A Pantin, émotion et colère après le suicide de Christine Renon, directrice d’école maternelle

lundi 14 octobre 2019.
 

Christine Renon, retrouvée morte, lundi matin, dans son école, avait adressé une lettre aux autres directeurs de Pantin, ainsi qu’à la direction d’académie. Elle y évoque des conditions de travail dégradées.

Sur le parvis de l’école maternelle Méhul, à Pantin (Seine-Saint-Denis), la foule est nombreuse et l’émotion palpable, jeudi 26 septembre. Plusieurs centaines de personnes sont venues, vers 18 heures, pour rendre hommage à Christine Renon, la directrice de l’école, retrouvée morte lundi dans l’établissement. Assez vite, le recueillement fait place à la colère et les mots deviennent durs. « L’institution est responsable », tonne une militante syndicale au micro. « On aimerait que la mairie nous dise ce qu’elle compte faire au sujet des rythmes scolaires ! », enchaîne une enseignante, sous des applaudissements nourris. Nombreux sont ceux qui appellent à ce que la directrice ne soit « pas morte en vain ».

Avant son suicide, la directrice de l’école Méhul avait rédigé une lettre, adressée par la poste à tous les directeurs d’école de Pantin, ainsi qu’à la direction d’académie de Seine-Saint-Denis. Mercredi soir et jeudi, la lettre a circulé sur les réseaux sociaux, diffusée par les syndicats avec l’accord de la famille.

Dans ce courrier posté samedi, soit le jour présumé de sa mort, l’enseignante, âgée de 58 ans, évoque la solitude des directeurs d’école face au manque de soutien de la part de l’Etat, au manque d’outils de travail ou encore aux pratiques « chronophages ». Elle explique que les directeurs sont « seuls pour apprécier les situations » face à des parents qui ne « veulent pas de réponses différées ». La directrice se dit « épouvantablement fatiguée » et ajoute que les enseignants sont « épuisés » par les rythmes scolaires. Les écoles de Pantin ont conservé la semaine de quatre jours et demi après une consultation des habitants, une situation devenue rare dans le département.

« Ce qu’elle décrit, c’est ce qu’on vit »

La ville a vu de nombreux enseignants – dont plusieurs de l’école Méhul – demander leur mutation vers des communes voisines repassées à la semaine de quatre jours. Selon plusieurs proches de la directrice, elle-même souhaitait partir. Une amie enseignante (tous les fonctionnaires interrogés ont souhaité garder l’anonymat) précise qu’elle n’a pas pu, ce printemps, « consacrer suffisamment de temps » à sa demande de mutation. Un décès survenu à ce moment-là dans sa famille aurait suspendu ce projet.

Dans l’entourage de la directrice, plusieurs collègues veulent voir un sens « militant » à son geste. Sa méticulosité, avec ces lettres postées à chacun, provoque partout la même réaction : la directrice « aurait voulu » que sa mort soit l’occasion de réfléchir à leurs conditions de travail. « J’ai reçu mardi une lettre d’outre-tombe, qui détaillait tout, point par point, raconte la directrice d’une autre école. Ce n’était pas une lettre pour se plaindre, c’était factuel. Ce qu’elle décrit, c’est ce qu’on vit. »

Une autre directrice de cette commune populaire décrit la « solitude », les changements « incessants » d’interlocuteurs dans la hiérarchie, les problèmes qui « pourrissent », le « bras de fer avec la mairie » pour obtenir de repasser à la semaine de quatre jours, l’hiver dernier. Le maire, le socialiste Bertrand Kern, se défend toutefois de tout conflit à ce sujet. « La question des rythmes est évoquée en quelques mots dans une lettre de plusieurs pages, précise-t-il. Je regrette cette instrumentalisation, sur un sujet qui a été tranché après concertation avec les parents. » Il ajoute avoir croisé la directrice de l’école jeudi 19 septembre, lors d’un pot qu’il organise chaque année pour les enseignants des écoles de la commune : « Je l’ai saluée, elle ne m’a rien dit de particulier. »

Une directrice « très investie »

L’éducation nationale, de son côté, a diligenté deux enquêtes. Celle du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, saisi par l’académie de Créteil, mais aussi une enquête administrative, confiée mercredi à l’inspection générale, qui devra faire toute la lumière sur les conditions de travail, clairement désignées par l’enseignante pour expliquer son geste. Le ministre de l’éducation nationale, qui s’est déplacé jeudi à l’école, a réagi dans un Tweet, exprimant ses « pensées de solidarité et de profonde tristesse pour la directrice de l’école de Pantin et pour la communauté éducative de toute la ville ».

Le SNUipp-FSU 93, également destinataire du courrier et dont l’enseignante était membre, a souligné dans un communiqué « la solitude de la mission de direction d’école dans les tâches quotidiennes administratives et organisationnelles qui s’accumulent ». « Pour que la mort tragique de notre collègue et camarade ne soit pas vaine », le syndicat a indiqué son intention de déposer une « alerte sociale », protocole préalable à un préavis de grève auprès de la direction académique, exigeant « des réponses concrètes pour garantir la santé, l’intégrité morale et physique des personnels ».

Dans l’entourage professionnel de l’enseignante et parmi les parents qui l’ont connue, on évoque une directrice « très investie, presque trop ». Célibataire et sans enfants, elle avait la réputation de « tout donner pour son école ». Plusieurs collègues évoquent une personnalité « pleine de second degré et dotée d’un humour un peu grinçant » qui pourrait avoir servi de « carapace » et empêché ses collaborateurs de percevoir des signaux d’alerte. « Depuis quelques années, dans les réunions de directeurs, on la sentait de plus en plus amère et en colère », se souvient une directrice d’école de Pantin.

Le Monde


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