La gauche d’après ... le 29 mai 2005 ( 2ème partie de la résolution votée par la Convention Nationale de PRS des 30 juin et 1er juillet 2007)

mercredi 11 juillet 2007.
 

On peut entendre ici ou là que le 6 mai 2007 a sonné pour la première fois le retour aux urnes des classes populaires. C’est inexact. Ce basculement s’est produit deux ans plus tôt, le 29 mai 2005.

Alors qu’il était devenu un fait invariant de chaque élection, la différence du niveau d’abstention entre les bureaux de vote populaires et les bureaux des favorisés s’est, ce jour là, spectaculairement réduite. Un nombre considérable d’abstentionnistes réguliers, qui n’avaient participé à aucun des récents scrutins, se sont rendus massivement aux urnes. Fait sans précédent, alors que la participation ouvrière était jusqu’ici systématiquement et nettement inférieure à la moyenne, elle l’a dépassé légèrement.

Cet élan civique du peuple populaire s’est accompagné d’une unification politique tout à fait remarquable. Jamais avant le referendum sur la Constitution européenne (même le 10 mai 1981), on n’avait vu les ouvriers voter dans le même sens à 79%, les employés à 67%. La fonction publique (64% des salariés du public) et la jeunesse (56% des 18‐24 ans) choisissaient également massivement le « non », dessinant dès lors un bloc sociologique nettement majoritaire.

Hélas celui‐ci n’a pas trouvé une gauche à l’image de ce choix déterminé, massif et homogène. Alors que le peuple de gauche choisissait majoritairement le « non », ses représentants allaient majoritairement dans le sens inverse. Liée aux catégories sociales les plus favorables au projet de Constitution européenne, journalistes, professions libérales et cadres supérieurs (qui votèrent « oui » à 65%), une majorité d’entre eux n’accepta jamais l’idée que le « non » puisse tracer un chemin. Elle aggrava le doute des catégories populaires en renforçant le sentiment que la gauche s’était détournée d’eux. Elle relativisa le clivage gauche droite avec ses thèses des « oui » compatibles, décomplexant la partie socialebobocrate de l’électorat de gauche qui fera le succès de Bayrou en 2007.

Revenir sur le référendum de 2005 n’est pas cultiver la nostalgie de la grande controverse qui impliqua cette année‐là notre peuple. C’est comprendre les causes d’une erreur qui allait se révéler deux ans plus tard si funeste et repérer dans cet événement inouï les ressorts positifs pour l’avenir. D’autant que la Constitution européenne fait son retour sous les traits du nouveau traité Sarkozy‐Merkel.

A) LA SOUVERAINETE POPULAIRE COMME ENJEU

Lorsque s’était ouvert le débat sur la Constitution européenne, les politiques libérales dominantes en Europe avaient déjà été contestées à de multiples reprises dans notre pays, mais uniquement sur le terrain social (notamment en 2003 et en 1995). Le referendum sur la Constitution européenne lui a donné un contenu directement politique et a mis au centre des débats la question de la souveraineté populaire.

Les néo‐libéraux aiment généralement présenter leurs orientations comme le résultat d’une simple adaptation aux lois incontournables du marché. Ils prétendent définir la seule politique possible tenant compte des contraintes objectives s’imposant aux peuples. Mais en donnant par le biais de ce texte une valeur constitutionnelle à leurs principes économiques, ils ont admis implicitement le lien entre un projet social et la forme institutionnelle le rendant possible. En sollicitant le vote du peuple, ils ont reconnu de fait que tout ordre économique et social doit reposer sur le consentement populaire.

La mobilisation contre le projet de Constitution européenne a fait progressivement le lien entre le contenu des politiques néo¬libérales menées en Europe et la négation, contenue dans le projet de Constitution, du droit du peuple à faire prévaloir d’autres principes.

Chemin faisant, la campagne du « non » de gauche s’est élargie à des arguments initialement négligés. Elle a mis en cause le caractère anti‐démocratique des institutions proposées. Elle a rejeté la méthode utilisée pour rédiger ce projet sans intervention populaire. Elle a dénoncé la volonté exprimée par de nombreux partisans du « oui » de ne pas donner à chacun les moyens de se déterminer librement en citoyen conscient et éclairé. Ce faisant, la campagne référendaire a retrouvé la synthèse républicaine entre un projet social et un modèle d’organisation politique. Elle remit au premier plan la question de la souveraineté populaire, qui avait disparu du vocabulaire de la gauche.

Ainsi se manifesta le rejet du fonctionnement oligarchique d’institutions qui ramènent progressivement les citoyens à l’état de sujets. En effet, avec une abstention toujours plus massive et socialement située, on assiste progressivement à une véritable dérive censitaire : les couches les plus aisées votent et déterminent la politique du pays au nom du peuple tout entier. Ces mêmes privilégiés développent la thèse de l’irréductible complexité du monde, pour démontrer l’incompétence politique du peuple et justifier le recours croissant aux experts et aux lobbies.

Jamais depuis longtemps la volonté populaire n’avait été aussi clairement piétinée. Tout y concourt : la démission du politique face à la mondialisation libérale, l’affaiblissement du cadre national avec la décentralisation et la dilution de l’espace européen en une zone de libreéchange, le démembrement de la puissance publique en un maquis administratif, la domination à tous les niveaux d’élites technocratiques acquises au libéralisme, la transformation de l’ambition politique de changement en une vision gestionnaire du système. C’est à ce dessaisissement que beaucoup d’électeurs du « non » ont voulu donner un coup d’arrêt.

B) L’UNION DES GAUCHES ET L’IMPLICATION POPULAIRE COMME MOYENS

Au bloc sociologique rassemblé sur le « non » a correspondu un rassemblement politique majoritaire de l’électorat de gauche. 63% des personnes qui se disent proches du PC, du PS ou des Verts ont voté non (tandis qu’à droite, 73% des sympathisants UMP‐UDF‐MPF choisissaient le « oui »). Les électeurs de toutes les sensibilités de la gauche ont fait le même choix, celui du « non ».

La victoire du « non » au sein de la gauche et au sein du pays montre qu’un tel rassemblement est capable d’attirer et d’entraîner. Capacité d’attraction car les électeurs de gauche se sont sentis plus proches de l’union des gauches sans exclusives autour du « non » plutôt que du « oui » compatible avec la droite. Capacité d’entraînement qui s’est manifestée tout au long de la campagne par une incroyable mobilisation citoyenne.

En effet, une énergie considérable s’est mise en mouvement pour que le « non » l’emporte. Les multiples réseaux construits dans la résistance aux politiques néolibérales se sont mis en branle côte à côte.

Un véritable parti aux murs invisibles, sans consignes ni chef d’orchestre, a su forger la conviction du pays.

Cela fut le résultat d’une convergence militante sans précédent. Le maillage d’Attac est entré en campagne. Des milliers de socialistes ont pris leur place dans la bataille du « non » de gauche dès les lendemains du référendum interne au PS. Le Parti Communiste a organisé un appui militant tout à fait décisif. Les militants de la LCR n’ont pas ménagé leurs forces.

La décision de la CGT a été un signal déterminant. Des syndicalistes se sont impliqués de toutes parts. Tous se sont retrouvés, avec des milliers de citoyens engagés, qui n’appartenaient pas ou plus à des formations politiques, dans les collectifs unitaires qui ont fleuri partout en France, à l’appel des 200.

Ainsi, le rassemblement autour du « non » de gauche s’est réalisé en lien étroit avec la mobilisation populaire. Il s’est nourri de l’engagement civique de milliers de citoyens qui ont tenu à exercer librement leur devoir républicain au sein de collectifs pour le « non ». Pendant quelques semaines, le peuple de gauche s’est doté de la force consciente et organisée qui lui faisait jusqu’ici défaut.

C) LA DEROUTE DES IMPORTANTS

Le « non » l’a emporté contre les consignes matraquées jour et nuit par l’ensemble des « leaders d’opinion ». Il l’a fait contre l’avis des médias, des partis dominants, des forces économiques. Il signa ainsi la déroute des importants. Cette prise de distance s’est nourrie de la critique salutaire engagée par des centaines de milliers de nos concitoyens contre le contenu des médias dominants et leurs manipulations parfois grossières.

Quel qu’ait été leur choix, le résultat du referendum était porteur d’une leçon bien vivante pour tous les militants de gauche. Il n’y a pas de victoire politique sans bataille culturelle. Déjà l’heure des arguments d’autorité, des « évidences » non expliquées, des consignes non argumentées était derrière nous. L’élection présidentielle de 2007 l’a confirmé. S’en souviendra‐t¬on à l’avenir ?

Le vote du 29 mai n’est pas seulement un point d’appui par les enseignements qu’il apporte à la réinvention de la gauche. C’est aussi un mandat très concret. Le « non » des Français n’a pas été respecté. Après le vote, Jacques Chirac s’est refusé à retirer la signature de la France. La majorité des gouvernements européens s’est opposée à l’arrêt du processus de ratification au nom du fait que le vote d’un seul pays ne pouvait empêcher le débat chez tous. Pour autant ils ont encore moins cherché à organiser un débat public dans leur propre pays, renonçant un à un aux referendums prévus. Et ils se sont rués sur la proposition de Nicolas Sarkozy d’un « mini‐traité » avec le ferme espoir de voir le Parlement français adopter les dispositions que son peuple avait rejetées.

La controverse du « non » n’est donc pas épuisée. D’autant qu’au terme des élections législatives, la droite ne dispose pas de la majorité des 3/5e nécessaire à la révision constitutionnelle que l’adoption d’un nouveau traité rend nécessaire. La gauche, qui s’est prononcée unanimement en faveur d’une ratification par referendum, dispose ainsi des moyens de contraindre le pouvoir à un débat populaire sur cette question essentielle.


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