, donc c’était relativement simple. C’est une réalité que j’ai acceptée comme étant logique au regard des combats que je mène, et de la forme que ces combats prennent depuis quelques années. Après, ce qui a vraiment été dur, c’est le traitement carcéral, qui a été très différent, alors que l’affaire était nettement moins importante, médiatisée, et moins grave au niveau des faits, que la précédente.

Quand je suis arrivé à Fresnes, j’ai été placé à l’isolement tout de suite, en raison, me disait-on, de mon appartenance à des mouvances d’extrême gauche radicales et violentes. Je me suis donc retrouvé à l’isolement, ce qui est psychologiquement difficile à vivre. Ensuite, du jour au lendemain, on m’a transféré à la Santé en m’annonçant que je n’allais rester qu’une semaine parce que la Direction interrégionale des services pénitentiaires de Paris demandait mon transfert en province en raison de mes soutiens en Île-de-France, qui pourraient nuire à la sécurité des établissements. Ils se justifiaient en parlant des feux d’artifices qui avaient été tirés à proximité le soir de mon anniversaire, et surtout en inventant des problèmes qui auraient eu lieu autour de Fresnes, comme des agressions de surveillants. Ils ont même parlé d’un risque d’évasion car des amis à moi auraient fait voler des drones au-dessus pour établir des plans de la prison…

Bref, du coup je me suis retrouvé à la Santé, avec cette menace qui planait de me faire envoyer, du jour au lendemain, à Poitiers, à Perpignan, je ne sais où, éloigné des miens. Mais après un combat assez long, j’ai réussi à rester à la Santé. À partir de là, les choses se sont passées un peu plus simplement, je n’étais plus à l’isolement, je n’avais plus de risque de transfert… En tout cas jusqu’à ce que je publie, récemment, une lettre qui a relancé la procédure de transfert.

Comment expliques-tu qu’ils s’acharnent comme ça ?

Ça peut sembler compliqué à expliquer, mais je crois qu’en fait, au cœur même des argumentations du Parquet et des juges, on trouve les raisons de l’acharnement. Le juge qui vient d’ordonner ma libération, c’est le même que celui m’avait incarcéré, Charles Prats. C’est un juge qui s’est fait connaître publiquement, sur les réseaux sociaux, comme un opposant aux antifascistes, aux « nervis d’extrême gauche » comme il les appelle… Le 16 mars, après la journée de manifestation et de révolte sur les Champs-Élysées, il parlait, sur Twitter, de « peste noire » qu’il fallait envoyer en prison. Il avait aussi déjà fait des commentaires au moment du 18 mai en disant que je méritais d’aller en prison… Bref, c’est quelqu’un qui est connu pour ses positions anti-mouvement social, qui apparaît dans plein de médias d’extrême droite.

Et donc c’est lui qui a autorisé ma sortie, alors que c’est lui qui m’avait fait enfermer. Mais en fait, il s’est retrouvé dans une situation dans laquelle, au vu du dossier, ce n’était vraiment pas possible de me maintenir en prison. Car c’est bien ce qu’on répète depuis le début : il n’y a aucun élément, dans le dossier, contre moi, ils ont une vidéo qui montre l’intégralité de ladite agression, et je ne suis pas présent sur la vidéo… Et donc ce n’est pas parce que j’ai été arrêté et que j’étais présent à proximité de là où ça s’est passé que l’on peut retenir contre moi des accusations de violences. Ce juge a donc fini par céder, en disant que j’avais été entendu par la juge d’instruction et qu’il n’y avait aucun élément contre moi.

Mais il a mis des choses « intéressantes » dans la balance. Déjà, je suis sorti avec le paiement de 10 000 euros de caution, préalable à ma libération, et le juge assume le fait que c’est fait pour cibler le soutien financier dont on serait bénéficiaires. On dirait vraiment les accusations de l’extrême droite selon lesquelles on serait financés par je ne sais quel organisme souterrain… Et au-delà, c’est clairement un moyen de cibler directement la solidarité des gens, les dons qu’on a eus. En plus, je suis interdit de Paris, interdit de région parisienne même, interdit de voir mon frère, assigné à résidence et, quelque chose d’intéressant, interdit de manifester. En gros j’ai été arrêté dans le cadre d’une affaire d’affrontements, qui ont eu lieu, apparemment, un peu par hasard dans les rues de Paris le soir où Notre-Dame a brûlé, et je suis interdit de manifester, alors que ça n’a rien à voir. C’est complètement illégal. Imagine, demain je suis arrêté pour un défaut de permis et, parce que je suis Antonin Bernanos ils peuvent m’interdire de manifester…

Donc c’est un acharnement très politique.

Oui, je trouve que tout ça est très révélateur des raisons pour lesquelles je suis resté aussi longtemps en prison. Il se trouve qu’il y avait des mouvements sociaux forts à l’extérieur, les Gilets jaunes bien sûr, mais aussi d’autres mouvements à d’autres moments : par exemple l’un des motifs du renouvellement de mon mandat de dépôt en août, alors que le JLD avait décidé de ne pas le renouveler, ça a été, c’est écrit noir sur blanc, qu’il y avait un risque trop important de me laisser sortir à quelques jours du G7 [à Biarritz], alors que je pourrais organiser les révoltes et les actions violentes à l’encontre des policiers…

Il y avait donc vraiment une volonté, je pense, de me tenir à distance de la contestation sociale, une volonté aussi de construire une fausse image de moi en tant que leader d’une mouvance violente, comme s’il y avait une mouvance terroriste qui s’en prenait à l’État et aux forces de police, et qui serait orchestrée par ma personne, ce qu’on retrouve avec l’interdiction de manifester.

Tu noteras au passage que, parallèlement à ça, alors qu’ils politisent au maximum l’affaire, en faisant de moi un espèce de leader d’extrême gauche dangereux qu’il faut à tout prix tenir à l’écart des mouvement sociaux, il y a une criminalisation totale des faits. Ce qui est reproché aux gens, ce sont des vols et des violences, comme si un affrontement avec l’extrême droite pouvait être résumé à ça… Et par ailleurs, dernier point, dans mon contrôle judiciaire il y a une obligation de soins et de suivi psychiatrique. Je vais devoir me soigner, avec obligation de médicamentation si on me l’impose, et obligation de soins psychiatriques, comme si l’engagement des gens et leur investissement dans les luttes étaient liés à des problèmes psys, et n’étaient pas une réponse politique à un ordre social injuste…

Donc finalement en reprenant le dossier on comprend les raisons de l’acharnement contre moi, un acharnement qui, je tiens à le dire, n’est pas nouveau et ne me concerne pas que moi, mais plein d’acteurs du mouvement social. On le voit par exemple avec Assa Traoré qui est poursuivie pour des motifs qui n’auraient jamais été utilisés contre d’autres avant. Il y a une volonté de cibler des personnes, de faire des exemples, en espérant que ça fera peur aux gens qui luttent, que ça permettra de stopper les contestations, de freiner les mobilisations sociales.

Et c’est donc en raison de la dimension politique de la chose que tu as choisi d’écrire une longue lettre, un texte politique, qui a été publié sur divers sites militants, dont celui du NPA [voir ci-dessous], dans lequel tu parles de l’articulation entre la montée de l’extrême droite, l’autoritarisme, le durcissement de la répression policière et judiciaire ?

Oui, c’est pour ça. Je tenais à faire ce « point » politique, c’est vrai que la lettre était longue, mais ça faisait longtemps que je n’avais pas eu l’occasion de parler, mon courrier était bloqué, ça avait été très long de débloquer le parloir pour mes proches… Donc voilà, du fond de ma cellule, je constatais plusieurs choses et j’avais envie d’en parler. Je voyais se prolonger ce à quoi on avait assisté pendant les Gilets jaunes, c’est-à-dire cette manipulation à l’encontre du mouvement, d’essayer de le rendre illégitime en le faisant passer pour un mouvement d’extrême droite, tout en favorisant la répression contre les franges du mouvement social traditionnel qui essayaient de s’investir dans le mouvement plus que contre les franges d’extrême droite, qui avaient beaucoup plus de libertés que nous, pouvaient attaquer des cortèges dans les manifs sans qu’il se passe quoi que ce soit et sans qu’ils se fassent perquisitionner le lendemain. Ce qui m’a donné envie de faire ce texte, de proposer une analyse politique de l’articulation entre l’État, le gouvernement, le fascisme et le capitalisme qui, s’ils ne sont pas nécessairement la même pièce du puzzle, sont complémentaires : quand le capitalisme entre en crise et que les gouvernements n’arrivent plus à gérer les mouvement sociaux, ils regardent du côté du fascisme, reprennent leurs thèmes, comme on l’a encore vu récemment avec les débats publics sur l’immigration et la folie islamophobe.

Au NPA, on prend depuis quelque temps au sérieux l’hypothèse d’une accession au pouvoir de l’extrême droite. C’est ce que tu as en tête toi aussi ?

Je le prends au sérieux, mais sans pour autant dire que la prise de pouvoir de l’extrême droite sera forcément le Rassemblement national qui gagnerait les élections. En tout cas, je constate aujourd’hui que, d’une certaine façon, l’extrême droite est déjà en train de prendre le pouvoir. Ce n’est pas parce que le Rassemblement national n’est pas au pouvoir que leurs thèses, que les thèses fascistes, n’ont pas pris une importance considérable au sein de tout le champ politique. Quand on en est à faire des débats sur l’immigration comme ceux qu’il y a à l’heure actuelle, quand on voit les hommes, femmes et enfants qui périssent par milliers en Méditerranée, quand on explique qu’il est normal et logique d’être islamophobe, tous ces débats complètement hystérisés, avec en plus des violences policières toujours plus nombreuses et récurrentes, une police qui s’assume, on l’a vu dans des sondages et des enquêtes, comme votant à l’extrême droite… alors oui, on peut dire que la prise de pouvoir de l’extrême droite est crédible, elle est possible, et elle est en cours. Bref, le fascisme au pouvoir ça ne se réduit pas à « le Rassemblement national gagne les élections ».

Mais y a rien d’irréversible non plus là-dedans. C’est pour ça que toi, tu es militant antifasciste et que tu penses une riposte à construire, globale, pour endiguer ça ?

Oui, mais je pense que cette riposte ne peut se faire que par le bas, et que c’est un antifascisme de terrain qu’il faut porter. C’est ça aujourd’hui la priorité. Encore une fois, je vais parler du gouvernement et du débat public : Macron nous a fait le coup pendant les européennes, je regardais ça en cellule, j’étais à la fois horrifié et très intéressé par cette volonté qu’il y avait d’opposer les « progressistes » aux fascistes. Macron a refait le coup du second tour [de la présidentielle] au moment des élections européennes : c’est soit moi, soit le fascisme, comme s’il n’y avait pas d’autre solution. Je pense que c’est un coup qu’il va refaire encore au moment des municipales : soit le libéralisme, soit le fascisme. Alors qu’à côté de ça, le pouvoir entretient une certaine forme de fascisme et il y a une volonté de discréditer et de disqualifier tous les acteurs d’un antifascisme conséquent, d’un antifascisme de terrain, qui luttent sur les lieux de travail contre le fascisme, qui luttent dans les rues contre le fascisme, qui luttent dans les mouvements sociaux contre l’implantation et la propagation du fascisme, y compris au sein de nos propres mouvements.

Je pense que ce dont on parle n’est pas irréversible, que ce n’est pas quelque chose qui est fatal et qu’il faudrait baisser les bras. Bien au contraire, je pense qu’il faut s’unir et qu’aujourd’hui, il y a des acteurs du mouvement social, principalement, et aussi de la société civile qui pensent ces questions-là de manière totalement différente. Il faut que le débat s’ouvre. Je pense que le NPA a été un des premiers acteurs à penser cette question de l’antifascisme comme étant beaucoup plus large que le seul combat contre l’extrême droite, qu’il faut amener aussi la question des quartiers, celle de l’islamophobie, et proposer des cadres d’alliance que moi je pense vraiment nécessaires pour la suite, de fronts communs antifascistes. Mais on parle bien de fronts communs qui ne négocient pas la question du fascisme, en disant par exemple « L’islamophobie non, c’est pas le moment, ce qu’il faut c’est parler de l’extrême droite » ou « Non, le racisme d’État, c’est pas la même chose, on verra plus tard ».

Il y a donc des choses qui se font, des choses qui se sont faites, et des victoires aussi. Il faut se le dire : la réponse qu’on a eue au sein des Gilets jaunes, faire corps tous ensemble et se soutenir face aux attaques des groupes d’extrême droite, qui étaient de plus en plus nombreuses, eh bien ça, c’était une victoire concrète. Parce que si jamais on n’avait pas pris ce parti-là, ou si on avait fait comme d’autres qui nous disaient « Il ne faut pas aller dans ce mouvement, c’est un mouvement d’extrême droite, vous allez pactiser avec le diable », ou si on avait choisi, comme certains adeptes de l’insurrection, de faire l’impasse sur la question de la présence de l’extrême droite dans le mouvement, le risque était que ce dernier se droitise de plus en plus, qu’il intègre en son sein des militants d’extrême droite, qui auraient eu une tribune, un terrain dans lequel s’exprimer, et ça aurait pu être vraiment dangereux. Donc je pense qu’il y a eu de petites victoires, qui ne sont pas si petites que ça, et qu’il faut penser la chose de manière plus large, et continuer de travailler en commun pour la suite, c’est ça qui est essentiel.

À la fin du texte que tu as écrit, tu mets au centre des combats révolutionnaires la question de la lutte anticarcérale. Tu as déjà été et tu es aujourd’hui encore confronté à la chose, mais est-ce que tu penses que, de manière générale aujourd’hui, en tant que militants anticapitalistes, antifascistes et révolutionnaires, la question de la prison est quelque chose que personnellement et politiquement nous devons affronter et/ou se préparer à affronter, et d’une manière plus conséquente qu’aujourd’hui ?

Il faut faire mieux sur cette question, c’est évident, et je me mets dans le lot aussi. Je suis un grand adepte du « Il faut lutter contre la prison » au moment où ça me concerne. J’en prends vraiment conscience au fur et à mesure que les années passent. Je suis sorti de ma première peine de prison en me disant qu’il y avait vraiment une nécessité de la lutte anticarcérale aujourd’hui. Je suis sorti, et je n’ai rien proposé, rien fait de nouveau jusqu’à ce que je retourne en prison pour me dire « Oui, c’était important, mais qu’est-ce que j’ai fait depuis ? » C’est un problème qui traverse l’ensemble du mouvement social.

Le premier problème, c’est de considérer que la prison c’est important uniquement quand ce sont les nôtres qui y sont confrontés, et c’est quelque chose qui arrive de manière assez régulière. Le deuxième problème, c’est de ne pas prendre cette question à bras-le-corps et de ne pas réfléchir à ce que c’est la prison aujourd’hui dans notre société. Quand on pense à ce que représente la prison aujourd’hui, et quand on est antifasciste et qu’on porte un projet antifasciste conséquent, on est obligé de comprendre que la prison est l’une des institutions qui fait fonctionner le mieux, et de la manière la plus pérenne, le racisme d’État en France. Quand on est en prison aujourd’hui, on se retrouve essentiellement avec des jeunes, des quartiers populaires, qui sont noirs, arabes, musulmans, qui sont ciblés par des contrôles de police depuis longtemps, un système de contrôle raciste. Certes, Balkany a été condamné, mais habituellement les hommes de la bourgeoisie en col blanc sont systématiquement relaxés, ou condamnés sans peine ferme pour des crimes qui impactent bien plus la société et le corps social que le fait d’avoir dealé une barrette de shit ou le fait d’avoir essayé de s’en sortir comme on peut.

Je pense qu’aujourd’hui, il y a un véritable problème au sein du mouvement : comment on se saisit de la question carcérale, comment on le fait intelligemment, c’est à dire au-delà des mots, et surtout comment on le fait avec les gens qui sont concernés par ça. Quand j’étais en prison, j’en parlais avec un militant basque. Eux se sont saisis de la question carcérale, en parlent et font des choses depuis longtemps, mais ils le font toujours vis-à-vis de leur propres situation, ils sont toujours tournés vers eux-mêmes, sans parler de la prison comme étant un système qui englobe l’intégralité de la société. C’est le militant basque lui-même qui faisait cette autocritique… Si ça n’englobe pas l’intégralité de la société, ça englobe au moins, et ça concerne au moins l’intégralité d’une classe sociale qui est la classe ouvrière aujourd’hui, sous toutes ses formes. Avec ses mutations, ses spécificités en fonction des zones géographiques…

Aujourd’hui, il y a un débat à avoir, une question à se poser : accepter d’abord tous que cette question, on l’a mise de côté et qu’on ne l’a pas traitée comme il fallait, moi le premier, c’est essentiel. Et ensuite, se poser avec les acteurs du mouvement, tous ensemble autour d’une table et se dire : « Qu’est-ce qu’on peut penser ensemble, qu’est-ce qu’on peut travailler et produire pour construire quelque chose de conséquent contre la prison aujourd’hui ? » Et ne pas considérer que c’est une lutte à part de nos luttes. C’est une lutte qui est pleinement dans nos luttes.

Les classes populaires sont les premières ciblées, comme ça l’a toujours été, par l’institution carcérale. Si on est vraiment au service des classes populaires, si on est vraiment au service de la classe ouvrière, alors l’institution carcérale doit être un sujet de premier plan que l’on doit traiter en tant que militants révolutionnaires. Et si on est vraiment antifascistes, et si on prend vraiment la question du racisme d’État au sérieux, la prison telle qu’elle est aujourd’hui, c’est une institution que l’on traiter et combattre collectivement, par tous les moyens possibles.

Propos recueillis par Julien Salingue

• Créé le Lundi 28 octobre 2019, mise à jour Lundi 28 octobre 2019, 14:35 : https://npa2009.org/actualite/polit... Une lettre de notre camarade Antonin Bernanos

Une lettre rédigée par Antonin, incarcéré à la prison de la Santé, qui nous a été transmise par ses proches et qui est publiée simultanément, ce lundi 7 octobre, sur divers sites.

Je vous écris depuis la maison d’arrêt de la Santé, où je suis incarcéré dans le cadre d’une procédure judiciaire ouverte le 18 avril dernier à l’encontre de plusieurs personnes et militants antifascistes, suite à une confrontation ayant opposé des antifascistes à des militants d’extrême droite. Cela fait près de six mois que je suis enfermé, six mois au cours desquels j’ai subi différents types de pressions de la part de l’institution judiciaire et de l’administration pénitentiaire.

« Une cour d’appel aux ordres du parquet de Paris »

J’ai dans un premier temps été écroué à la maison d’arrêt de Fresnes, où la direction m’a placé sous le régime de l’isolement médiatique en raison de mon appartenance à des « mouvances radicales et violentes d’extrême gauche ». J’ai été ensuite transféré du jour au lendemain à la Santé, en transit pour un transfert dans un établissement sécurisé en dehors de l’Île-de-France - puisque je bénéficierais, selon la direction interrégionale des services pénitentiaires de Paris, de « soutiens extérieurs pouvant nuire à la sécurité des établissements franciliens ». Par ailleurs, il y a deux mois, la juge des libertés et de la détention en charge de mon dossier a ordonné la fin de ma détention provisoire et ma remise en liberté, décision aussitôt annulée par une cour d’appel aux ordres du parquet de Paris, qui a mobilisé son attirail judiciaire pour empêcher ma libération. Cet acharnement, assez typique de la justice et de l’administration pénitentiaire, est exercé à mon encontre alors que toutes les autres personnes incriminées ont été libérées et placées sous contrôle judiciaire, et qu’il n’existe aucun élément dans le dossier permettant de m’associer d’une quelconque façon à l’affrontement. Aucun élément, sauf la déclaration d’un militant identitaire, Antoine Oziol de Pignol, hooligan du Kop of Boulogne, au sein du groupe de la Milice Paris, militant actif de Génération identitaire, et proche du groupuscule nationaliste des Zouaves Paris, avec qui il était au moment de l’affrontement. Ce dernier a donc porté plainte et s’est constitué partie civile, affirmant reconnaître des militants antifascistes parmi les auteurs des violences dont il aurait été victime, et déclarant que je faisais partie du groupe qui a mis en déroute ses camarades et lui-même le soir des faits.

« Contexte de révolte sociale et de répression généralisée »

Au premier abord, le fait que des militants d’extrême droite, appartenant à des groupes violents, et auteurs de nombreuses exactions au cours des derniers mois (agressions contre des femmes voilées ou des migrants pour Génération identitaire, attaques des jeunes du Lycée autogéré de Paris ou, dernièrement, du cortège du Nouveau Parti anticapitaliste lors de l’Acte 11 du mouvement des Gilets jaunes pour les Zouaves Paris) puissent collaborer de manière aussi décomplexée avec la police et les instances répressives est de nature à surprendre. Mais il convient de replacer ce phénomène dans un cadre plus large, dans le contexte de révolte sociale et de répression généralisée que l’on observe depuis le début du mouvement social contre la Loi Travail en 2016 jusqu’au mouvement des Gilets jaunes.

En effet, si les liens entre la police et l’extrême droite ne sont plus à démontrer1, il est nécessaire de se pencher plus précisément sur la coagulation spécifique qui existe entre la police et les groupes d’extrême droite impliqués dans cette affaire. Ainsi le groupe Génération identitaire s’est toujours positionné en tant que supplétif de l’État et de sa police : occupation de mosquées dans un contexte d’explosion des politiques islamophobes2, campagne « DEFEND EUROPE » pour bloquer les migrants en Méditerranée ou dans les Alpes au moment où les politiques migratoires européennes se radicalisent et où des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants perdent la vie au cours de leur voyage, ou plus récemment, occupation de la CAF de Bobigny dans un contexte de répression inédite à l’encontre du plus grand mouvement de lutte contre la précarité en France depuis des décennies. En ce qui concerne les Zouaves Paris, on peut rappeler, entre autres, leurs multiples agressions à l’encontre d’étudiants et de militants lors des blocages et des occupations d’université au cours du mouvement de 2018 contre la loi ORE. C’est également eux qui, lors du 1er mai 2018, tentaient de ratonner des manifestants en périphérie de la place de la Contrescarpe, au moment où Alexandre Benalla et sa milice de barbouzes tabassaient ceux qui n’arrivaient pas à quitter la place, après une journée caractérisée par un déchaînement de violences policières contre la manifestation internationale des travailleurs. Si cet événement était assez emblématique de la convergence et de l’articulation entre violence policière, violence de groupes armés travaillant au service de l’État en parallèle de l’institution policière, et violence des groupes d’extrême droite, c’est au cours du mouvement des Gilets jaunes que l’on a vu cette stratégie commune se déployer et se consolider à l’encontre du mouvement social.

« Rendre illégitime un mouvement soutenu par une large majorité de la population »

Si les groupes et militants d’extrême-droite ont finalement été chassés du mouvement et des manifestations à l’échelle nationale, il faut rappeler qu’au cours des premières semaines, leur présence était bien réelle au sein des mobilisations. On se souvient notamment du discours rabâché par les médias de masse selon lequel les violences à l’encontre des forces de l’ordre étaient commises par des groupes nationalistes « infiltrés » dans le mouvement. S’il est vrai que certains groupes d’extrême-droite, dont les Zouaves et leur chapelle du Bastion social, ont participé au début aux affrontements avec les forces de l’ordre, il faut lire ces faits, et leur médiatisation, dans le cadre d’une stratégie plus large au bénéfice de l’État. Il s’agissait d’élaborer une répression morale (qui procédait en rendant possible la répression policière féroce que l’on a connue par la suite) stigmatisant le mouvement des Gilets jaunes comme un mouvement d’extrême-droite violent. La présence des groupes d’extrême droite était donc entretenue, mise en scène et instrumentalisée afin de légitimer aux yeux de l’opinion publique les arrestations massives, les condamnations à l’encontre des Gilets jaunes au cours de comparutions immédiates expéditives, la prison, la violence, les mutilations…

Entretenir la présence de l’extrême droite et sa publicité était le moyen pour l’État de rendre illégitime un mouvement soutenu par une large majorité de la population. Une énième tentative de manipulation de l’opinion publique, qui s’est déployée à son paroxysme au moment de la polémique autour de « l’agression » de Finkielkraut et de « l’antisémitisme des gilets jaunes ». Soyons clairs : il ne s’agit pas de nier que des formes d’antisémitisme et de complotisme ont pu s’exprimer et se diffuser au sein du mouvement. Il s’agit d’exhiber les outils de répression morale de l’État, et de comprendre que le fascisme et ses idées en sont l’un des plus importants. Ledit antisémitisme, dont l’État se targuait d’être le plus vif opposant, doit également se comprendre comme un outil, une réalité entretenue sciemment au sein du mouvement. Si les thèses antisémites notoires, comme celles d’Alain Soral, ont pu se diffuser au sein du mouvement, par l’intermédiaire d’auxiliaires ou de militant fascistes, c’est parce que celles-ci ont été largement exacerbées et relayées par les médias de masse et le gouvernement. Et si tel a été le cas, c’est parce que ces thèses prétendument « anti-système » sont en réalité au service de celui-ci, et sont mobilisées en son sens. De l’extérieur, l’État s’en sert pour délégitimer le mouvement aux yeux de l’opinion publique. De l’intérieur, les thèses sur la « finance juive », articulées notamment autour de la banque Rotschild, permettent aux vrais ennemis, tels que la finance au sens large et le capitalisme en tant que système de domination et d’exploitation, d’être écartés, segmentés, pour cibler une soi-disant partie du problème plutôt que le problème en lui-même. Une fois de plus, stratégie répressive et stratégie fasciste font corps à l’encontre du mouvement social.

« Autonomes et antifascistes se sont placés au service du mouvement »

Reprenons le fil de notre propos. La présence des groupes d’extrême droite (comme les Zouaves Paris) au sein des Gilets jaunes, ne s’est pas limitée à un rôle d’épouvantail du pouvoir. Ces derniers étaient avant tout présents pour tenter de chasser les militants antifascistes, autonomes et révolutionnaires. Il s’agissait de s’en prendre à ceux qui étaient également la cible des forces de police, en raison de leur soutien logistique et stratégique dans le mouvement, au cours de blocages économiques, ou dans les manifestations, en tant que force active dans l’autodéfense des cortèges face aux attaques de la police, auprès des Gilets jaunes.

À cette stratégie militaire s’ajoute la tentative d’infiltration des services d’ordre, mise en lumière par la présence d’un militant identitaire notoire, Victor Lenta3 devenu membre auto-proclamé d’un service d’ordre au sein duquel on a pu retrouver nos fameux zouaves de service4. Une fois de plus la stratégie fasciste faisait pleinement écho à la stratégie de maintien de l’ordre. Il s’agissait pour l’extrême droite d’intégrer des instances du mouvement pour mieux pouvoir s’en prendre aux groupes antifascistes, mais surtout, pour tenter d’imposer un cadre autoritaire aux manifestations, afin d’empêcher toute forme de débordement, et museler ainsi les nouvelles formes de luttes offensives, propres au surgissement des gilets jaunes au sein du champ politique traditionnel. Ce fut la dernière tentative d’organisation réelle des forces fascistes. En effet, c’est en assumant un antifascisme de terrain que les antifas et les gilets jaunes antiracistes ont chassé les militants d’extrême droite à Paris, à Lyon et ailleurs, faisant des manifestations des espaces où leur présence n’était pas admise et non négociable. C’est en devenant acteur du mouvement, et en ignorant les injonctions à boycotter celui-ci (provenant souvent de « militants » de notre propre camp, qui s’étaient laissés berner par l’association d’État « Gilets jaunes – extrême droite ») que nos combats quotidiens ont finalement payé. Ce travail de lutte, qui s’est mis en place chaque samedi pendant plusieurs semaines, n’a pu se faire qu’en étroite collaboration avec les groupes de gilets jaunes à l’échelle locale et nationale et ne s’est pas réduit aux affrontements de rue avec les militants fascistes. Autonomes et antifascistes se sont placés au service du mouvement, tant sur le plan logistique que stratégique, acceptant de faire avec les nombreuses contradictions qui le traversaient, transformant celui-ci tout en acceptant d’être transformé à son tour, en se détachant des schémas sclérosés de la politique contestataire. Il a fallu pour cela mobiliser et mettre en place des stratégies et des formes de luttes nouvelles, affronter physiquement les groupes d’extrême droite, organiser la protection de leurs cibles, mettre en place des cortèges festifs et antiracistes, participer aux assemblées générales locales, s’investir sur les ronds-points, dans les blocages, mobiliser nos pratiques et notre savoir des luttes pour organiser des groupes de désarrestations face aux interpellations policières, ou encore protéger les cortèges contre la violence des forces de l’ordre. Tout cela n’a été rendu possible que grâce à la collaboration entre camarades d’horizon parfois très différents, mais avant tout grâce à la solidarité issue de nos alliances avec des gilets jaunes à l’échelle locale, en particulier les gilets jaunes de Rungis, sans qui la réussite du mouvement dans la métropole parisienne n’aurait pas été possible. Et c’est précisément ces alliances, ces rencontres, ce travail politique qui sont ciblés dans le cadre de l’affaire qui m’a conduit aujourd’hui à être de nouveau incarcéré et qui place une fois de plus l’antifascisme autonome sur le banc des accusés. Car il s’agit bien ici d’une stratégie commune de l’extrême droite et des institutions répressives qui tentent par la voie légale, pénale et carcérale, de s’en prendre au mouvement et à ses différents protagonistes.

« La violence qui s’est abattue sur le mouvement des Gilets jaunes vient de loin »

Ce que j’ai décrit précédemment n’est pas quelque chose de nouveau. Depuis des décennies l’État français et l’extrême droite sont intimement liés dans la défense d’un capitalisme néocolonial – depuis la guerre d’Algérie et l’instauration du premier état d’urgence, qui sera à nouveau mobilisé pour tenter de mater les révoltes des quartiers populaires en 2005, puis à l’encontre des musulmans au prétexte de la lutte anti-terroriste, avant de s’abattre contre le mouvement social traditionnel et de s’étendre à la société dans son ensemble par la constitutionnalisation de ses prérogatives. Si la rencontre entre Gilets jaunes et quartiers populaires n’est restée pour l’instant qu’à l’état embryonnaire, il est nécessaire de rappeler que la violence d’État quant à elle fait depuis longtemps le lien entre les habitants des banlieues et les franges des classes populaires qui se sont organisées au sein des dernières mobilisations, en faisant des cibles privilégiées. La violence qui s’est abattue sur le mouvement des Gilets jaunes vient de loin. Cette nouvelle doctrine du maintien de l’ordre s’élabore depuis la répression des peuples en lutte pour leur liberté dans les anciennes colonies françaises. Les DAR et les BRAV ne sont que l’évolution des BAC, elles-mêmes créées pour réprimer les colonisés de l’intérieur après la guerre d’Algérie. Le flash-ball et les grenades qui ont mutilé tant de gilets jaunes sont des instruments perfectionnés depuis des années dans les banlieues des grandes métropoles. Et derrière toute cette violence, le fascisme veille au grain, toujours prêt à être mobilisé comme instrument de cette même violence. Depuis l’OAS, organisation d’extrême-droite recrutant policiers et militaires pour commettre des attentats contre les algériens. Depuis les années 1980, où les groupes fascistes ratonnaient les étrangers, avant de passer le relais aux forces de l’ordre, qui ont depuis retrouvé le monopole de la violence raciste, à travers son vecteur principal : les violences policières quotidiennes qui continuent à humilier, mutiler et tuer les habitants des quartiers populaires, parce qu’ils sont pauvres, noirs, arabes ou musulmans. Depuis longtemps, la police d’État et les groupes fascistes se partagent la violence raciste. Et c’est aujourd’hui cette même violence, construite dans la collaboration entre l’extrême-droite et les forces de l’ordre, qui a été mobilisée contre le mouvement des Gilets jaunes et ses différents acteurs. La police et l’extrême-droite collaborent à une cause commune : mater les révoltes populaires et défendre le système capitaliste.

« Le fascisme est une tendance matérielle qui se développe au présent »

Les dernières semaines ont offert un concentré spectaculaire de ce processus qui ne cesse de s’approfondir. La police, prise dans une radicalisation ininterrompue, se comporte toujours plus comme une force autonome : que l’on songe au meurtre de Steve à Nantes lors de la fête de la musique, que l’on songe à la manifestation illégale devant le siège de La France insoumise appelée par le syndicat d’extrême droite Alliance, ou tout récemment à la plainte déposée contre Assa Traoré (ultime étape d’un acharnement sans limite). À chaque pas en avant, les policiers reçoivent le soutien indéfectible du gouvernement, à chaque nouveau crime, ils savent pouvoir compter sur sa couverture systématique. Pendant ce temps-là, Marion Maréchal-Le Pen5 et Éric Zemmour rivalisent de rhétorique haineuse et appellent sans complexe à des pogroms contre les musulmans en direct sur la chaîne de télévision d’un milliardaire français. Quant à Macron, qui a beau jeu de se poser en rempart face à l’extrême-droite, il ne se contente pas d’appuyer aveuglément sa police déchaînée, mais décide de lancer une campagne sur l’immigration en reprenant littéralement les mots de l’extrême droite. La question n’est pas, comme le pense une social-démocratie aussi passive qu’apeurée, d’y voir les symptômes d’un sombre futur, les prémices du fascisme qui vient – possibilité dont on ne saurait se prémunir qu’en faisant confiance aux « progressistes » auto-proclamés et autres défenseurs du « front républicain ». C’est tout le contraire que nous montre la situation actuelle : le fascisme n’est pas un horizon, c’est une tendance matérielle qui se développe au présent, au sein même des institutions – et que le macronisme, loin de constituer un rempart, accélère. C’est à cette mutation autoritaire de l’État que les mouvements sociaux naissants, dans leurs tentatives d’alliances et de renforcement réciproque, auront à se confronter.

« Toute lutte révolutionnaire ne peut être qu’anticarcérale »

Il ne s’agit donc pas seulement ici de réclamer ma libération et l’abandon des charges à l’encontre des antifascistes inculpés.

Même si c’est là l’un des enjeux de la lutte qui s’ouvre à nous, il serait stérile et sectaire de rester centrés sur nous-mêmes, assurant la défense de nos forces à un moment où la répression s’abat sur des franges de plus en plus larges des classes populaires. Si l’une des grandes forces de l’État est bien l’art du mensonge, de la déconstruction de la vérité, de la manipulation des faits et de leur réécriture médiatique, notre rôle à nous, en tant qu’antifascistes, est de réaffirmer le lien réel et fondamental qui unit les luttes actuelles, de l’antiracisme aux luttes contre la précarité. Nous ne devons pas oublier que des milliers d’êtres humains périssent aux portes de l’Europe. Nous ne devons pas oublier les jeunes de Mantes-La-Jolie, et les victimes des crimes policiers, depuis Malik Oussekine jusqu’à Adama Traoré et Zineb Redouane. Nous ne devons pas oublier les victimes des crimes fascistes, depuis Brahim Bouharam jusqu’à Clément Méric, mort sous les coups de nervis d’extrême-droite il y a quelques années. Il est ma force au quotidien et mon phare dans la pénombre du monde carcéral. Nous ne devons pas oublier tous les Gilets jaunes blessés ou enfermés dans les geôles de l’État français. J’ai croisé la route de beaucoup d’entre eux derrière les barreaux, souvent isolés, oubliés et démunis de tout soutien politique extérieur. Plus largement, nous ne devons pas oublier toutes celles et ceux qui peuplent les prisons françaises, enfermés avant tout pour ce qu’ils sont et ce qu’ils représentent. Toute lutte révolutionnaire ne peut être qu’anticarcérale.

Nous ne devons pas oublier que toutes ces choses sont liées au sein d’un projet que nous devons combattre, mais aussi, et surtout, n’oublions pas que tous les mots, tous les textes, toutes les postures de principe ne valent rien si elles ne se concluent pas par des actes. La séquence de luttes qui s’ouvre doit être celle des alliances qui se tissent depuis des années et des fronts communs, celle de l’autodéfense populaire et de toutes les révoltes.

Antonin Bernanos

Prison de la Santé, le 3 octobre 2019.

1. Voir https://www.streetpress.com/sujet/1... et https://www.lexpress.fr/actualite/s...

2. Voir https://www.lemonde.fr/police-justi...

3. Voir http://www.francesoir.fr/politique-...

4. Voir https://www.facebook.com/watch/?v=1...

5. Marion-Maréchal Le Pen est de notoriété publique proche de Génération identitaire : voir https://www.bfmtv.com/politique/la-... ou https://www.lemonde.fr/politique/ar...

• Créé le Lundi 7 octobre 2019, mise à jour Lundi 7 octobre 2019, 09:21 : https://npa2009.org/idees/politique...

Le maintien en détention d’Antonin BERNANOS : sous le gouvernement Macron mieux vaut être un assassin d’extrême droite qu’un militant antifasciste

Lundi 12 août, la Cour d’appel de Paris a décidé le maintien en détention de notre camarade antifasciste Antonin Bernanos jusqu’a minima décembre prochain. Cette décision fait suite à l’appel former par le parquet contre la décision de la juge des libertés et de la détention de mettre fin à la détention provisoire d’Antonin il y a quelques semaines. Ce dernier aurait dû être remis en liberté sous contrôle judiciaire le 18 août.

Un dossier résumé à une plainte d’un militant de génération identitaire

Pour rappel Antonin est maintenu en détention depuis plusieurs mois. Il est accusé d’avoir participer à une altercation avec des militants d’extrême droite réunis dans un collectif ayant pour unique objectif la confrontation physique avec le mouvement social et pour l’égalité des droits : les « Zouaves » Paris (voir l’article de la Horde à leur propos). Or le dossier de l’accusation reste aujourd’hui désespérément vide et se résume à la plainte d’un militant de génération identitaire, Antoine Oziol de Pignol. Antonin vient ainsi d’être convoqué pour la première fois par une juge d’instruction….

Un acharnement dont est responsable le gouvernement

Nous n’oublions pas qu’en dernière instance le parquet dépend hiérarchiquement du ministre de la justice et donc du gouvernement. Pendant ces mois de détention, Antonin a par ailleurs fait l’objet d’un acharnement de la part de l’administration pénitentiaire qui elle aussi et in fine sous la responsabilité politique du gouvernement. Il a ainsi déjà connu deux prisons et devait être déplacé or de l’Ile de France. Il a également subi un régime spécial d’incarcération : permis de visites accordés uniquement à sa famille après deux mois d’attente, rétention du courrier, placement en isolement à Fresnes, transfert surprise à la Santé alors que des dispositions venaient d’être prises pour qu’il puisse mener à bien ses études, menace de le déplacer hors d’Île-de-France pour le couper de ses proches...

Deux poids de mesure dans la répression

Rappelons qu’Esteban Morillo, l’assassin du militant antifasciste Clément Méric, a passé 55 jours en détention alors même qu’il avait été condamné à 11 ans de prison ferme. Samuel Dufour, complice de l’assassinat de Clément Méric, avait écopé de 7 ans de prison et n’y a passé que 4 mois. Ce gouvernement qui se présente à chaque élection comme le rempart face à la percée électorale de l’extrême droite lui épargne sa répression, qu’il réserve aux militants qui s’opposent à elle au quotidien.

La détention d’Antonin est l’illustration des atteintes aux libertés publiques réalisées par ce gouvernement

La situation d’Antonin doit tous nous interpeller car elle illustre l’état des libertés politiques dans ce pays : il est possible d’être placé en détention pendant plusieurs mois sur la simple plainte d’un militant d’extrême droite. Ce n’est pas un fait isolé, ces derniers mois ont été marqués par un renforcement sans précédent de la répression dans de nombreuses sphères de notre société : interdictions de manifester, milliers de gardes à vue, de comparutions immédiates et de condamnations, blessure et mutilations, mort de Zineb Redouan, attaque du carré de tête de la manifestation syndicale le 1er Mai dernier, convocation de journalistes par la DGSI (Direction générale de la sécurité de l’intérieur). Globalement les mesures ultra-répressives qui ont été expérimenté dans les quartiers populaires sont dorénavant appliquées aux mouvements sociaux et à de plus larges sphères de la société.

En pour couronner le tout, il y a eu le soutien sans faille apporté par le gouvernement aux forces de l’ordre (augmentation de salaire, décoration de policier qui font l’objet d’enquête dans le cadre du mouvement des gilets jaune…). Il s’agit sans doute pour un gouvernement aux abois de la seule façon d’acheter le soutien des forces de l’ordre qui ont tendance à lui préférer l’extrême droite (76% des gardes mobiles votent ainsi pour le rassemblement national). C’est ce soutien sans faille qui explique que la Police se sente suffisamment en confiance pour user d’un niveau de violence décomplexée dans les opérations de maintien de l’ordre quotidienne avec des conséquences tragiques comme lors de la dernière fête de la musique à Nantes avec la mort de Steeve.

Il nous faut aujourd’hui prendre la mesure de l’offensive qui est menée contre les libertés publiques. Cette dernière se mène tout doucement dans le cadre législatif largement modifié ces dernières années. Afin de pouvoir continuer à défendre nos droits, à exprimer nos idées et même à faire la fête sans risques notre vie il est nécessaire de reconquérir ces libertés.

Harry Smith

Notes

[1] https://www.facebook.com/events/275...

[2] https://www.lepotcommun.fr/pot/mz9rjmn6

[3] Son contrôle judiciaire l’assigne notamment à résidence dans une maison familiale en Loire-Atlantique, lui interdit de quitter le sud du département et également de manifester à Nantes. Sa caution, fixée à 10 000 euros par un juge de la liberté et de la détention mardi dernier, a été ramenée à 3 000 euros par la chambre de l’instruction.

[4] 18 mai 2016, affaire dite « du Quai de Valmy », lorsqu’une voiture de police avait été incendiée à proximité d’une manifestation contre la loi travail. Affaire dans laquelle Antonin a été condamné à cinq ans de prison, dont deux avec sursis.


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