Loi Blanquer : La France insoumise saisit le Conseil constitutionnel

mercredi 31 juillet 2019.
 

Les groupes Gauche Démocrate et Républicaine, La France insoumise, et Socialistes et apparentés ont fait part ce jour au Conseil constitutionnel de leurs observations concernant le projet de loi pour une école de la confiance adopté le 2 juillet 2019 par l’Assemblée nationale.

Nous estimons que cette loi est manifestement contraire à plusieurs principes constitutionnels, notamment la liberté d’expression (article 1er), la liberté de conscience et de religion (article 10) et le principe d’égalité (articles 32 et 49).

Nous demandons au Conseil constitutionnel d’invalider ces dispositions entachées d’inconstitutionnalité. Retrouvez le texte transmis au Conseil constitutionnel ci-dessous.

« Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, nous avons l’honneur de vous faire part de nos observations concernant le projet de loi pour une école de la confiance adopté le 2 juillet 2019 par l’Assemblée nationale.

Les député·e·s auteur·e·s de cette contribution estiment que cette loi est manifestement contraire à plusieurs principes constitutionnels, notamment la liberté d’expression, la liberté de conscience et de religion et le principe d’égalité.

1. Sur les atteintes à la liberté d’expression

L’article 1er du projet vise à insérer dans le code de l’éducation un nouvel article L. 111 3 1 qui énonce : « L’engagement et l’exemplarité des personnels de l’éducation nationale confortent leur autorité dans la classe et l’établissement et contribuent au lien de confiance qui doit unir les élèves et leur famille au service public de l’éducation. Ce lien implique le respect des élèves et de leur famille à l’égard des professeurs, de l’ensemble des personnels et de l’institution scolaire. »

Si la portée normative d’une telle disposition reste incertaine, les intentions affichées par le Gouvernement dans le cadre de l’étude d’impact obligent à la vigilance, eu égard aux effets que cet article pourrait produire. En effet, ce document prévoit que « les dispositions de la présente mesure pourront ainsi être invoquées, comme dans la décision du Conseil d’Etat du 18 juillet 2018 précédemment mentionnée, dans le cadre d’affaires disciplinaires concernant des personnels de l’éducation nationale s’étant rendus coupables de faits portant atteinte à la réputation du service public. Il en ira par exemple ainsi lorsque des personnels de la communauté éducative chercheront à dénigrer auprès du public par des propos gravement mensongers ou diffamatoires leurs collègues et de manière générale l’institution scolaire. »

Ce nouvel article du code de l’éducation pourrait donc, ainsi que le suggère l’étude d’impact, servir de fondement à des sanctions disciplinaires visant les « personnels de l’éducation nationale » qui auraient tenu des propos dénigrant « de manière générale l’institution scolaire ». En menaçant de sanction ces personnels de l’éducation pour des propos qu’ils tiendraient publiquement, cette disposition méconnait de manière manifeste la liberté d’expression. En effet, si l’on peut admettre des limitations à cette liberté notamment eu égard à l’exigence de neutralité, de telles limitations devraient être formulées de manière précise afin de ne pas placer les agents du service public dans une situation d’incertitude quant à l’étendue de leur liberté. Il appartenait au législateur d’apporter l’ensemble des précisions permettant de cerner clairement ce qui pourrait, au regard de cette disposition, constituer un abus de la liberté d’expression au sens de l’article 11 de la Déclaration des droits. Ainsi, faute d’avoir précisé les circonstances de lieux, de temps et de contextes dans lesquels « l’engagement et l’exemplarité » pourront être exigés des personnels de l’éducation, ni le sens de ces termes polysémiques, une telle disposition législative placerait les personnes concernées dans une situation d’insécurité juridique incompatible avec le régime constitutionnel de la liberté d’expression. Cette disposition apparait ainsi tout à la fois entachée d’incompétence négative et contraire à la liberté d’expression.

2. Sur les atteintes à la liberté de conscience et de religion

L’Article 10 introduit dans le code de l’éducation un nouvel article Art. L. 141-5-2. qui dispose que « – L’État protège la liberté de conscience des élèves. Les comportements constitutifs de pressions sur les croyances des élèves ou de tentatives d’endoctrinement de ceux-ci sont interdits dans les écoles publiques et les établissements publics locaux d’enseignement, à leurs abords immédiats et pendant toute activité liée à l’enseignement. La méconnaissance de cette interdiction est punie de l’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe. »

La rédaction de cet article nous semble entachée d’incompétence négative, le pouvoir législatif n’ayant pas assuré une conciliation équilibrée entre, d’une part, l’objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et, d’autre part, la liberté de conscience et le libre exercice des cultes, comme le requiert l’article 10 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen. Cette absence de conciliation pourrait ainsi recéler des atteintes non nécessaires et non proportionnées à la liberté de conscience et de religion, en fonction de l’interprétation qu’en feront les autorités locales.

3. Sur les atteintes au principe d’égalité

En premier lieu, selon l’exposé des motifs, l’article 32 « institue le cadre législatif applicable aux établissements publics locaux d’enseignement international (EPLEI) qui se rattachent à la catégorie existante des établissements publics locaux d’enseignement (EPLE) ; toutefois, ils s’écartent de plusieurs dispositions législatives applicables aux EPLE dans la mesure où leur création intègre des classes des premier et second degrés. ». Ces établissements d’un nouveau type pourront notamment préparer à l’option internationale du brevet et celle du baccalauréat et disposeront de moyens renforcés pour leur fonctionnement tel que le recrutement « via le rectorat, des professeurs associés disposant de qualifications spécifiques ». Outre ce statut privilégié, l’admission des élèves « soumise à la vérification de leurs aptitudes » apparait manifestement contraire tant aux objectifs affichés de la loi qu’au principe constitutionnel d’égalité. En effet, les dispositions contestées ne sont pas de nature à garantir que des élèves placés dans une situation identique bénéficieront du même traitement. Cet article apparait ainsi contraire 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen en vertu duquel « [la loi] doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ».

En second lieu, l’article 38 étend le champ des expérimentations autorisées dans le domaine de l’éducation. La disposition prévoit ainsi que « ces expérimentations peuvent concerner l’organisation pédagogique de la classe, de l’école ou de l’établissement, la liaison entre les différents niveaux d’enseignement, la coopération avec les partenaires du système éducatif, l’enseignement dans une langue vivante étrangère ou régionale, les échanges avec des établissements étrangers d’enseignement scolaire, l’utilisation des outils et ressources numériques, la répartition des heures d’enseignement sur l’ensemble de l’année scolaire, les procédures d’orientation des élèves et la participation des parents d’élèves à la vie de l’école ou de l’établissement. ». De telles expérimentations auront nécessairement un impact en termes de moyens, d’heures, d’affectation des personnels qui seront recrutés certainement sur des postes profilés permettant de contourner les procédures d’affectation contrôlées des enseignants. Décidées par l’autorité administrative pour une durée de 5 ans, elles risquent d’avoir pour effet de placer les élèves et les personnels dans des situations de plus en plus dissemblables alors que c’est précisément dans le domaine de l’éducation que le principe d’égalité doit trouver sa première application. Ainsi, parce que ces expérimentations portent sur des aspects structurants de l’éducation, elles apparaissent manifestement contraires au principe d’égalité.

Enfin, l’article 49 prévoit la création d’un statut d’assistants d’éducation auxquels seront confiés des fonctions de « soutien, d’accompagnement, d’éducation et d’enseignement » dès lors qu’ils sont « inscrits dans une formation dispensée par un établissement d’enseignement supérieur délivrant un diplôme préparant au concours d’accès aux corps des personnels enseignants ou d’éducation ». Le caractère imprécis des critères de recrutement confine ici à l’inexistence et doit être mis en lien avec les missions qui sont attribuées à ces assistants d’éducation. Une telle mesure pourrait aisément conduire certaines académies en carence de personnels à avoir massivement recours à une telle facilité mais sans aucune garantie d’un niveau d’éducation suffisant pour les élèves, ni de formation pédagogique pour ces « assistants d’éducation ». Ainsi, cet article constitue-t-il une grave menace de rupture d’égalité face au service public de l’éducation nationale et doit à ce titre être censuré au titre de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789. »


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