Soudan : Nouvelle révolution arabe en cours

dimanche 14 avril 2019.
 

5) Tournant au Soudan : le président Omar Al-Bachir renversé par l’armée

Après plus de trois mois de contestation populaire, le ministre de la défense a annoncé « la chute du régime et le placement en détention de son chef ».

Il y a presque trente ans entre ces deux aubes. La première, celle du 30 juin 1989, lorsque le général de brigade parachutiste Omar Hassan Ahmad Al-Bachir avait pris le pouvoir à Khartoum, à l’ancienne, avec déploiements de blindés et déclaration à la radio. Et celle, à l’ancienne également, où il a subitement disparu des radars, sans doute déposé aux petites heures du jeudi 11 avril, tandis que Radio Omdourman jouait de la musique militaire vintage. Jusqu’à l’annonce par le ministre de la défense, Aouad Mohamed Ahmed Ibn Aouf, sur la télévision d’Etat, de « la chute du régime » et du « placement en détention dans un lieu sûr de son chef ».

L’armée soudanaise a également imposé un mois de couvre-feu nocturne dans l’ensemble du pays courant de 22 heures à 4 heures du matin, a fait savoir le ministre de la défense, alors qu’une immense foule de Soudanais était rassemblée dans le centre de la capitale.

Contesté dans la rue depuis le 19 décembre, Omar Al-Bachir, 75 ans, qui fait l’objet d’un mandat de la Cour pénale internationale (CPI) sur la base de crimes de guerre commis au Darfour, a été contraint de quitter le pouvoir au profit d’une junte militaire.

Jeudi, les conditions de la conduite des affaires, dans le Soudan de l’après-Bachir, continuaient d’être discutées entre militaires, pour commencer, mais aussi avec les responsables de certaines milices et des services de renseignement, ou encore le colonel Hemeeti, chef de la Force de réaction rapide (RSF), des ex-janjaweeds qui ont été organisés par le NISS (services secrets), mais versés récemment dans l’armée. Une convergence parfaite pour, dans le flou de ces événements, faire de la RSF un acteur pivot.

Fixer les règles de l’après-Bachir

Mais de quoi cela augure-t-il pour la suite ? Depuis plusieurs jours, les responsables de la contestation – au premier rang desquels figurent les membres de l’Association des professionnels du Soudan (SPA) – évoquaient les contours d’une solution destinée à débloquer la situation de confrontation latente au milieu de Khartoum, qui impliquait ce qu’une source appelait « un petit coup d’Etat ». Il faudra obtenir plus de précisions pour savoir si ce projet se déroule bien selon leurs vœux. Dans l’immédiat, ils ont appelé les foules à se masser en plus grand nombre encore devant le quartier général des Forces armées soudanaises (SAF) où avait lieu, jeudi matin, la réunion au sommet destinée à fixer les règles de l’après-Bachir.

Depuis qu’un mot d’ordre de la SPA, relayée par une structure plus large, la Déclaration pour la liberté et le changement, incluant notamment la coalition Nida Al-Sudan, dans laquelle figurent le parti Umma et plusieurs groupes armés (dont le JEM et le SPLA-Nord), avait appelé à une manifestation de masse, samedi 6 avril, la situation a commencé à basculer. Il y a encore quelques semaines, les manifestants étaient contraints à une forme d’intifada, pourchassés dans leurs quartiers par des agents de la sécurité (la plupart membres des forces spéciales du NISS, les services de renseignement, de milices diverses ou de la réserve de la police).

Leur mouvement, initié le 19 décembre, était en réalité maintenu dans un état de résistance désespérée en raison de l’extrême brutalité de la répression. Mais ils tenaient bon, héroïques ou désespérés. La contestation, par ailleurs, avait eu le temps d’apprendre de ses échecs lors des phases similaires des dernières années, après la sécession du Sud en 2011. En 2013, un mouvement similaire avait été littéralement fauché à la mitrailleuse 14.5 : près de 200 morts en cinq jours.

Pour sortir de cette impasse et mener leur mouvement tout en restant non-violents, les responsables de la SPA avaient imaginé plusieurs solutions dans les dernières semaines. L’une d’entre elles consistait à bloquer tous les accès d’Omdourman et de lancer une forme d’insurrection sans armes dans cette partie de la ville. La capitale est en effet partagée en trois agglomérations : Khartoum, Omdourman, et Bahri (Khartoum-nord). C’est une autre solution qui sera retenue : le 6 avril, jour anniversaire de la chute du régime du général Nimeiri en 1985 – entamée par des manifestations géantes de la population et achevée par une intervention de l’armée –, appeler les manifestants à converger vers le quartier général des SAF pour une fraternisation avec ce corps, marginalisé par le pouvoir d’Omar Al-Bachir, qui tenait à éviter, justement, la possibilité d’un coup d’Etat.

Eviter un bain de sang

C’est pourtant ce qui, techniquement, s’est produit à Khartoum jeudi matin. Après que des véhicules militaires se sont déployés dans la capitale, notamment devant le nouveau palais présidentiel situé devant le Nil, tout près du quartier général des SAF où a eu lieu l’ultime réunion visant à définir les bases du pouvoir après la chute d’Omar Al-Bachir, un haut comité des forces armées semble avoir pris le pouvoir au Soudan.

Les discussions préalables des jours précédents en vue de sa composition incluaient aussi une forme de pacte : les militaires ne devaient se saisir du pouvoir qu’à la condition d’écarter les proches du président Al-Bachir et d’engager une purge de fond du système au pouvoir qui ne soit pas accompagnée de dérapages. Il s’agit de mettre en place une transition en douceur, afin d’éviter un bain de sang si les services de sécurité tentaient de briser le mouvement par la force, avec le risque – soupesé les jours derniers – de voir démarrer une forme de guerre civile si les forces s’affrontaient dans Khartoum. Ceci avec, de surcroît, l’obligation de céder le pouvoir, dès que possible, à une coalition de responsables civils dont la liste précise reste à apparaître au grand jour, dans la mesure où les têtes de la contestation sont, depuis près de quatre mois, soit dans la clandestinité, soit en prison.

La composition de la junte, lorsqu’elle sera finalisée, sera-t-elle de nature à répondre à ces exigences et à satisfaire le mouvement de contestation, qui souhaite un grand nettoyage à la tête de l’Etat afin d’en finir avec les pratiques de corruption qui ont contribué à précipiter le Soudan dans une crise économique grave ? Dans un premier temps, alors que des foules convergeaient vers le centre de Khartoum pour célébrer la chute d’Omar Al-Bachir, l’ambiance était au soulagement. « Je n’ai plus peur et je suis fier du Soudan aujourd’hui », confiait au téléphone Ali Seory, un professeur de l’université qui a pris une part importante dans l’organisation de la contestation.

Jean-Philippe Rémy (Johannesburg, correspondant régional)

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Au Soudan, les femmes à la pointe de la révolte : « On ne veut pas juste changer ce dictateur, on veut changer le monde »

Majoritaires dans les manifestations, les « kandakas » mènent la contestation et réclament davantage de place dans la société soudanaise.

Assise là au bord du canapé avec le dos bien droit pour ne pas toucher le dossier, les mains à plat sur les jambes, la robe tirée, elle incarne la jeune fille soudanaise bien élevée. Sa mère, du reste, tassée dans un fauteuil non loin, garde un œil vigilant sur la situation et semble satisfaite. Il faut juste capter l’éclair du regard d’Alia pour comprendre ce qui l’anime en réalité. C’est un volcan qui aurait choisi sa manière d’entrer en éruption : calmement, posément, mais avec tout le feu de la Terre.

Elle aurait pu être cette jeune femme que tout le Soudan connaît et admire, prise en photo le 8 avril, en train de haranguer une mer de manifestants depuis le toit d’une voiture, chantant des chansons à la gloire de la « révolution », habillée de façon à rappeler, en effet, les grands mouvements populaires qui ont contribué à jeter à bas deux régimes militaires, en 1964 et 1985, au Soudan.

Depuis, elle incarne celles qu’on appelle les « kandakas » – c’était le titre des reines mères du royaume de Koush, qui a érigé des dizaines de pyramides à trois heures de route au nord de Khartoum, et donné au pays, juste avant l’ère chrétienne, une impératrice qui avait défait les légions romaines d’Auguste.

Lorsqu’elle sort manifester, Alia, rencontrée il y a deux semaines, est habitée par toute cette histoire, mais aussi par la notion que les femmes du Soudan ont encore plus à gagner dans le combat en cours que les hommes. Elles sont d’ailleurs les plus nombreuses dans les manifestations.

Mais aussi à l’université, comme l’a découvert un professeur qui a piraté le système du ministère de l’éducation, et obtenu des statistiques généralement confidentielles. « Au total, il y a 76 % de filles. Elles sont majoritaires presque partout, même en médecine, en architecture, en agriculture. Elles sont plus éduquées que les hommes et leur place est, à l’inverse, plus petite. Il est évident que c’est intolérable ! », s’exclame cet enseignant, vétéran de la révolution de 1985, qui travaille à présent à des prototypes d’étoiles en fer pour crever les pneus des véhicules des forces de sécurité afin de les neutraliser lorsqu’ils poursuivent, par exemple, les jeunes filles.

Alia rit, sourit, mais ce combat est d’une dureté extrême. Dans les manifestations, à Khartoum, on a tué son frère, Babiker Abdelhamid. Il était médecin, avait 27 ans, et tentait de venir en aide à des gens blessés par les forces de sécurité dans le quartier de Burri. Il a été abattu. Les médecins, au Soudan, sont des cibles pour les forces loyales au président Omar Al-Bachir, qui ont commis de graves atrocités dans d’autres parties du pays depuis trente ans.

Ce système est-il en train de craquer ? Jamais, en tout cas, il n’a connu pareilles difficultés. La contestation a commencé au sein des classes moyennes, et s’est étendue à d’autres milieux. Des centaines de milliers de personnes sont descendues depuis le 6 avril dans les rues de Khartoum pour fraterniser avec l’armée.

Ici, à Kafouri, un quartier cossu de Bahri (au nord de Khartoum), le bruit et la fureur des violences dans les rues pourraient demeurer une rumeur lointaine. Mais Alia, comme sa sœur qui la rejoint à présent, a trouvé, dans le mouvement de protestation qui a commencé le 19 décembre 2018, un tremplin pour leur propre révolte : « Avant, c’était dur pour les pauvres, à présent tout le monde est touché. Voilà ce que pense une partie des manifestants, surtout les hommes. Nous, il y a autre chose qui nous anime : on veut être libres. »

« Changer la façon dont nous vivons »

La sœur d’Alia ose le dire, clair et net : « On ne veut pas juste changer ce dictateur, on veut changer le monde, on veut changer la façon dont nous vivons. Nous voulons étudier là où bon nous semble. Moi, j’ai eu de la chance, nos parents sont admirables, ils m’ont laissée partir pour l’université en Malaisie, toute seule. Mais les autres ? Toutes celles qui n’ont le droit à rien ? On veut renverser tout cela ! On voit comment est le monde grâce aux réseaux sociaux. On voit ce qui se passe en Algérie. On voit comment vivent les femmes du monde entier, et on n’est pas différentes. »

Dans les manifestations, dans les rues, dans les cafés, dans les salons, la même onde de choc fait vibrer des fondations de manière encore indistincte. Tout reste à faire, alors les « kandakas » continuent le combat, et sont aux premiers rangs des manifestations.

Alors que menacent les coups, les insultes, la douleur et la peur, les femmes de tous les âges sont là, devant, au plus près des hommes armés qui vont taper tout ce qui leur tombe sous la main, sans jamais les abattre. On repense à ces étudiantes d’une université privée, rencontrées la veille, alors qu’elles partaient manifester. « Cette génération doit réclamer ses droits, et comprendre que ce pouvoir a trahi l’islam qu’il prétendait défendre avec ses règles idiotes », rigolait Soha Karmalla, en ajustant sa casquette de baseball noire assortie à ses vêtements – mais avec des lunettes de piscine dans son sac, en prévision des lacrymogènes.

Sur son canapé, Alia marque une pause, regarde sa montre. Elle ne doit pas être en retard à l’hôpital où elle travaille. Elle est médecin et tous les jours elle pleure. « L’argent que j’emmène pour mon déjeuner, je ne le dépense jamais, parce que je ne peux pas faire autrement que payer pour des choses qui me serrent le cœur : des familles avec un malade qui ne peuvent pas payer des médicaments de base, ou un examen. La misère est effrayante. Aujourd’hui, j’ai dû acheter des pastilles pour l’estomac à un homme qui a un ulcère. On avait un problème, de longue date, mais là on touche le fond. »

Femmes condamnées à être fouettées

Or, un jour, elle a eu l’occasion de faire un stage dans un hôpital des forces de sécurité : « Je n’en croyais pas mes yeux. Là, tout était bien organisé, avec tous les appareils en état de fonctionner, tous les médicaments disponibles. Pendant que la population souffre, ils ont tout ce confort, ce luxe. Ce jour-là, je crois, j’ai tout compris. »

Les révoltes se conjuguent, se bousculent en elle. Celle contre la police de l’ordre public, mise en place après le coup d’Etat militaro-islamiste d’Omar Al-Bachir en juin 1989, qui veille à faire appliquer la « décence » des tenues (pantalons interdits), et fait la chasse aux femmes surprises à bord d’une voiture en compagnie d’un passager n’étant ni leur père, ni leur fils, ni leur mari. Des dizaines de milliers de femmes, chaque année, sont ainsi arrêtées, et condamnées en vertu de l’article 152 du code pénal, à être fouettées, des dizaines de fois, en plus de se voir infliger des amendes.

Alia en est certaine : cela vaut la peine d’aller mourir dans la rue, si c’est pour tenter de bouleverser cet état des choses. « Ici, c’est tellement dur pour les filles. Tant que tu n’es pas mariée, tu es une enfant et ensuite… Tu es encore une enfant. Tu ne peux même pas voyager seule ! Mais nous allons changer le monde. »

Jean-Philippe Rémy (Khartoum, envoyé spécial)

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3) Au Soudan, nouvelle nuit d’immenses manifestations contre Bachir – Fraternisation avec des soldats

Pour la troisième nuit consécutive, le nombre des manifestants qui réclament le départ du président Omar Al-Bachir avait grossi au point de former une marée humaine.

Jusqu’aux petites heures du matin, mardi 9 avril, il a régné une forte inquiétude dans le centre de Khartoum. Depuis samedi, il est devenu évident qu’une partie du sort du Soudan se joue là, sur cette esplanade. Des chants, des slogans politiques et des prières, entonnés en chœur par la foule immense massée devant le quartier général de l’armée soudanaise, célèbrent pour la troisième journée le rapprochement avec les militaires présents dans le complexe, une fraternisation scellée le matin même, renforçant l’impact des appels à la démission du président Omar Al-Bachir.

Grande, cependant, était la crainte de voir se produire une attaque massive des forces qui demeurent loyales au pouvoir. Le nombre des manifestants, pour la troisième nuit, avait grossi au point de former une marée humaine. Mais selon des sources proches de la contestation, une force de 150 véhicules d’éléments armés des services de renseignements et de différentes milices, était prête à attaquer la foule pour la disperser, prenant le risque d’un affrontement avec les forces armées dans le centre de Khartoum, à côté de l’aéroport.

Toute la nuit, les manifestants de #Khartoum ont redouté une attaque d’une force des miliciens et forces des services de renseignement. Cela ne les a pas fait fuir. Au contraire leur nombre a augmenté. Ce nombre et cette ferveurs sont époustouflants. #Soudan

Vers 6 heures, une attaque a bien eu lieu, mais sans commune mesure avec l’offensive générale redoutée. De nouveau, les soldats du quartier général ont protégé les manifestants présents. Il y a eu des blessés. Tout autour de cette zone de contestation, des forces loyalistes, notamment les éléments des services de renseignement, semblent avoir établi des barrages, peut-être dans la perspective d’un nouvel assaut.

La veille, une première attaque similaire avait été à deux doigts de mettre fin au mouvement. La petite foule assoupie sur des matelas avait été réveillée par des tirs de gaz lacrymogène et d’armes automatiques. Le calcul avait été que des violences concentrées sur une partie de la foule déclencheraient un mouvement de panique et mettrait fin à la fraternisation avec les éléments de l’armée. L’opération a échoué lorsque les militaires ont pris la défense des manifestants, ouvrant le feu sur les loyalistes.

Résistance d’éléments de l’armée

Les services de renseignement (le NISS) peuvent compter sur une force d’au moins de 30 000 hommes en armes en plus de ses agents en civil, appuyés par les miliciens de diverses obédiences, notamment ceux du parti au pouvoir, le Parti du congrès national (NCP), ou diverses branches de la mouvance islamiste. En face d’eux, ils ont trouvé une résistance inattendue d’éléments de l’armée, ce qui ne signifie pas que ce corps ait basculé du côté de l’opposition.

Une source diplomatique note que « Bachir est la colle qui tient tout ce monde » et que défaire l’ensemble porte le risque d’une implosion

La hiérarchie de l’institution militaire ne s’est pas désolidarisée du pouvoir du chef de l’Etat. Au contraire, depuis le début de la vague de contestation, elle a resserré ses rangs. Lors du remaniement qui accompagnait la déclaration d’état d’urgence, le 22 février, Omar Al-Bachir a nommé le ministre de la défense, Ahmed Awad Ibn Auf, au poste de premier vice-président. Mais des rivalités divisent le petit cercle des officiers supérieurs. Le nom de l’ex-chef d’état-major, le général Emad Eddin Mostafa Badawi, a circulé comme possible interlocuteur des opposants. Il avait été brusquement remplacé, à son poste, par le général Abdul Maruf, dans un climat de règlements de comptes l’année précédente.

Entre les nombreuses milices, l’Etat dans l’Etat que constitue la force des NISS, les Forces de réaction rapides (RSF) du colonel Hemetti, les anciens janjawids désormais déployés dans Khartoum, sans parler de l’inconnue que constitue l’appui potentiel de la Russie : tout cela forme à la tête de l’Etat un ensemble aussi dangereux que fragilisé. Une source diplomatique note que « Bachir est la colle qui tient tout ce monde » et que défaire l’ensemble porte le risque d’une implosion.

Raison pour laquelle les cerveaux qui dirigent, dans la clandestinité, le mouvement de contestation, avancent prudemment. L’Association des professionnels du Soudan (SPA), à l’origine un syndicat alternatif (les syndicats traditionnels ont tous été phagocytés par le pouvoir), qui regroupe notamment des médecins, des universitaires, des ingénieurs –au fond, la classe moyenne éduquée soudanaise – constitue la véritable dynamo du mouvement.

Coup d’Etat

La SPA est associée à trois grandes coalitions politiques incluant des groupes armés (tenus cependant à bout de gaffe), notamment au sein de la formation Nidaa Al-Sudan, où se trouve le parti Umma de l’ex-premier ministre Sadeq Al-Mahdi. Le tout forme un vaste regroupement un peu hétéroclite, la Déclaration pour la liberté et le changement. Cette structure a décidé, lundi, de nommer un comité chargé de négocier avec les futures autorités militaires dans l’hypothèse où la direction des forces armées changerait. Suleiman Baldo, de l’organisation américaine Enough Project, spécialisée dans la défense des droits de l’homme en Afrique, estime que les nominations au sein de ce conseil se feront progressivement, mais « on s’attend à ce que des changements interviennent dans l’armée très rapidement », note le chercheur et militant.

« C’est notre responsabilité d’éviter un bain de sang », Omar Al-Digeir, le président du Parti soudanais du Congrès

Pour cela, il faudrait qu’intervienne ce qui ressemblerait à s’y méprendre à un coup d’Etat, consistant à remplacer la direction de l’armée, à commencer par Ahmed Awad Ibn Auf, accusé de commanditer les attaques contre les manifestants. Ce dernier a dénoncé lundi les « tentatives de sabotages de l’unité de l’armée nationale ». Alors que les partis traditionnels ont été, en grande partie, laminés par le temps ou les compromissions de leurs dirigeants avec le pouvoir (dans le cadre d’un « dialogue national » qu’Omar Al-Bachir déclare vouloir raviver), un dirigeant politique conserve le soutien des foules.

C’est Omar Al-Digeir, le président du Parti soudanais du Congrès. Il a été détenu pendant soixante-sept jours, puis libéré, mais sans avoir le droit de voyager ni de s’exprimer en public. Nous l’avons rencontré à Khartoum, il y a deux semaines. Il travaillait assidûment à des options de sortie de crise pour le Soudan, et sur l’après-Bachir. « C’est notre responsabilité d’éviter un bain de sang », affirmait-il. Lundi, devant le quartier général de l’armée, il a appelé « les forces armées soudanaises à parler directement avec l’alliance [Déclaration] pour la liberté et le changement afin de former un gouvernement de transition ».

Jean-Philippe Rémy (Johannesburg, correspondant régional)

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2) La police appelle ses forces « à ne pas intervenir » contre les manifestants

Pour le quatrième jour d’affilée, des milliers de Soudanais sont réunis devant le quartier général de l’armée pour réclamer le départ du président Omar Al-Bachir, au pouvoir depuis 1989.

Pour le quatrième jour d’affilée, mardi 9 avril, des milliers de manifestants sont rassemblés à Khartoum, capitale du Soudan, devant le quartier général de l’armée pour réclamer le départ du président Omar Al-Bachir, en fonctions depuis 1989.

Scandant « liberté, liberté », ils appellent l’institution militaire – qui n’a pas participé à la répression des manifestations, contrairement aux forces de sécurité – à soutenir leur mouvement et à discuter d’un « gouvernement de transition » pour remplacer le président Bachir. Jusqu’ici, la hiérarchie de l’armée ne s’est pas désolidarisée du pouvoir du chef de l’Etat. De son côté, la police a appelé, mardi, ses forces « à ne pas intervenir contre les manifestants ».

« Nous demandons à Dieu (…) d’unir le peuple soudanais (…) pour un accord qui soutiendrait un transfert pacifique du pouvoir », a déclaré dans un communiqué le porte-parole de la police. Il a ajouté qu’il avait été « ordonné » aux forces de police de ne « pas intervenir contre les citoyens ou des rassemblements pacifiques ».

Dans la matinée mardi, les forces de sécurité du puissant Service national de renseignement et de sécurité (NISS) et la police antiémeute, qui mènent la répression, ont tiré des gaz lacrymogènes pour tenter de déloger les manifestants. Mais les soldats du quartier général ont protégé les manifestants présents.

Etat d’urgence instauré le 22 février

La veille, lundi, devant le quartier général de l’armée, l’opposant Omar Al-Digeir, président du Parti soudanais du Congrès, a appelé l’armée à « engager un dialogue direct » avec la Déclaration pour la liberté et le changement, une union de partis d’opposition et de professionnels soudanais, « afin de faciliter un processus pacifique débouchant sur la formation d’un gouvernement de transition ».

« Les forces armées soudanaises comprennent les motifs des manifestations et ne sont pas contre les demandes et les aspirations des citoyens, mais elles ne laisseront pas le pays sombrer dans le chaos », a répondu le ministre de la défense, le général Awad Ahmed Benawf, selon l’agence officielle Suna.

Les ambassades à Khartoum des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de la Norvège ont, elles, demandé la mise en place d’« un plan de transition politique crédible », appelant les autorités soudanaises à « répondre [aux] revendications populaires ».

Déclenchées en décembre par la décision du gouvernement de tripler le prix du pain, les manifestations se sont rapidement transformées en contestation contre M. Al-Bachir. Mais le président, qui dirige le pays depuis bientôt trente ans, refuse de démissionner. Après avoir tenté de réprimer la contestation par la force, il a instauré le 22 février l’état d’urgence.

La mobilisation avait alors nettement baissé, jusqu’à la journée de samedi, date marquant l’anniversaire de la révolte du 6 avril 1985 qui avait permis de renverser le régime du président Jaafar Nimeyri. Au moins 38 manifestants ont été tués depuis le début de la contestation, dont sept samedi, selon les autorités. Le principal leader d’opposition, Sadek al-Mahdi, a lui affirmé que 20 personnes ont été tuées depuis samedi par des hommes armés portant des masques s’attaquant chaque matin aux manifestants rassemblés devant le QG de l’armée.

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1) Les manifestants qui réclament la chute d’Omar Al-Bachir ont surmonté la peur

Depuis plus de cent jours, malgré la répression, des dizaines de milliers de manifestants continuent à braver presque chaque jour le régime. Notre envoyé spécial, Jean-Philippe Rémy, a rencontré une jeunesse en quête de liberté.

Il écrase sa cigarette, vérifie encore une fois les messages sur son vieux portable à l’écran craquelé. L’heure approche et Rachid, pharmacien soudanais au chômage, se sent comme un sportif avant une compétition. Il a à peine touché son plat d’assida (porridge) et de foul (fèves) dans un petit restaurant, près de Burri, le quartier emblématique de la contestation du pouvoir à Khartoum. Sur les tables, on lit : « Pour tout paiement, 40 % maximum par carte bancaire, le reste en liquide. » La crise économique est en train d’étouffer le Soudan, l’argent disparaît. C’est cela, en particulier, qui agite tous ceux qui osent, malgré l’état d’urgence et la violence des services de sécurité, descendre dans les rues pour réclamer la chute de l’exécutif, dirigé par Omar Al-Bachir depuis presque trente ans.

Rachid, rencontré deux semaines avant les nouvelles manifestations des 6 et 7 avril, compte ses derniers billets. Vite, tout est sur le point de commencer. Le plan des sites de regroupement pour les manifestations du jour dans la capitale soudanaise vient de tomber sur les téléphones, envoyé par les responsables clandestins de l’Association des professionnels du Soudan (SPA), le mouvement qui règle la contestation depuis qu’ont eu lieu les premières manifestations, le 19 décembre 2018. Mais les membres de la SPA avaient préparé ce mois depuis longtemps, dans le plus grand secret. A présent, l’épreuve du feu est engagée.

Il est 12 h 50. Dans dix minutes tout juste, des garçons et des filles, des femmes, des hommes et des enfants vont se réunir aux quatre coins de la ville et tenter de constituer un cortège pour manifester. Cette ponctualité amuse beaucoup Rachid : « C’est la première fois que les Soudanais arrivent à être à l’heure. » Il n’y a pas d’alternative. Pour échapper à la répression, il a fallu édicter des règles, fixer des protocoles : organiser une multiplicité de points de rendez-vous ; les révéler au dernier moment, pour que se constituent des petits groupes et tenter de les faire fusionner quelque part avant que ne s’abattent sur eux les matraques de la répression. Puis s’échapper et recommencer ailleurs…

Impression de calme trompeuse

Ces derniers temps, les manifestations ont lieu presque chaque jour dans certains quartiers en pointe dans la contestation : Burri, à Khartoum, Shambat ou Wad Mudawi, à Omdourman, et d’autres encore, à Khartoum Nord. Les trois parties de cette ville énorme, étendue sur près de cent kilomètres du nord au sud. Ça et là, la contestation s’y allume comme un feu. L’avant-veille, c’était au marché central. Mais certains coins au fond de la ville sont en éruption presque tous les jours. Il suffit de circuler la nuit pour voir les pneus brûler à l’entrée des ruelles, là où s’arrête la route principale commence une micro-émeute qui cessera une heure plus tard, et reprendra sans doute le lendemain. Dans l’intervalle, Khartoum donne une impression de calme trompeuse.

« Ce pouvoir nous a tout pris, on lui demande de tout nous rendre, mais de commencer par la liberté », dit un professeur d’université

Ce jour-là, cela se passe juste au sud de Burri. Comme à chaque fois, il va y avoir de la casse. On ne pourra pas l’imputer aux manifestants, qui n’ont rien pillé, rien brisé, rien détruit mais aux hommes de la « sécurité ». En uniformes dépareillés ou en civil, treillis ou chemise flottant au vent, ces derniers attendent, assis à l’arrière des pick-up, qu’on les lâche sur les manifestants. Dans leurs mains, ils serrent des tuyaux, des fouets, de longs bâtons, des kalachnikovs. Eux aussi attendent 13 heures, heure à laquelle il va leur falloir écraser, le plus vite possible, les départs de manifestation.

Le reste du temps, ils attendent des journées entières sous les arbres, se soulageant dans des recoins, avant de courir, encore, derrière des manifestants qui ne renoncent jamais. Depuis plus de cent jours, ils ont eu beau frapper comme des sourds, tuer, arrêter, torturer, rien n’y fait.

Quand on interroge les gens de tous les âges qui prennent part aux manifestations, mille choses se bousculent dans les conversations, mais ce n’est pas la peur. Ce professeur d’université qui a vu ses collègues disparaître dans les prisons déclare ainsi :

« Ce pouvoir nous a tout pris, on lui demande de tout nous rendre, mais de commencer par la liberté, et de poursuivre en nous laissant faire la paix entre nous-mêmes. Pourquoi avons-nous toujours été en guerre ? »

C’est ce chauffeur de taxi qui vous regarde et vous dit :

« On avait du pétrole, tout devait aller bien, mais je ne sais pas ce qui s’est passé. Tout va mal. Je ne peux même pas me marier, cela coûte trop cher. Et maintenant, je ne peux même plus acheter à manger. »

C’est encore ce promoteur immobilier, dont tous les chantiers sont arrêtés, et qui avoue « n’avoir réalisé que récemment ce qui s’est passé au Darfour », se désolant « d’avoir cru la propagande [pendant la campagne de répression, qui a fait 300 000 morts, selon les Nations unies, au début des années 2000] » prétendant que les habitants de l’ouest du Soudan étaient « des ennemis, qu’il fallait détruire ».

A Khartoum, désormais, on parle de société, de futurs possibles, de corruption, d’utopies. On parle du Soudan comme d’un grand corps malade, à soigner de toute urgence. Et, sans distinction d’âge ni de sexe, on est prêt à se pencher sur le cas du patient national. « Plus personne ne soutient ce pouvoir, à part les gens de la sécurité, parce qu’ils sont payés, mais cela prendra bientôt fin. Il n’y a plus d’argent dans les caisses », explique cet entrepreneur influent, dans sa vaste demeure de Khartoum, à l’heure nocturne où se faufilent les visiteurs venus esquisser les projets pour le Soudan de demain.

Avant, la présence de ces membres des services de renseignement, le NISS, aurait paralysé tout le monde. Aujourd’hui, ils ont l’air ridicules

Pour sentir le vent qui souffle dans les maisons, les ruelles, les universités fermées, il suffit de s’attabler dans ce qui fut l’un des plus anciens restaurants de Khartoum, le Papa Costa, dans le souk Al-Arabi, à une dizaine de minutes de marche du quartier général des forces armées. Des garçons et des filles fument, conspirent, se murmurent aussi, sans doute, des mots d’amour. Les tablées rient, écrivent fiévreusement des choses, puis tout le monde s’envole. Il ne reste alors que les messieurs à moustache et lunettes fumées, qui n’ont pas touché à leur café, et n’ont sans doute rien saisi des conversations. Avant, la présence de ces membres des services de renseignement, le NISS, aurait paralysé tout le monde. Aujourd’hui, ils ont l’air ridicules, à la traîne, avec leurs mauvais costumes et les cigarettes qu’ils laissent se consumer sans plaisir au bout de leurs doigts.

Brutaliser tout ce qui manifeste

Mais il est 13 heures. Rachid saute dans sa voiture, une vieille Giad blanche, assemblée au Soudan, comme il y en a partout, dans les rues. Cette voiture est un élément crucial des manifestations. C’est un des responsables de l’organisation qui l’avait expliqué :

« Avec le boom pétrolier [des années 2000], les voitures se sont multipliées. Cette ville est grande, la classe moyenne est ruinée mais on ne va pas lui enlever son véhicule. On peut donc décider d’un point de rendez-vous, tout le monde arrive en voiture ou en touk-touk [triporteurs], pour rejoindre les quartiers où se trouvent les manifestants les plus déterminés. »

Comme Rachid, des groupes éparpillés étaient assis dans les cafés, les restaurants, attendant l’heure. A présent, ils sont tous en train de foncer sur les avenues interminables de Khartoum vers le point de rendez-vous. Le pharmacien sans emploi monte le son de l’autoradio et pousse la climatisation. La station joue Highway to Hell, d’AC/DC, un morceau que les brigades des mœurs auraient interdit il n’y a pas si longtemps. La voiture, avec le volume au maximum, tourne dans l’avenue juste à côté d’un Pizza Hut. C’est le point de rendez-vous, mais c’est un peu tard. Ils sont déjà là, les véhicules avec la tête de faucon sur la porte, et ces silhouettes qui descendent des camions et des pick-up avec de quoi brutaliser tout ce qui manifeste.

Sur le macadam, des pick-up avec des plaques rouges zigzaguent. « La sécurité, ils repèrent les points de rassemblement pour guider les autres », explique Rachid, en désignant les forces des services de renseignement, ou les différentes milices affiliées au parti du Congrès national (NCP), au pouvoir, ou d’autres formations liées à une des mouvances islamistes. Ils sont des dizaines de milliers, ne rendent de comptes à personne, et constituent le bras armé de l’Etat. Son pilier principal, aussi.

On change de côté de la rue. Où sont les manifestants ? Deux filles arrivent en marchant d’un pas élastique, côte à côte, et jettent des regards furtifs. Elles sont vêtues de noir, en baskets, longue robe souple pour pouvoir courir. « Elles aussi, elles cherchent. » Un message du téléphone indique le nouveau rendez-vous, ce n’est pas loin. Sur place, il y a encore dans l’air la vibration des manifestations, celle du moment où, tout à coup, tout s’accélère, lorsque des garçons sortis de nulle part tirent un poteau téléphonique abattu pour bloquer leur rue, lorsque les premières pierres volent, que les services de sécurité chargent.

Lorsque des femmes avec leurs grandes lunettes de soleil lancent les premiers youyous, crient les premiers slogans. « Ce n’est pas juste la peur qui s’en est allée, c’est le désir de vivre qui nous est revenu », dit une dame au coin d’une ruelle en plein chaos à Burri, capitale informelle de la contestation, en regardant tendrement des enfants avec des masques de chirurgien crier le slogan de base des manifestations, adressé au chef de l’Etat : « Démission, point final ! »

La charge est furieuse

Mais ici, un peu plus au sud, la manifestation du jour a à peine eu le temps de commencer que s’abattent les nervis du pouvoir. La charge est furieuse, d’une rapidité et d’une efficacité déconcertantes. Des hommes en civil, le visage masqué par un foulard, se mêlent à la foule et tapent avec leurs bâtons. Certains balancent, comme négligemment, des armes automatiques à bout de bras. Une folle course a commencé dans les nuages de gaz lacrymogène. Les voitures sont paralysées sur l’avenue livrée au chaos. L’un des hommes en treillis sort un conducteur de son véhicule et le frappe au visage.

Un groupe d’hommes habillés en camouflage désert arrive en moulinant de grands coups. Ils ne sont plus qu’à quelques mètres, il faut se cacher dans un véhicule, prendre l’air dégagé. Ils ont repéré un groupe de filles qui vient de s’engouffrer dans un restaurant à kebab bourré de clients. Pour les faire sortir, pas besoin de tactiques élaborées. Ils ouvrent les portes vitrées et tirent les lacrymogènes dans la salle, les clients sortent en s’arrachant la peau du visage et en suffoquant, avant d’être frappés sur tout le corps. Hommes, femmes, enfants, tout le monde y passe. D’autres nappes de gaz viennent un peu plus asphyxier passants et manifestants. Il faut s’esquiver avant de finir à l’arrière d’un pick-up, emmené par les hommes sans visage vers leurs centres de détention.

Au début de la vague, en décembre, les manifestations ont grossi à vue d’œil. Une répression brutale s’est alors abattue. Des centaines, puis des milliers d’arrestations ont rempli les prisons et les « ghost houses » des services de renseignement, ces demeures sans nom ni adresse connue où se pratique la torture, parfois jusqu’à la mort. On ne connaît pas avec certitude le nombre de détenus. Un rapport de Physicians for Human Rights, rendu public le 6 avril, estime à « plus de soixante » les décès au cours de cette phase de contestation.

Dans un quartier lointain, au sud de Khartoum, un homme contemple ses deux bras bandés. Lors de son interpellation dans une manifestation, quelques semaines plus tôt, il a subi le traitement que les hommes de la « sécurité » infligent à leurs victimes : les deux mains brisées. Certains à coups de crosse. D’autres à coups de tuyau. On l’a relâché, les poches vidées, couvert de sang, tétanisé de douleur, à l’autre bout de ville. Il ne se souvient plus comment il est rentré chez lui. Dans cette modeste maison, au coin d’un chemin de terre, au milieu de petits immeubles inachevés, la colère gronde, on parle de vengeance. Son père est là, qui crie qu’on fasse tomber une bonne fois pour toutes « ce régime qui mutile nos enfants et nous affame ». Les services de sécurité ne se hasardent plus dans ces quartiers, la nuit. ils pourraient tomber dans une des embuscades qui se multiplient, même si elles ne sont l’objet que de jets de pierre.

Une crise profonde

Ce n’est pas la première fois que le pouvoir soudanais a recours à la brutalité pour écraser la contestation. Omar Al-Bachir est arrivé à la tête du Soudan en 1989, à l’aube du 30 juin. Dans quelques semaines, il y aura trente ans que ce colonel peu connu est apparu comme la figure d’un coup d’Etat opéré par les forces armées qui dissimulait, en réalité, la prise du pouvoir par les membres des cellules du mouvement islamiste. Ensuite, la contestation a débuté assez vite. « Dès 1995, il y a eu des manifestations et une répression implacable », soupire Ibrahim Adam Mudawi, un influent défenseur des droits de l’homme qui a perdu le compte du nombre de fois où il a été emprisonné ces dernières décennies.

« La population de Khartoum a compris que les méthodes du Darfour peuvent s’appliquer contre eux. », Ibrahim Adam Mudawi, défenseur des droits de l’homme

Depuis la sécession du Soudan du Sud, en 2011, le pays s’est enfoncé dans une crise profonde, perdant une grande partie de ses revenus pétroliers qui avaient, les années précédentes, donné lieu à un « boom ». En 2012, puis l’année suivante, des manifestations ont été réprimées avec violence. En 2013, « environ 200 personnes ont été tuées en quelques jours, les gens de la sécurité avaient ordre de tirer en visant les têtes et les poitrines. Un carnage », témoigne Ibrahim Adam Mudawi, qui a aussi travaillé à dénoncer les crimes commis au Darfour. « La population de Khartoum a compris que les méthodes du Darfour peuvent s’appliquer contre eux. Cela a entraîné une énorme prise de conscience », analyse-t-il.

Une autre nuit, une autre demeure, où se discutent les lendemains du Soudan. Voici qu’entre un visiteur. L’homme est un vétéran de la politique soudanaise. On devra taire son nom. Responsable du mouvement islamiste dans les années 1980, il a été un pilier de la préparation du coup d’Etat d’Omar Al-Bachir. Il était chargé, alors, de la mobilisation parmi les étudiants. Entre-temps, il a joué aussi un rôle dans le parti au pouvoir, le NCP, puis s’est éloigné récemment du régime, devenu selon lui « clientéliste et corrompu ». Il n’est pas le seul. Même le mouvement islamiste est divisé.

« Les attentes sont considérables »

Mais quelque chose d’autre est arrivé :

« Avec le recul, je me rends compte que l’idée que nous nous faisions de la société, et ce qui devait être mis en place, à commencer par l’application stricte de la charia, était une erreur. Notre pays aspire à vivre en harmonie. Il nous faut penser d’abord aux conditions de cette harmonie avant d’imposer des règles religieuses. »

Est-ce une ultime pirouette d’habitué de la dissimulation et de la clandestinité, pour gagner son auditoire ? L’ancien responsable de la branche soudanaise des Frères musulmans travaille à présent à rassembler toutes les forces antipouvoir, dans une large coalition. « Il y a même des communistes ! Et on se parle, c’est fou. Mais le temps est venu. Le pouvoir n’a jamais été aussi faible, croyez-moi, je le connais de l’intérieur. »

La résistance s’étend et s’organise. Des comités ont été créés pour tabler sur différents aspects de la contestation. Par exemple, ce monsieur d’un certain âge, qui dirige une cellule chargée d’inventer des dispositifs pour bloquer les pick-up. Dans un atelier, à l’écart, on forge des pièces de métal, on essaye des combinaisons d’huile, de peinture, d’autres choses encore. Dans une autre maison, toujours à l’abri des regards, un ingénieur est en train de travailler sur un plan pour une transition de quatre ans. « Il faut avant toute chose un plan de relance de l’économie. Les attentes de la population seront considérables, il faut tout de suite améliorer les conditions de vie. »

Sur l’écran de son ordinateur défilent des diagrammes, des plans élaborés. Ils seront discutés, dans le secret de bureaux ou de salons, parmi les responsables de la contestation. Sa fille surgit dans le salon, il ne baisse pas le ton. « Elle part à une manifestation, ils vont sauver le Soudan, ces jeunes. »

Jean-Philippe Rémy (Khartoum, envoyé spécial)

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Soudan : « La révolution a atteint un stade décisif avec le cortège du 6 avril »

Communiqué de presse

Les masses du peuple soudanais continuent de donner des leçons lumineuses de lutte et de sacrifice, ainsi que d’invention et de diversification des méthodes de résistance pacifique depuis le déclenchement de sa glorieuse révolution en décembre 2018, face à laquelle les recours à la répression et les violations se sont avérés vains, de même que la déclaration de l’état d’urgence n’a pas réussi à semer la terreur des masses des rebelles soudanaises et soudanais.

Tous les secteurs du peuple soudanais sont sortis en affichant leur détermination à mettre un terme à la comédie qui dure depuis plus de 30 ans. Les femmes et les hommes sont sortis avec une détermination et une audace que les générations futures n’oublieront pas. Jeunes et anciens sont sortis ensemble de manière inédite. Des marges et du centre, tous sont mus par la ferme résolution de fermer la page de la discrimination et de l’exclusion. Salutations à ceux qui ont sacrifié leur vie pour la nation. Salutations aux blessés et aux détenus qui seront libérés dans les moments à venir par la volonté du peuple révolutionnaire.

La révolution soudanaise a atteint un stade décisif avec le cortège du 6 avril qui a vu un rassemblement, inédit de par sa taille, des masses du peuple soudanais. Les masses ont décidé de tenir un sit-in devant le quartier général des forces armées du peuple jusqu’à la chute du régime et ont manifesté une résistance merveilleuse et inébranlable face à un régime brutal accroché à son pouvoir, passant outre les crânes brisés et les mers de sang versé. Nos gens ont donné ce qu’ils avaient de meilleur, solidarité, compassion, courage et diversité inédite. Sans avoir eu besoin d’eau ou de vivres, personnes et entreprises ont été la meilleure aide et le meilleur soutien, et le génie de notre peuple est toujours capable d’inventer plus jusqu’au changement complet que nous voulons.

En votre nom à tous, nous saluons tous les honorables officiers, sous-officiers et soldats des forces armées qui ont protégé les révolutionnaires et leur droit d’exprimer pacifiquement leurs opinions.

Nous, Forces de la Déclaration de la Liberté et du Changement, en ce moment clivant de l’histoire de notre pays et en réponse aux revendications de notre grand peuple, nous déclarons ce qui suit :

Premièrement : la confirmation de la revendication notre peuple du retrait immédiat du chef du régime et de son gouvernement sans condition ni préalable.

Deuxièmement : La formation d’un conseil des Forces de la Déclaration de la Liberté et du Changement et des forces de la révolution qui soutiennent la Déclaration, qui assumera les fonctions de liaison politique avec les forces régulières et les acteurs locaux et internationaux afin de mener à bien le processus de transition politique et la passation du pouvoir à un gouvernement civil et démocratique de transition agréé par le peuple et qui soit l’expression des forces de la révolution.

Troisièmement : Appeler les forces armées à soutenir le choix du peuple soudanais pour le changement et la transition vers un gouvernement civil et démocratique, le retrait du régime actuel qui a perdu toute légitimité et bloquer ses tentatives désespérées d’entraîner le pays dans la violence ou de contourner les exigences de la révolution pour se maintenir. Cela passera par une communication directe entre les forces de la Déclaration de la Liberté et du Changement et les dirigeants des forces armées afin de faciliter le transfert pacifique du pouvoir au gouvernement de transition.

Quatrièmement : Appeler la communauté régionale et internationale à soutenir les revendications de la révolution du peuple soudanais, affirmer notre volonté sérieuse d’instaurer des relations équilibrées fondées sur le respect du bon voisinage et sur la coopération mutuelle pour les intérêts des peuples, la paix, la stabilité et la prospérité des peuples.

Nous, Forces de la Déclaration de la Liberté et du Changement, nous allons marcher main dans la main notre peuple pour parachever le processus de changement : l’aube de la délivrance point grâce à la résistance et la bravoure des femmes et hommes révolutionnaires. Bientôt notre peuple récoltera les fruits qu’il a semés par sa patience et de son combat dans une patrie où toutes ses filles et ses fils connaîtront la paix, la justice, la liberté, le développement et la citoyenneté, sans aucune discrimination.

8 avril 2019

Déclaration des Forces de la Liberté et du Changement P.-S.

• Source : www.sudanile.com/index.php/&... ;)


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