Aéroports De Paris : Les 7 péchés de la privatisation

mardi 3 septembre 2019.
 

Coup de force monarchique

Les dérives de la monarchie présidentielle se font particulièrement ressentir dans cette affaire. En effet, dans le programme du candidat Macron il n’était ni question de privatisations, ni de cessions de titres en général. Mais une fois élu, le monarque a pu tranquillement imposer cette privatisation aux Français, en la faisant valider par ses députés godillots qui n’avaient pas d’autre choix s’ils ne voulaient pas risquer l’exclusion du groupe majoritaire. Ces derniers ont d’ailleurs fait le service minimum, laissant le ministre Bruno Le Maire défendre seul ou presque cette réforme contre tous les groupes d’opposition.

Pillage du bien public

Le fait que Macron ait pu prendre cette décision seul est d’autant plus grave qu’il s’agit d’un véritable pillage de notre patrimoine public par des acteurs privés. En effet, les investissements énormes qui ont dû être déployés pour construire puis entretenir ces aéroports ont été payés par tous les Français, lorsque ADP était encore public. L’acheteur n’aura donc plus qu’à profiter de la rente sans risque - puisque sans concurrence - que représentent dorénavant ces aéroports.

En outre, si l’investisseur privé doit réaliser de nouveaux investissements, il sera libre de les faire supporter par les passagers en augmentant les redevances aéroportuaires en conséquence « grâce » au système de double caisse pérennisé au moment de cette privatisation. Ce système permettra en effet à ADP de continuer de déclarer ses recettes de redevance aéroportuaire et ses recettes commerciales (en hausse de 15% depuis 5 ans) séparément. C’est très intéressant pour le futur investisseur puisque selon le droit français, les recettes des aéroports doivent couvrir exactement leur « coût du capital » (rémunération des emprunts, investissements, risques, etc.). Mais avec ce système de double caisse, les recettes marchandes ne sont pas prises en compte pour couvrir ces frais : en cas de besoin, l’exploitant pourra donc augmenter les redevances aéroportuaires, même si les recettes commerciales auraient permis de combler ces frais. Pour financer les gros investissements à venir, ADP pourra donc faire exploser en toute légalité les redevances aéroportuaires, tout en s’enrichissant sur les recettes commerciales.

Aberration économique

La privatisation d’un monopole est toujours absurde financièrement : ADP est un monopole naturel qui assure une clientèle captive et donc une rente financière. Vu la rentabilité actuelle d’ADP, cette vente s’apparente à une véritable arnaque pour les Français. Elle rapporterait entre 8 et 9 milliards d’euros et une partie de cette somme devrait être placée dans un fonds, dont les intérêts seront destinés à financer l’innovation. Mais les intérêts de ce fonds ne seront que de 2,5% de l’aveu même du ministre de l’Économie. Ils seront donc moindres que ce que rapporte aujourd’hui ADP à ses actionnaires : l’État pourrait donc engranger plus de profit et donc investir davantage dans l’innovation en conservant ses participations actuelles dans ADP ! Cette entreprise est en effet actuellement très rentable avec un taux de 7% de profit, générant pour l’État 180 millions d’euros de dividendes par an. Une autre partie des bénéfices de cette vente pourrait être utilisée pour désendetter l’État. Mais là encore, quel est l’intérêt, sachant que l’État s’endette actuellement à des taux très faibles, voire négatifs, alors que ses parts dans ADP lui rapportent des dividendes élevés ? En outre, ce secteur est en pleine croissance : ADP envisage une augmentation de son trafic aérien d’environ 2% et une croissance du chiffre d’affaires des services et commerces de ses aéroports de 30 % à l’horizon 2020. Les actions d’ADP devraient donc continuer d’augmenter : elles valent déjà quatre fois plus que lors de l’introduction en bourse en 2006. Il est utile de rappeler qu’en 2013, l’État avait déjà cédé 13% d’ADP à Vinci et au Crédit Agricole. Or, ces actions sont aujourd’hui valorisées le double ! L’État aurait donc mieux fait de les conserver.

Aberration écologique

Le secteur aérien est en pleine croissance et l’avion est de loin le mode de déplacement le plus émetteur de gaz à effet de serre. Si on laisse des actionnaires privés prendre le contrôle d’Aéroports de Paris ils auront tout intérêt à augmenter le trafic aérien pour maximiser leurs dividendes. Pour répondre à l’urgence climatique il est nécessaire de réduire les déplacements en avion et de proposer des alternatives comme le train de nuit pour les déplacements en Europe. Nous devons donc conserver le contrôle d’infrastructures stratégiques comme ADP pour planifier la décroissance du transport aérien et le report modal en France.

Dumping social

Les syndicats de salariés d’ADP affirment que depuis l’ouverture du capital d’ADP au privé en 2005, 2000 postes ont été supprimés alors que le trafic a doublé sur la même période. Dernière trouvaille des actionnaires : un programme intitulé « Bienvenue à Paris », lancé à l’été 2017, qui porte particulièrement mal son nom puisqu’il consiste à supprimer les 300 postes fixes d’accueil des voyageurs. La privatisation complète d’ADP risque donc d’aggraver la situation des salariés.

Frontière privatisée

Les aéroports franciliens représentent la première frontière de la France avec l’étranger. Or, depuis quand privatise-t-on la gestion des frontières ? Même aux États-Unis, les aéroports restent la propriété publique ! En effet, la recherche exclusive de profits risque de se faire au détriment des enjeux de sécurité et de sûreté : le futur acquéreur aura intérêt à toujours diminuer les effectifs destinés au contrôle de la sûreté des vols et des aéroports.

Mauvaise habitude européenne

Dès lors, pourquoi privatiser Aéroport de Paris ? Les arguments poussifs de Bruno Le Maire ont peiné à convaincre lors des débats parlementaires. Est-ce la faute à l’Union Européenne ? Nous savons que l’UE a la fâcheuse habitude de forcer les ouvertures à la concurrence, comme dans les secteurs clés de l’énergie ou du ferroviaire, ce qui revient à démanteler les services publics et à des privatisations déguisées. Par les traités limitant les déficits et la dette publique des États membres, l’UE incite aussi à privatiser pour remplir les caisses. Il arrive même qu’elle l’impose, comme ce fut le cas en Grèce où la Troïka (BCE, Commission et FMI) a forcé la privatisation d’une quinzaine d’aéroports. Il semble que ce ne soit pas le cas concernant Aéroport de Paris. Et c’est peut-être bien pire. L’UE n’a même plus besoin de demander, le gouvernement s’exécute.

Contre-argumentaire à usage militant : Ce que l’on entend…

"Je ne prends jamais l’avion"

La privatisation d’Aéroports de Paris ne concerne pas que les voyageurs. Les enjeux sont beaucoup plus larges. ADP joue un rôle considérable dans l’aménagement du territoire et son poids économique dans la région Ile-de-France est majeur. C’est aussi un enjeu écologique car les avions sont fortement émetteurs de gaz à effet de serre (GES). Il faut donc que l’État conserve le contrôle d’ADP pour organiser la décroissance du trafic aérien. Enfin cela pose la question de ce qui doit appartenir à la collectivité ou être donné au privé. Tous les citoyens sont donc concernés.

Ça ne me concerne pas !

ADP concerne l’ensemble des Français ! En effet, 80% du trafic aérien de l’étranger vers la France s’effectue via ses aéroports. Le groupe possède également un quasi-monopole en France sur le trafic cargo puisque les marchandises transitent pour leur immense majorité (plus de 90%) par Paris. Enfin, ADP gère également des aéroports internationaux et il est devenu en 2018 le n°1 mondial du secteur avec un total de 281,4 millions de passagers, soit une hausse de 7,6% par rapport à 2017. C’est donc un géant mondial et non un acteur uniquement local !

De toute façon ça pollue

Oui le transport aérien pollue et si on en croit les prévisions cela va être de pire en pire. Il est donc nécessaire que l’État conserve le contrôle de cette infrastructure stratégique pour pouvoir planifier la baisse du trafic aérien en France et donc limiter la pollution. Une fois dans les mains du privé, ce sera beaucoup plus difficile d’imposer cette décroissance des émissions de GES et de la pollution.

Privé c’est mieux et moins cher

Le principal argument des libéraux pour justifier les privatisations est que la concurrence fera baisser les prix. Cet argument n’est en général pas vérifié. Mais lorsqu’il s’agit d’une entreprise monopolistique, cette affirmation paraît encore plus erronée… Pourquoi ADP baisserait ses prix alors qu’il n’a pas de concurrents dans un rayon de 300 km ? De même, quel serait l’intérêt d’un investisseur privé de réaliser des investissements sur le long terme ? Au contraire, il aura intérêt à toujours augmenter les prix et diminuer les investissements, afin de gonfler ses revenus sur le court terme. L’exemple des autoroutes est à ce titre parlant : les prix ont explosé depuis leur privatisation, non pas pour favoriser l’investissement, mais uniquement pour nourrir l’appétit infini des actionnaires. Pour chaque euro versé aux péages en 2016, 50 centimes ont ainsi servi à satisfaire l’avidité des actionnaires !

Boris Bouzol-Broitman et Pierre Vince


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