Amara, Besson, Bockel, Jouyet, Kouchner : essai de réflexion sur les jaunes

samedi 23 juin 2007.
 

Trop facile de laisser passer le coup : ils trahissent et la gauche, polie, tout juste distante et méprisante, de façon condescendante, ne leur dirait rien ?

Ces gens-là, il faut prendre le temps de les analyser, de les caractériser et les dénoncer : car il y a des générations, derrière, à éduquer. Et il est souhaitable de les éduquer fortement, franchement avec un maximum de dégoût vis-à-vis de ces « jaunes » qui ont rejoint le pire des gouvernements anti-sociaux depuis la guerre, celui des MM. Sarkozy et Fillon.

Certes, il y a toujours eu des « jaunes » c’est-à-dire des individus ou « syndicats » opposés aux conflits de classe et conciliants avec le patronat. Ce sont ceux qui appelaient à ne pas faire grève lorsque la majorité des autres syndicats y appellaient ou signaient des accords de branche auxquels la majorité des syndicats étaient opposés. Individuellement, un « jaune » peut aussi désigner un travailleur engagé par un patron pour briser une grève. Ce terme vient de loin, aux origines du mouvement créé par Pierre Biétry le 1er avril 1902, la « Fédération Nationale des Jaunes de France », un syndicat anti socialiste. Pour les grévistes, les jaunes étaient donc devenus les « non-grévistes ».

Selon Biétry lui-même, dans son ouvrage Le socialisme et les jaunes, son but était de « réaliser la renaissance nationale en créant la réconciliation des classes sur un programme de justice sociale ». Dans les faits, ce mouvement s’est opposé vigoureusement au mouvement socialiste. Il était soutenu par les nationalistes qui pensaient tenir là une force nouvelle capable de faire face à la gauche, notamment de grands industriels, le duc d’Orléans ou la duchesse d’Uzès.

A cause de cela, le qualitatif de « jaune » s’est généralisé et a servi à désigner généralement les « traîtres ».

Il y a eu aussi, mais plus particuliers, les « néos » qui sont allés jusqu’à devenir néo-nazis après s’être réclamés du communisme ou du socialisme ; c’étaient des « salauds » eux aussi, mais il y avait un contexte ; c’était sous une pression, une dérive historiquement forte et avec un semblant de théorie « de masse » auto justificatrice. On ne peut absolument pas comparer aujourd’hui avec cette période historique des « néos » puis de la « Collaboration » pendant l’Occupation nazie.

On ne peut pas non plus comparer avec ceux du temps des troisième et quatrième République où toutes les combinaisons étaient possibles, où les girouettes politiciennes, allaient d’un gouvernement à l’autre, enjambant les coalitions, mêlant gauche et droite. Non, nous sommes dans la V° République avec une bipolarisation connue, effective, puissante, des votes tranchés, et, justement, la France est « à chaud », à vif, au terme de 9 mois de campagne électorale.

Qui sont-ils, dans ce contexte, ces gens partant de la gauche qui rejoignent la droite patronale triomphante au moment où elle est la plus ultra, la plus féroce, depuis Pétain, contre les droits sociaux, au moment ou elle veut réduire la Sécu, le droit du travail, etc... ?

Car le terme de « jaunes » n’a pas toujours été utilisé à bon escient : parfois, des gauchistes, des sectaires, des désespérés eux-mêmes, impatients, maladroits, traitaient de « jaunes » certaines catégories de salariés, qui, n’ayant pas les moyens de faire grève ou n’étant pas convaincus par la nécessité ou la forme de l’action, ne participaient pas au mouvement d’ensemble. Il faut y faire attention.

Les staliniens, quand il était « minuit dans le siècle », ont dénoncé des « jaunes » à propos de tout et pour n’importe qui n’était pas d’accord avec leurs chefs et théories du moment. A ce titre, il y a eu des excommunications inacceptables, inhumaines, des exclusions bureaucratiques, des militants sincères bafoués, des intelligences salies. Les gauchistes aussi, ont multiplié des sectarismes qui faisaient « des plus proches les pires ennemis » dés lors qu’ils se distinguaient, nuançaient des analyses politiques de façon non orthodoxes, par rapport à des théories de gauche totalitaires. Mais on voit bien que ce n’est de cela non plus dont il s’agit avec nos « jaunes » pro Sarkozy.

Dans l’histoire du mouvement social, salarial, les « jaunes » ont parfois représenté une déchirure, une terrible souffrance, une division amère, un affaiblissement des chances de réussite pour ceux qui, eux, luttaient et se sacrifiaient pour les revendications communes. Souvent les grévistes qui avaient perdu des salaires lors des jours de grèves mais gagné des augmentations, faisaient valoir qu’ils avaient lutté aussi pour ceux qui n’avaient pas fait grève et en bénéficiaient. Au fond, les « jaunes » étaient ceux qui ne mettaient pas ou ne pouvaient pas mettre d’abord en avant l’intérêt général de leur classe sociale, parfois sans connaître ou comprendre leur propre intérêt réel. La littérature, de Zola à London, hier et aujourd’hui, dans tous les pays a décrit abondamment les drames misérables des luttes sociales et celui des « jaunes ».

Mais ce n’est visiblement pas cela : les « jaunes » type Besson, Amara, Kouchner, ne nous mettent pas la larme à l’œil, ne nous inspirent pas le rejet du totalitarisme, ni la souffrance, ni la déchirure, ni même le dilemme moral.

Nos « jaunes » d’aujourd’hui ne cherchent pas à avoir une « base », ni une « théorie de référence », ne s’inspirent pas d’un mouvement étranger, ne se sont même pas regroupés entre eux, ne sont pas inspirés par les institutions, l’air du temps, le contexte, pour expliquer leur trahison. Pourtant il font un « saut », une rupture forte, et ils vont directement au gouvernement, ils deviennent d’emblée co-dirigeants avec leur ex-adversaire, s’en rendent spectaculairement complices, solidaires, pour attaquer de la façon la plus éminente leur ex-camp.

Ce sont des gens de gauche de vieille date, en l’occurrence socialiste, pas pauvres, pas affamés, devenant, à froid, sans obligation personnelle, morale, sociale, des « jaunes » sans y être forcés, sans excuse d’ignorance, de souffrance, sans processus d’explication, sans théoriser intellectuellement leur changement, parfois même en le niant, parfois en le revendiquant, ils passent au camp adverse, au Duc d’Orléans et à la duchesse d’Uzes. (disons au Baron Seilliére).

Alors que la fracture sociale est nette, qu’il y a 7 millions de travailleurs pauvres, 4 millions de chômeurs, 15 % d’actifs précaires, des régressions en matière de santé, d’école, d’équipements, d’environnement, de vieillissement, ds explosions sociales dans les banlieues, d’un côté. Tandis que de l’autre côté, jamais la France n’a été aussi riche, il y a 378 000 millionnaires en euros, les 500 premières fortunes ont gagné 30 milliards d’euros de plus, les entreprises du Cac 40 empochent 100 milliards d’euros de bénéfices, les profits siphonnent à leur avantage 160 milliards d’euros aux salaires ; c’est alors que ces gens choisissent de passer à l’autre camp.

Comme ils ne l’expliquent pas, comme c’est soudain, fort et rapide, comme c’est à la suite d’une victoire du camp qu’ils ont pourtant combattu, ils ne bénéficient pas des excuses de la conviction mûrie, des révisions déchirantes et intimes, de l’urgence personnelle, des causes à défendre : ils prétendent même tranquillement les défendre, ces causes, en allant dans le camp politique capitaliste qui a produit la fracture sociale.

Ce qui vient d’arriver, là en France, est sans doute plus rare et mérite d’être étudié, c’est une forme de « jaunes » à l’état pur, si on peut le dire ainsi, une catégorie de « traîtres parfaits ».

Ceux qui ne peuvent invoquer aucun principe, aucune excuse, aucune atténuation : ce n’est pas pour sauver leur famille de la faim, pour éviter de perdre un « boulot », parce qu’ils ne sont pas convaincus de l’opportunité d’une grève, non, ils deviennent, même pas les supplétifs, mais les participants actifs de la politique qu’ils combattaient avant dans le camp qui était le leur.

Ils nient à la fois qu’ils aient fait partie de ce camp, et qu’ils en aient changé, qu’ils ne défendent plus les mêmes idées, refusent d’entendre que leurs soeurs et frères de combat antérieurs soient choqués, bafoués, trahis. On ne peut pas croire qu’ils pensent qu’ils vont faire avancer les choses pour leur ex camp : Kouchner lui, est pour Bush, la guerre barbare en Irak ; il est même extrémiste, à la différence du peuple américain et se prononce encore contre le retrait des troupes Us de là-bas malgré l’échec total ; il est aussi contre les 35 h, pour la retraite à 67 ans, pour la baisse des impôts pour les riches, pour le Tce et l’Europe libérale, il va au gouvernement pour le pire, en fait.

Besson faisait au Ps, semaine après semaine, des projets de communiqués au Bureau national, toujours droitiers, c’était un député « Vivendi », ami de Jean-Marie Messier ; en fait, il voulait jouer un rôle déjà de droitier dans le PS ; il joue plus logiquement le rôle de la droite dans le gouvernement de droite, celui qui va faire la TVA antisociale. Ce qui frappe c’est la rapidité, l’audace, la force de la trahison, sans complexe, de la direction d’un camp à l’autre, sans scrupule, sans remords, ni demi teinte.

Jouyet, c’est comme tous ces « Gracques », ces anonymes « techno » toujours proches du manche, « fayots » des dirigeants de gauche, des cabinets ministériels de haut niveau, sans doute les plus « pourris », si le mot « tous pourris » a un sens, car ils sont sans réserve, biberonnés de libéralisme, mais faisant semblant d’être dans le camp des opprimés et des exploités, si cela les fait accéder aux responsabilités, changeant de camp si cela va plus vite pour eux : pas d’états d’âme, ni d’explications, pas de comptes à rendre, pas de morale, rien. Que du pouvoir et du fric.

Jean-Maire Bockel, lui, se disait « Blairiste » mais même Blair a recruté des fonctionnaires en grand nombre, tandis que Sarkozy annonce qu’il va en supprimer un sur deux : dans une France qui a tant besoin de services publics, ça ne fait rien, Bockel y va quand même. Pourtant il est sénateur socialiste, maire socialiste, membre du PS depuis 34 ans, en gros ; il dit qu’il en a assez d’attendre, de ne pas être écouté : il part dans le gouvernement adverse sans transition.

Ils y vont, dans cette société médiatique, le sourire aux lèvres devant les caméras, devant la France entière, « traîtres » assumés :

* traîtres sur le droit de grève qui va être limité,

* traîtres sur le Code du travail qui va être démantelé,

* traîtres sur les 35 h qui vont être annihilées,

* traîtres sur les retraites qui vont passer à 65 et 67 ans, 41 ou 42 annuités,

* traîtres sur les énormes cadeaux fiscaux qui vont être donnés aux 16 000 familles les plus riches,

* traîtres tranquilles sur la défense de l’immigration, même quand ils sont d’origine immigrée,

* traîtres sur les droits démocratiques quand ils s’allient avec des communautaristes, corporatistes, et même des intégristes si l’on voit le cas inouï de Fadela Amara bras-dessus, bras-dessous avec Christine Boutin.

On ne sait pas grand chose de leur idéologie de fond, tellement elle est faiblement articulée, exprimée. Il y a sans doute classiquement du nationalisme, comme toujours, là-dedans, au mieux, si l’on creuse de façon bienveillante. Ils pensent sans doute, pour continuer à se regarder dans une glace, que la nation est plus importante que les classes. Ces « traîtres » venus de gauche, croient que la prospérité de l’économie nationale prise comme un tout signifie le bonheur matériel de tous en dépit de la souffrance de ceux dont ils étaient issus ou qu’ils représentaient auparavant.

Les capitalistes, de leur côté, les acceptent avec joie, les sollicitent, les promeuvent pour démontrer à tous que la satisfaction de tous les salariés exploités est la condition du développement de la prospérité économique commune. Donc Sarkozy fait l’ouverture, pour gagner le maximum de monde, nourrir le plus d’illusions possibles, dans ses bras piégés. C’est une vision du monde qui place travail et capital, ouvriers et patrons à égalité devant l’entité qui les unit, la nation. En l’occurrence, vive le capital, enrichissez vous, vive la méritocratie, et regardez « des gens de gauche y viennent ». C’est pourquoi, sans doute, cela doit venir du rejet de la lutte des classes au bénéfice du concept de l’union des classes ce qui facilite à ces « traîtres purs » de franchir facilement ce qui pour eux n’est pas une « barrière » entre les classes, entre le camp des exploiteurs et celui des exploités, entre riches et pauvres, entre la gauche et la droite.

Comment, pour reprendre ce triste cas, associée à Christine Boutin, Fadela Amara peut-elle arriver à faire mine de croire et dire devant les caméras qu’elle va apaiser les banlieues... avec un budget, une orientation de développement du chômage, de blocage des salaires, de destruction de la dignité des salariés au travail ? Comment le dirigeant de Sos-racisme peut il lui souhaiter "bonne chance" dans ses nouvelles tâches avec l’homme au Kârcher qui traitait les jeunes de banlieue de « racailles », organise les expulsions en masse, et dénonce ceux qui « égorgent le mouton dans la baignoire » ? Comment des "responsables" militants, associatifs, en vue, peuvent-ils s’abaisser à franchir si allégrement les frontières entre la droite la plus brutale qui est annoncée et la gauche ? Ils n’ont pas la moindre conscience de classe face au Medef qui se réjouit ? N’ont ils rien lu, rien entendu ? Jouent-ils les naïfs ?

Sans aucun doute, vu la faiblesse des justifications connues, les avantages matériels, retirés de la trahison sont-ils vraiment plus forts que le raisonnement intellectuel. Il faut chercher l’explication dans la recherche de l’aventure et de la gloire personnelle avec des ego surdimensionnés : c’est le cas de Kouchner ; pour Jouyet mettons la dimension « techno » par dessus les classes, qui ne croit plus à aucune idéologie ; pour Besson mettons la rage d’arriver, le cynisme de défier ceux qui ne l’ont pas reconnu dans son égo, l’indifférence entre les choix politiques possibles, un ou l’autre, tout se vaut ; Bockel, c’est pareil, absence de conscience de classe, de la souffrance du salariat au travail, des exclus, pas de barrière, de camp à défendre, usure, cynisme, ambition ; Fadela Amara on souhaiterait retenir l’ignorance et l’inculture, mais ce serait trop facile, il faut ajouter l’aventurisme à l’amateurisme.

Tous ont un point commun : l’argent et les avantages du pouvoir, avantages matériels pour leurs statuts, leurs retraites, leurs façons égoïstes de se servir quand la soupe leur est offerte.

En cela, nos « jaunes » d’aujourd’hui, sont bien ordinaires, vulgaires. Pas d’excuse de morale, de doute, de souffrance, de faim... Pas poussés, pas pressés, pas stressés, ce sont des gens sans racines fortes, qui trahissent comme s’ils giflaient leurs anciens compagnons, presque allégrement, inconsciemment.

Il importe donc de ne pas faire silence, ni de sous estimer cette trahison sordide des Amara, Besson, Bockel, Jouyet, Kouchner.

Parce que la gauche doit être aussi fidèle aux salariés que la droite est fidèle au patronat, nous avons besoin d’identifier minutieusement cette nouvelle et spectaculaire forme de traîtrise-là, afin de la dénoncer au mieux, pour bien en vacciner notre jeunesse.

Il y a des moments où il faut prendre le temps de faire la honte aux jaunes, surtout à ceux-là, des « traîtres purs », des corrompus sans excuses, des mondains sans principes, sans repères dont on ne voit vraiment pas d’autre motivation sérieuse que l’argent lié à la vanité du pouvoir.

Gérard Filoche


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