De l’affaire Clearstream à une refondation républicaine de la France ( par Jean Luc Mélenchon)

lundi 8 mai 2006.
 

L’affaire Clearsteam peut-elle produire davantage de dégâts sur le système institutionnel que l’enchaînement des déroutes politiques du pouvoir chiraquien depuis 2002 ? Un président qui n’a pas dissout l’assemblée après trois lourdes défaites électorales et qui n’est pas parti après un référendum perdu peut-il être plus atteint par un imbroglio barbouzard ? Il est bien possible que oui. Car, cette fois ci, il entre dans la dynamique de situation un condiment spécial : un règlement de compte entre factions du parti majoritaire. Ce n’est pas rien. Ce parti, sous tous ses avatars de l’UNR à l’UMP, colle à l’Etat comme une deuxième peau depuis le début de la Vème République. Les années du pouvoir de gauche n’ont pas rompu cette osmose. Tout au contraire on peut même penser que la maladie originelle du pouvoir personnel et de l’autoritarisme technocratique a sévèrement contaminé tous ceux qui y ont touché. Reste que le cas d’école est fascinant. C’est une vérification de plus, pour les amateurs de théories politiques, de l’autonomie de la sphère politique dans le fonctionnement général d’une société. Mais au concret il y a avis de très grande secousse. L’Etat d’urgence politique dans lequel est le pays depuis le 21 Avril entre en phase aigue.

Les batiments officiels semblent éternels mais le temps s’en fiche. Naturellement c’est le rôle de l’opposition de gauche de prendre ses distances avec l’incroyable comédie empoisonnée que mettent en scène les gouvernants. Elle fait. Même au PS. Les déclarations vigoureuses des uns et des autres sonnent plus juste que les silences protecteurs du lendemain du référendum ou les subtils distinguos entre crise sociale et crise politique auxquels s’épuisaient les dirigeants socialistes pendant la crise du CPE. On peut pourtant craindre une agonie prolongée. Car les puissants au pouvoir ne savent que faire. Ils n’ont aucune force sur laquelle s’appuyer. L’énergie de la peur ou de la haine de classe, ces grands classiques des « sursauts » de la droite politique sont éparpillés entre trop de trompettes différentes et concurrentes. Cet état d’impuissance stupéfaite est un grand classique des crises de régime. Ce ne sera donc pas seulement la mise à mort politique d’une équipe politique incroyable de sottise. La plupart des commentateurs s’accordent pour dire que nous vivons les dernières longueurs de la Vème République. Reprendre cette idée à son compte n’est donc plus une exagération gauchiste. Cela seul signale un moment politique singulier.

Quand s’ouvre une crise de régime comme celle qui déroule actuellement ses anneaux, ce qui se trouve mis en cause est toujours plus profond et fondamental que ce que mettent à l’ordre du jour la plupart des secousses sociales même les plus rudes. Confronté à une crise politique de cette sorte chacun est conduit à s’interroger sur les règles du jeu, les principes qui les gouvernent et ainsi de suite. La dynamique et les enchaînements de réponses dans cet ordre de questionnement ont une très grande amplitude. Elles débouchent inévitablement sur de profondes confrontations de principes. Sur de rudes chocs de vision du monde. C’est pourquoi je ne parle plus pour ma part de VI ème République quoique j’ai commencé à en soutenir la nécessité depuis 1992 et le texte intitulé « La VIème République pour le changement social » présenté au vote des socialistes. Pour mémoire, ce texte avait recueilli 8, 72 % des voix... A l’époque les importants socialistes du moment pensaient que ce n’était pas du tout une question essentielle « pour le Projet » qui était (déjà !) en cours de rédaction. Pour eux il était plus urgent de faire l’aggiornamento de la doctrine socialiste pour pouvoir déclarer le marché « horizon indépassable ». Passons....Je ne parle plus de VIème République, non parce que je croirais plus qu’il faille en changer. Mais parce que cette fois ci la situation me semble avoir dépassé le point où le seul mécano institutionnel serait en jeu. Il ne s’agit plus seulement de « moderniser » les institutions en ouvrant les portes et les fenêtres de la vieille cathédrale gaulliste. Pour moi il s’agit d’une action plus large. C’est une véritable refondation républicaine de la France qui est mise à l’ordre du jour par le contexte. Le mot refondation est réfléchi. Voyons. Certes, les condiments qui ont sapé à mort la vieille chose constitutionnelle sont certes de nature très diverses. Mais pour finir, ils peuvent être ramenées à la question de savoir sur quelle valeurs de référence se fonde aux yeux du grand nombre la légitimité de l’action publique en France. Ce n’est pas anormal de s’interroger sur ce sujet. La France est ontologiquement Républicaine et « étatique ». Le Nouvel Age du capitalisme et le modèle néo libéral de gouvernement y sont point par point réfractaires. On doit donc remercier Nicolas Sarkozy d’avoir eu l’honnêteté de dire qu’il mettait le thème de la « rupture » à l’ordre du jour. Son projet libéral sécuritaire est en effet l’antithèse de cette identité. Mais les français doivent dire eux-mêmes à présent ce qu’ils veulent. Il ne s’agit pas d’un programme pour une législature. Il s’agit de choisir une forme de société. Cette prise de position du peuple lui-même est le point de passage nécessaire pour que l’action politique gouvernementale puisse se placer à la hauteur enjeux. Je comprends ce que dit Sarkozy car nous aussi, la gauche, pour appliquer un vrai programme de gauche, nous devrons rompre avec les consensus du type de celui qui uni la social démocratie européenne aux libéraux. Nous devrons affronter les corporatismes de l’argent et des fonds de pension, récupérer plusieurs grand leviers de l’action publique aujourd’hui privatisés. C’est un rude choc que nous avons devant nous. Le choc inverse de celui que prévoit la droite. Il faut y être appelé par la démocratie. Le choix non fait de 2002, le débat enfoui doit avoir lieu si l’on veut pouvoir gouverner a la hauteur de ce qui est nécessaire. C’est l’avantage de la démocratie républicaine de rendre possible ces respirations de l’histoire par un débat et des confrontations profondes de point de vue. La refondation républicaine de la France après cette phase de décomposition est une bonne chose et non un sujet d’inquiétude. Le pire pour le pays serait de ne rien faire, de se contenter de voir des équipes se succéder pour occuper la scène pendant que la fameuse « seule politique possible » s’appliquerait depuis la coulisse. En ce sens, en pourrissant la situation, les UMP nous servent sur un plateau le chambardement institutionnel que nos timides responsables n’osaient même pas envisager.


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