A Hongkong, les manifestations continuent, en brûlant, en cassant et… en chantant

samedi 28 septembre 2019.
 

Alors que le seizième week-end de tensions à Hongkong a été marqué par de nombreuses actions, parfois très ponctuelles, les manifestants ont recours à un nouveau chant, « Gloire à Hongkong », pour exprimer leur colère.

Dimanche, sous couvert d’« aller faire des courses », le code pour occuper les centres commerciaux, quelques milliers de manifestants se sont retrouvés à Shatin, une « ville nouvelle » des années 1970 située au cœur des Nouveaux Territoires, où ils ont ciblé les magasins soupçonnés de sympathies chinoises, étiquetés « à boycotter » par des autocollants avec un chariot de supermarché barré.

Les manifestants ont également profané un drapeau chinois, puis mis le feu à des barricades et saccagé la station de métro. La veille, de nombreuses altercations avaient eu lieu, notamment autour de murs transformés en mosaïques de notes adhésives militantes, que les anti-manifestants souhaitaient « nettoyer ».

En toutes circonstances, les manifestants ne manquent plus une occasion de chanter leur nouveau cri de ralliement, Gloire à Hongkong, un chant vibrant et passionné, une musique originale sur laquelle des paroles ont été écrites de manière collective. Des tutoriels pour bien le chanter ont également été postés sur YouTube.

« J’ai beaucoup écouté “La Marseillaise” »

Le jeune compositeur de cet hymne citoyen, soucieux de rester anonyme, n’est connu que sous son nom de guerre : « Thomas dgx yhl » (sic), un charabia qu’il assume et dont il n’exclut pas un sens caché… Il cite, parmi les hymnes nationaux qui l’ont inspiré, celui des Etats-Unis, de la Russie et du Royaume-Uni, ainsi que le Gloria in excelsis Deo de Vivaldi.

« J’ai également beaucoup écouté La Marseillaise. Les paroles et la musique de la première phrase sont un chef-d’œuvre », nous affirme-t-il, par messagerie cryptée interposée. Jusque-là, il n’avait jamais composé que de la musique pop. En 2014, lors de la « révolte des parapluies », premier grand mouvement de désobéissance civile prodémocratie, Thomas avait déjà songé à composer. Mais, à l’époque, l’heure n’était pas aussi grave. Neuf suicides de manifestants – qui ont associé leur acte de désespoir au mouvement actuel – ont cette fois assombri l’humeur ambiante.

Un air classique lui a paru en outre plus approprié au côté « champ de bataille » et plus facile à chanter par une foule.

« C’est une marche solennelle et digne écrite pour les manifestants. De mon point de vue, les mots “Libérer Hongkong, Révolution de notre temps” [le slogan phare de la révolte par lequel s’achève l’hymne] veulent dire que Hongkong a changé, que les Hongkongais ne sont plus seulement intéressés par l’argent, qu’ils aspirent à des valeurs plus nobles et moins égoïstes. Et c’est pour cela que nous, les Hongkongais, marchons dans les rues », explique-t-il.

Glory to Hongkong a ensuite été joué par un véritable orchestre, puis diffusé sur les réseaux sociaux sous forme d’un clip, vu par plus d’un million d’internautes au premier jour de sa mise en ligne.

« Dès que j’ai entendu le morceau, j’ai voulu monter une version orchestrale », nous affirme « S » (c’est ainsi qu’il se présente), le chef d’orchestre. Il a accepté de nous rencontrer, accompagné de « C » et de « V », les deux producteurs de la vidéo, non sans certaines précautions pour garantir leur anonymat, dont un bref jeu de piste pour les retrouver, la nuit, dans une gargote japonaise, où la serveuse, de mèche, désigne du doigt la table des artistes.

En noir de la tête aux pieds, la couleur du mouvement, ils ont entre 27 et 30 ans. « Notre seul but est d’unir et de donner courage et espoir aux participants du mouvement, alors que nous sommes tous ensemble au fond des ténèbres », raconte « S ». « Trouver 150 musiciens qualifiés n’a pas été difficile. On a même dû en refuser à cause de la taille du studio », ajoute « C ». L’enregistrement eut lieu clandestinement, en quelques heures, car « on ne pouvait pas exclure une perquisition de la police, ou que les triades [mafias] fassent un casse dans le studio ».

Duels de chants

Dans la vidéo, les musiciens sont en grande tenue de manifestant, avec masque à gaz et casque de chantier. Des fumées blanches, qui évoquent les gaz lacrymogènes mais symbolisent la terreur [en référence à l’expression « terreur blanche », en chinois] se répandent au milieu d’eux. « J’aime que l’on voie des chanteurs avec des masques à gaz, car les artistes voient leurs libertés se restreindre à Hongkong », commente « V », la coproductrice du clip.

Depuis l’émergence de cet « hymne à Hongkong », on a assisté, tant dans les centres commerciaux que dans les stades de foot, à des duels de chants, entre manifestants pro- et antigouvernementaux chantant à qui mieux mieux, les uns, l’hymne national chinois, les autres, le nouveau Gloire à Hongkong. Ce dernier offre en outre une alternative aux Hongkongais, qui huent régulièrement l’hymne national chinois, notamment lors des matchs de football ou de rugby.

Une attitude « intolérable » du point de vue de Pékin, très sensible aux attaques contre les symboles nationaux. Un projet de loi, obligeant de respecter le drapeau et l’hymne national, est d’ailleurs prêt à Hongkong, mais la seconde lecture du texte, prévue fin juin, avait prudemment été repoussée par le président du Parlement, qui avait invoqué les « circonstances peu favorables ».

« Le chant a un pouvoir important en Chine »

En fait, plusieurs chants accompagnent le mouvement depuis ses débuts, notamment l’Alléluia de Taizé et le chant de la comédie musicale Les Misérables – une adaptation en anglais d’un titre originellement interprété par Michel Sardou, « A la volonté du peuple ». Un tube de Maria Cordero, chanteuse populaire progouvernement, a également été détourné avec sarcasme pour se moquer des policiers, par les plus jeunes, qui hurlent en riant : « Frappez les journalistes ! Frappez les députés ! Frappez les jeunes ! Frappez les femmes ! »…

Le camp pro-Pékin, lui, a déjà entrepris de détourner Gloire à Hongkong : quand les manifestants entonnent « pour les larmes que nous versons sur cette terre », ils répondent « pour ce paradis qui est en cours de destruction ».

« Le chant a toujours eu un pouvoir important dans tous les mouvements révolutionnaires, mais encore plus en Chine qu’ailleurs », rappelle le violoncelliste professionnel Laurent Perrin, basé à Hongkong. Il estime qu’un hymne comme celui-là « risque d’inquiéter Pékin bien davantage que les cocktails Molotov des manifestants ».

Florence de Changy (Hongkong, correspondance)


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