L’échec des présidentielles n’est pas une question de calendrier, mais de fond : On est stupéfait des explications de la candidate qui affirme n’avoir pas été d’accord avec le « projet socialiste » et notamment sur la question du Smic et des salaires !

vendredi 22 juin 2007.
 

Est-ce parce que Ségolène Royal a été désignée trop tard et est-ce parce qu’elle n’a pas maîtrisé le « projet socialiste » si nous avons perdu le 6 mai ? On entend ce double argument, qui évite d’aller au fond politique des choses : on aurait perdu à cause d’une erreur de « timing ».

Sarkozy s’est préparé pendant quatre ans pour gagner, pas la candidate de la gauche, nous dit-on. Il aurait fallu et il faut faire pareil à l’avenir.

Mais ce n’est pas vrai, cela n’a aucun sens : toute la gauche aussi s’était préparée pendant quatre ans, depuis les grands mouvements de 2003 en défense des retraites, depuis le raz-de-marée électorale à gauche des 28 mars et 13 juin 2004, depuis le « Non » du 29 mai ( 55 % des Français, dont 75 % à gauche et 59 % des électeurs socialistes), depuis les grandes mobilisations victorieuses anti-Cpe de 2006... En 2004 quand on soutenait le rejet de la loi Fillon contre les retraites, on a gagné 20 régions sur 22 avec 7 % de mobilisation électorale en plus ! Quand on défendait l’Europe des 35 h et du Smic européen, le parti socialiste a obtenu 31 % des voix, 31 % ! Jamais autant de mouvements en profondeur n’étaient aussi capables de nourrir, de préparer la victoire de la gauche, encore aurait il fallu s’en inspirer, s’en réclamer, les défendre dans la campagne électorale ! On avait, nous, à gauche, quatre ans de préparation, la meilleure qui soit !

Si Ségolène a été désignée le 16 novembre, ce n’était pas trop tard !

Sarkozy aussi, a été, formellement, désigné après elle, en novembre 2007.

François Mitterrand le fut aussi en novembre 1980 et il gagna en mai 81.

Il ne fallait pas, au contraire, désigner la candidate trop tôt et il fallait d’abord, bien sûr, donner la priorité au “projet”, aux idées, les ancrer, les faire passer ! On n’est pas l’Ump : un parti godillot autour d’un candidat. Les idées d’abord !

A condition qu’elles soient fortes et vraiment à gauche, c’était ça le problème !

Et puis quand elle fut élue en interne, après un beau processus de débat, valorisant, il n’était pas trop tard, Ségolène Royal était donnée à 54 %. Ce fut même l’argument principal de sa victoire auprès des militants : elle était la mieux placée !

Par contre, coté « timing » en effet, deux mois décisifs furent perdus, en décembre et janvier, qui ont permis à Sarkozy d’être offensif et de s’installer, conquérant un avantage qu’il n’a jamais reperdu : en guise de « démocratie participative », il aurait mieux valu écouter les grandes démonstrations participatives des luttes sociales de 2003 à 2006 et des élections de 2004 à 2005 ! Comme message participatif il n’y avait pas plus fort ! C’était ridicule et faux que de ne pas entendre cela, et de faire mine de croire que d’autres mini-réunions ou les mels d’internet pouvaient en dire plus ! Le timing était bon, la France basculait à gauche depuis quatre ans, il fallait enfourcher la vague, pas faire semblant de l’ignorer, d’en discerner une autre... en perdant deux mois de campagne décisifs.

Est-ce parce que Ségolène Royal n’a pas maîtrisé le projet socialiste » s’il y a eu des « couacs » du type les 1500 euros de Smic ? c’est encore totalement faux ! car Ségolène Royal était dans les instances du parti pendant toute la période ou ce projet s’est discuté ! Elle y était partie prenante et il ne tenait qu’à elle de s’y préparer, de s’en mêler collectivement. Le « timing » de ce projet élaboré de décembre 2005 au 1er juillet 2006 et dépendant lui-même de la fameuse synthèse du Mans, le lui permettait aisément !

D’ailleurs, le 6 juin lorsqu’il y eut la fameuse séance du Bureau national élargi qui a duré dix heures pour adopter le « projet socialiste (ratifié le 1er juillet), Ségolène Royal était présente 6 h sur 10 h et elle n’a pas pris la parole une seule fois. Elle est partie au bout de six heures, parlant à la presse, sans travailler collectivement jusqu’au bout, sans amender, sans objecter. Ses partisans ont même lutté pour y introduire « l’encadrement militaire pour les jeunes délinquants » et y ont partiellement réussi (« des chantiers de jeunes encadrés ») ; pourquoi n’a t elle pas davantage participé, enrichi, ne s’est elle pas emparé de ce texte ? Ce n’est pas parce qu’elle n’a pas pu, c’est parce qu’elle n’a pas voulu, c’est parce qu’elle avait une distanciation préalable d’avec le parti, qui s’est hélas, confirmée pendant toute la campagne.

Elle a mené campagne à part, n’a jamais réuni l’équipe du parti qu’elle avait désignée, (elle avait choisi Besson et Kouchner...) n’a jamais fait appel a eux pour les meetings, ni pour les télévisions, c’est sa campagne. C’est un peu cavalier, de mettre en cause aujourd’hui, ceux qui ont fait des argumentaires qui, hélas, hélas, n’ont pas été entendus...

On est stupéfait des explications de la candidate qui affirme n’avoir pas été d’accord avec le « projet socialiste » et notamment sur la question du Smic et des salaires.

La hausse des salaires, ce n’était pas seulement la question des 1500 euros pour le Smic : en effet, en brut c’était peu, nous l’avions dit, et en net, cela pouvait paraître trop à certains si c’était séparé d’une hausse salariale d’ensemble. Mais c’était facile à expliquer nous l’avions proposé, il fallait écouter : une conférence salariale en juin pour tous les salaires, 100 euros le 1er juillet 2007 pour le Smic. Et expliquer que 160 milliards d’euros étaient passés des salaires aux profits dans les 20 dernières années, c’était possible, réaliste, cela méritait d’être renversé progressivement.

Car le problème n’est pas le « coût du travail » mais « le coût du capital », c’est le coût du capital qui est trop cher, pas le coût du travail ! Ce sont les salariés qui créent les richesses et ils n’en reçoivent pas la part qu’ils méritent. Il faut redistribuer les richesses par les salaires et cela ne nuira en rien à la compétitivité de notre économie, au contraire cela la relancera !

Si la candidate se dit avoir été contrainte sur cette question, c’est bien surprenant, car elle pouvait imaginer, compléter le projet socialiste, elle ne s’en est, hélas, pas privée, sur d’autres questions, c’est trop facile de lui faire porte le chapeau comme si elle n’avait pas été libre ! D’ailleurs elle ne s’est pas privée de « liberté » sur les « camps avec encadrement militaire pour les jeunes » et elle l’a repris en dépit que ce ne fut pas dans ledit « projet », pareillement pour la carte scolaire, pareillement lorsqu’elle dit qu’elle ne veut pas abroger la loi Fillon, ou « les lois de la droite par plaisir », ou bien encore avec le « Contrat première chance » qu’elle a inventé sans qu’il soit non plus dans le projet...

C’est trop facile de faire porter ainsi le chapeau au « projet socialiste » quand elle veut et sur un point essentiel : car elle a perdu littéralement face à Sarkozy sur la question des salaires, du « travailler plus » (alors que c’était tellement facile de le moucher, que le projet était précis sur les heures supplémentaires... ). Ce n’est pas le parti qui a freiné la défaite de Ségolène Royal, c’est plutôt l’inverse, c’est quelle n’ait pas voulu écouter le parti... sur les impôts, sur le code du travail, sur les 35 h, sur les retraites,...

Sarkozy, lui, il s’est appuyé sur son parti, façonné, préparé, organisé autour de son projet. La « démocratie participative » ce n’est pas la non-participation à un parti pour le contourner et de façon spontanéiste picorer de ci de là à des entourages de hasard, hétérodoxes, hétérogènes. Il faut travailler collectif, pas solitaire, il faut écouter, intégrer, arbitrer, entre les divers points de vue et sensibilités, car il y a des parts de vérité à déchiffrer, à synthétiser, à fortifier.

Tout cela peut recommencer même en désignant un candidat en 2010 pour 2012 et même en faisant que ce candidat maîtrise l’élaboration du projet. L’inconvénient majeur devient même qu’on va ainsi désigner un candidat sans projet. C’est s’adapter au plus mauvais de la V° République : d’abord la personnalisation présidentielle, après le fond politique !

Voter sur une tête avant que le parti ait un projet, ce n’est sûrement pas plus démocratique, ni plus efficace. Car ensuite, si le candidat impose ses desiderata contre l’avis majoritaire du parti, où ira t on ? On retrouvera le même problème à l’envers, plus dangereux, plus décalé, plus susceptible de faire perdre !

Non, tout cela n’est pas une question de timing, de calendrier, mais de fond : le contenu de la campagne n’était pas assez à gauche face à une droite décomplexée !

Enfin ne parlons pas de 2012 aujourd’hui : cela veut dire aux pauvres gens désespérés qui souffrent et vont souffrir de la politique de Sarkzoy qu’il faut « attendre 2012 ». Il n’y a pas pire message politicien.

Qu’en sait-on ? Il peut se passer quantité de choses d’ici là ! On en a connu qui, en 1966 avait fondé un mouvement appelé « objectif 72 ».

En termes de timing, on doit d’abord lutter pied à pied, sujet par sujet, année après année, en tenant compte des mouvements sociaux et de des échéances électorales intermédiaires.

C’est s’empoisonner la vie que de prétendre désigner une candidature pour 2012, c’est livrer la personne en question aux aléas de tout ce qui se passera, aux carcans, aux usures, aux erreurs, c’est subordonner non seulement tout le calendrier électoral à la présidentielle, mais toute la vie politique à une personne, au détriment de l’action démocratique collective, participative.

Ayons plutôt un programme vraiment à gauche, et soucieux d’unir la gauche, pas de dériver vers le prétendu “centre”.

Gérard Filoche, jeudi 21 juin 2007


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