Hôpitaux Urgences en grève

vendredi 27 septembre 2019.
 

250 sur 474. Plus de la moitié des services d’urgences publics sont en grève. Le mouvement des personnels dure maintenant depuis près de 6 mois. Du jamais-vu. Et il vient d’être rejoint par les médecins urgentistes le 12 septembre.

Un traitement insupportable

A la source du mouvement, le ras le bol des infirmier-ères et des aides-soignant.e.s sur les conditions de prise en charge des patients. Le constat est partagé partout : un manque de lits d’accueil pour les patients ; la multiplication des brancards ou lits de camp ; l’augmentation du nombre de personnes se présentant aux urgences ; le manque de personnel.

Conséquences de tout cela, l’impossibilité de prendre en charge correctement les patients ; l’augmentation du taux de mortalité au sein des hôpitaux ; la fatigue des soignants et le sentiment de mal faire son travail ; l’agressivité des patients.

Les exemples pour illustrer la situation sont nombreux. Aux urgences de Mulhouse, il ne reste plus que 7 médecins sur les 26 praticiens que comptait l’hôpital il y a quelques mois. 308 postes de médecins et 180 d’infirmières ne sont pas pourvus dans les urgences d’Ile-de-France, selon la Fédération Hospitalière de France. Les médecins et les soignants

manquent à l’hôpital public, de plus en plus de professionnels de santé sont atteints par les conditions de travail et ne peuvent plus exercer à l’hôpital. Du coup, celles et ceux qui restent sont épuisés par la charge de travail, enchainent les gardes, avec le risque de faire une erreur par manque de lucidité.

La situation n’est pas nouvelle, les soignants alertent depuis plusieurs années sur le contexte particulièrement difficile d’exercice à l’hôpital et notamment aux urgences, mais elle a franchi un nouveau seuil.

Une dégradation programmée

Le service des Urgences est par définition un service public : d’ailleurs, 82 % des accueils en urgence se font à l’hôpital public. Entre 1996 et 2017, le nombre de personnes à se présenter aux urgences a plus que doublé, d’un peu plus de 10 millions à 20,2 millions. Depuis cette date, le nombre de passages aux urgences augmente au rythme de 3,5 % par an.

Ce doublement des accueils aux urgences s’explique par plusieurs facteurs.

D’abord, un système de médecine libérale qui ne permet pas de répondre aux besoins. Le numerus clausus, qui a limité le nombre de médecins formés à un niveau très bas pendant de nombreuses années occasionne en ce moment une pénurie de médecins du fait des départs à la retraite nombreux.

Par ailleurs, le principe de la liberté d’installation, qui laisse le choix aux médecins de leur lieu d’exercice occasionne une inégalité d’accès au soin sur le territoire. Aucune régulation n’est prévue. Ainsi, dans les territoires ruraux ou péri-urbains, dans certaines banlieues, il n’y a pas assez de médecins libéraux pour les habitants. En 2016, par exemple, 8,6 % de la population française (5,7 millions de personnes) résident dans une commune qualifiée de « sous-dense » (moins de 2,5 consultations par habitant et par an). Sans oublier évidemment les difficultés financières, les complémentaires qui remboursent mal ou les dépassements d’honoraires qui dissuadent de consulter un médecin à temps.

Pourtant, le vieillissement de la population et l’augmentation du nombre de maladies chroniques qui l’accompagne nécessiteraient encore davantage de disponibilité des médecins de ville aujourd’hui et dans les années à venir.

Certains malades qui se trouvent donc dans l’impossibilité d’être soignés dans un cabinet de médecine générale se tournent vers les services d’urgences. Près de la moitié des personnes qui vont aux urgences relèvent de soins qui pourraient être pratiqués en ville.

Dans le même temps, les modes de financement de l’hôpital public ont été modifiés, et la tarification à l’activité qui lui est appliqué détermine le montant de la dotation budgétaire des hôpitaux sur un principe de rentabilité financière. La méthode de calcul veut que pour un acte type, l’hôpital soit doté d’un montant financier pré-défini, peu importe la spécificité de la

prise en charge et la réalité de la dépense. Lequel montant financier est ajusté en fonction du budget de la sécurité sociale : ainsi, il apparaît que les montants correspondant aux actes types sont en baisse depuis la mise en place de ce système.

Conséquences : les hôpitaux sont asphyxiés financièrement et cherchent des solutions d’économies rapides. Ainsi, plus de 15 % de lits supprimés en quinze ans malgré le doublement des visites aux urgences sur la période, la diminution des durées de séjours quitte à faire revenir les patients, l’occupation maximale des lits, si bien que le problème numéro un des urgences est devenu le manque de lits pour coucher les 30 % des patients arrivés aux urgences nécessitant impérativement une hospitalisation.

Maintenir la viabilité des urgences

Le collectif inter-urgences qui coordonne le mouvement de grève porte des revendications assez simples et qui semblent atteignables – la création de 10 000 emplois supplémentaires, une hausse de salaires de 300 euros net par mois, qui correspond au rattrapage de dix ans de blocage de salaires et l’arrêt des fermetures de lits –. Le salaire des infirmières débutantes est de 1 600 euros aujourd’hui, ce qui place la France en 26e position des pays de l’OCDE.

Pour désengorger les urgences, une tribune de médecins de l’APHP parue en juin insistait sur les ouvertures de lits dans les services de médecine polyvalente pour les patients qui nécessitent une hospitalisation, et le développement de centres de soins de suite pour accueillir après la fin des soins aigus, les personnes qui nécessitent encore des soins et ne peuvent pas rentrer directement au domicile.

En réponse à cela, la ministre de la santé, Agnès Buzyn, a proposé un plan bien en dessous des attentes et selon la méthode désormais bien connues : déshabiller Paul pour habiller Jacques. Les 750 millions d’euros promis d’ici 2022 sont donc non seulement insuffisants mais en plus inexistants puisque recyclés avant d’avoir été utilisés.

Par ailleurs, les mesures prévues, pour réguler les appels aux secours par un nouveau « service d’accès aux soins » et les filières « d’admissions directes » sans passage aux urgences pour les personnes âgées sont considérées comme irréalistes par les soignants. Cette nouvelle organisation ne répond pas au problème de fond du manque de médecins, de personnels soignants dans sa diversité, et de lits disponibles. Il en va de même pour les maisons médicales de garde, promis par la ministre d’ici la fin de l’année : quid de la volonté et de la disponibilité des médecins pour y être présents ? Et des sommes à avancer par les patients ?

Le mouvement continue

Suite à ces annonces déconnectées de la réalité, le collectif inter-urgences a décidé la poursuite du mouvement. L’Association des médecins urgentistes de France et l’intersyndicale de praticiens hospitaliers ont décidé de rallier le mouvement. Des rassemblements locaux sont prévus le 26 septembre avant une date de mobilisation nationale qui sera connue prochainement.

Claire Mazin


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