Pédophilie dans l’Eglise : « La conséquence de l’inadéquation de la forme actuelle du catholicisme avec nos sociétés »

lundi 25 mars 2019.
 

Dans un entretien à l’occasion du procès Barbarin à Lyon, Christine Pedotti, directrice de la revue « Témoignage chrétien », juge nécessaire une profonde réforme de l’Eglise catholique.

Cécile Chambraud – A l’heure du procès du cardinal Philippe Barbarin à Lyon pour « non-dénonciation d’agressions sexuelles sur mineurs », vous estimez que l’éradication de la pédophilie passe par la réforme complète de l’Eglise catholique. Pourquoi ?

Christine Pedotti – Je ne suis pas la seule à le penser, c’est aussi le constat du pape François quand il dénonce le cléricalisme. Le cléricalisme, c’est ce système centralisé et fermé sur lui-même dans lequel tout le pouvoir de décision et de contrôle a été confié aux prêtres et aux évêques. C’est un entre-soi. Dans son histoire, face aux crises, le catholicisme a toujours choisi de rendre le clergé plus performant, plus « pur ». Il y avait des raisons légitimes à la réforme grégorienne.

Mais proroger jusqu’à aujourd’hui un système qui centralise dans les mains de quelques-uns tous les pouvoirs nous a conduits au drame de la pédophilie, où on constate l’absence de moyen de contrôle et de régulation.

Le prêtre a été de plus en plus mis à part. Dans les premiers siècles, les pères de l’Eglise disaient que le chrétien est un autre Christ. Dans la vision actuelle, seul le prêtre est un autre Christ. Le glissement a été progressif sur un millénaire, mais il s’est accéléré au cours des deux derniers siècles et particulièrement depuis vingt ans.

Confrontés à un problème de recrutement, Jean Paul II et Benoît XVI ont choisi de resacraliser la personne du prêtre. Il y a eu une recléricalisation du catholicisme. Les prêtres qui avaient vécu le concile Vatican II (1962-1965) considéraient qu’ils étaient dans une forme de cogestion avec les baptisés. Les prêtres suivants se considèrent davantage à part.

Comment le discours de l’Eglise sur la sexualité a-t-il contribué à la crise ?

L’Eglise a construit un système de quasi totale prohibition. Pour elle, l’exercice de la sexualité doit être limité à l’étreinte conjugale dans le cadre d’un unique mariage sans moyen de contraception autre que le choix des périodes non fécondes. Ça ne fait pas large !

Par ailleurs, on ne trouve pas dans les textes de principe de gradualité. Une masturbation, un viol : ce sont toujours des atteintes à la chasteté. C’est dans cette rubrique qu’on trouve l’article sur le viol dans le Catéchisme de l’Eglise catholique [1992], et il y est écrit que la première chose qui est lésée, c’est la charité et la justice. C’est sidérant !

Quand on additionne prohibition et absence de gradualité, on devient incapable de faire la différence entre des atteintes à une discipline de « pureté » (un prêtre qui se masturbe, par exemple) et des violences contre des personnes, en l’occurrence des enfants. Ce ne sont pas les personnes qui sont premières, mais les principes.

Ma première colère vient du nombre de prêtres et d’évêques qui disent : « On ne savait pas. » Comment des gens que je connais bien et que j’estime peuvent tout d’un coup dire : « Nous ne nous rendions pas compte à quel point c’était grave pour les enfants » ? Ce système les déshumanise, assèche leur intelligence.

Vous estimez l’Eglise menacée dans son existence. Quelles réformes proposez-vous ?

La crise de la pédophilie n’est pas un épiphénomène dont on ne parlera plus dans cinq ou sept ans, quand on aura rendu effective la tolérance zéro. C’est la conséquence d’une crise ancienne, qui est l’inadéquation de la forme actuelle du catholicisme avec nos sociétés.

Celles-ci font de grands progrès en termes de régulation des pouvoirs et de protection des droits des personnes. Ce système-là n’est pas en œuvre dans l’Eglise. Celle-ci a raté une marche dans le chemin de la modernité, celui de l’émancipation. Si on ne fait pas les réformes nécessaires, le système ecclésial deviendra totalement muséographique.

L’article 26 du Directoire pour le ministère et la vie des prêtres, établi par le Vatican, critique « la tentation de l’égalitarisme et du démocratisme » ! L’Eglise considère au fond que son modèle d’organisation est en contradiction avec celui de nos sociétés, et elle dit : « Chez nous, pas de démocratie, pas de parité, pas d’égalité des droits. On n’a pas besoin de système de régulation des pouvoirs, car notre pouvoir est un service que nous rendons au nom de Dieu. »

Il y a une tension entre une conception de l’Eglise considérée comme une société parfaite, et une conception de l’Eglise comme peuple de Dieu. Persister dans la théologie ancienne de la société parfaite, où les plus parfaits des parfaits sont les prêtres, les évêques, entre en conflit avec des sociétés plus horizontales. L’Eglise ne tiendra pas longtemps si elle ne prend pas en charge la question de la démocratie et le droit des femmes.

Propos recueillis par Cécile Chambraud (Service société du « Monde »)


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