Égypte : les coptes victimes de leur État

lundi 5 août 2019.
 

L’oppression au quotidien dont sont victimes les coptes en Égypte n’est pas le seul fait des islamistes. Elle est surtout maintenue par les différentes institutions égyptiennes, souligne Daraj, qui a relevé plusieurs actes anticoptes au cours d’une même semaine.

Pas un mois ne passe sans que les chrétiens d’Égypte ne vivent une dizaine de drames. Cela va de cas où l’on cherche à chasser des gens de chez eux en Haute-Égypte à des enlèvements, en passant par des fermetures d’églises, des attentats à l’explosif et des meurtres. Généralement, on clôt ces affaires en disant qu’il s’agit de l’acte d’un “déséquilibré”. Essayons de faire la chronique d’une semaine dans la vie des coptes. Une semaine qui suffira pour rendre compte de l’insoutenable épreuve qu’ils subissent.

Après l’attentat qui a fait quatorze morts parmi les soldats au Sinaï [le 6 juin], aucun copte n’a été cité parmi les victimes. Mais très vite, on a appris que des funérailles chrétiennes étaient organisées dans le village natal de l’un d’eux, dans la province d’Assiout [Haute-Égypte]. Il s’agissait d’Abanoud Marzouq.

Sur les réseaux sociaux, je me suis interrogé sur la raison pour laquelle on n’avait pas indiqué son nom [qui indique l’appartenance confessionnelle]. Cela m’a valu un flot de messages hostiles, y compris de la part de journalistes qui ont expliqué que c’était “normal” et que l’armée ne publiait jamais les noms des soldats victimes d’attentats dans le Sinaï. J’ai fini par effacer le message, en me disant que j’avais probablement eu tort de croire qu’il y avait discrimination.

Le courage manquant de l’administration

Mais aussitôt, d’autres informations ont commencé à circuler, faisant état de sérieuses tensions dans ce même village. En effet, les habitants protestaient contre la décision de l’armée de nommer l’école du village d’après le nom d’un chrétien. Pour Ishaq Ibrahim, chercheur pour l’initiative égyptienne pour les droits humains,

“ceux qui ont protesté n’étaient pas des Frères musulmans, ni des salafistes, ni des extrémistes. Il faut avoir le courage de dire la vérité : les agents de l’État ont une mentalité qui fait qu’ils sont prompts à discriminer. Les discours qui consistent à rejeter la faute [sur les islamistes] sont une façon de se voiler la face.”

Et d’ajouter : “Après avoir renoncé à nommer l’école du nom d’Abanoud, le gouvernorat d’Assiout a été beaucoup critiqué. Pour calmer le jeu, on a mis une plaque avec son nom à côté d’un petit pont dans son village, croyant pouvoir satisfaire tout le monde en posant son nom au premier endroit qui leur est venu à l’esprit, sans se fatiguer les méninges, et sans avoir le courage d’assumer le choix initial.”

Or l’administration ne fait pas preuve de la même pusillanimité quand il s’agit d’honorer d’autres soldats victimes d’attentats dans le Sinaï, puisque de nombreuses rues, places et écoles portent leurs noms.

Hériter selon les règles de la charia

Une affaire d’héritage a aussi marqué la semaine. L’homme a-t-il droit au double de la part de la femme, fût-il chrétien ? “Personne ne dit ce genre de choses dans la justice égyptienne”, s’insurge le juge chargé du procès de la journaliste [copte] et militante des droits humains Hoda Nasrallah.

Au décès de son père, ses frères lui avaient dit de suivre les procédures habituelles de la justice, quitte à partager ensuite l’héritage à égalité par un accord de gré à gré. Mais Hoda voulait une décision de justice, et non pas dépendre du simple bon vouloir de ses frères.

En réalité, son combat dépassait son cas personnel. Son but était de créer une jurisprudence pour mettre fin à l’abus récurrent d’hommes chrétiens qui profitent du fait que la justice égyptienne ne reconnaît pas les règles d’héritage propres à la religion chrétienne. Cette question illustre une des formes de l’injustice subie par les femmes coptes, qui doivent se contenter de la part de l’héritage selon les règles de la charia musulmane.

“Un copte n’a pas d’autorité sur un musulman”

Autre scandale qui a éclaté dans la même semaine : les humiliations subies au tribunal par un ingénieur qui devait témoigner dans le procès d’un de ses collègues de travail. Or le juge a refusé son témoignage en disant qu’un “copte n’a pas d’autorité sur un musulman”. Le fils de l’ingénieur a très mal vécu la chose, et en a parlé sur les réseaux sociaux, expliquant que ce genre d’incidents entretenait chez lui l’envie de quitter l’Égypte, pays où il ne jouit pas des mêmes droits que les autres.

Déjà en 2008, ce sujet avait défrayé la chronique, quand un Égyptien musulman avait demandé à son voisin copte de témoigner dans une affaire d’héritage. Or le tribunal de Choubra Al-Khayma [faubourg populaire du Caire] a refusé qu’un chrétien témoigne contre un musulman.

Cela renvoie à une contradiction qui se trouve dans la Constitution même. L’article 53 énonce que “les citoyens sont égaux devant la loi, sans distinction fondée sur la religion”. Mais l’article 2 énonce que “l’islam est la religion de l’État, l’arabe est la langue officielle et la charia est la principale source de la législation”. Or la charia n’accepte pas le témoignage d’un non-musulman devant un tribunal.

Patrick George


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