Urbanisme Qu’est-ce que serait une ville féministe ?

mercredi 20 mars 2019.
 

La construction de la Ville, l’urbanisme, l’aménagement urbain sont souvent considérés comme des questions techniques, et donc neutres. Il peut ainsi apparaître saugrenu de s’interroger sur ce que serait une ville féministe. Pourtant, l’histoire humaine de la construction progressive des villes a été marquée par les cultures des sociétés qui les ont établies. Ainsi, les aménagements au cœur des villes, les bâtiments construits, la conception des circulations et des modes de transports, génèrent des trajectoires, des rencontres, des parcours, entre humains. En ce sens, la Ville – aussi bien l’espace public que les bâtiments qui la constituent – est une production humaine et culturelle qui mérite donc d’être interrogée au regard de la place qu’y ont les femmes, et de la prise en compte de leur réalité de vie.

D’après la sociologue Sylvette Denèfle, qui a étudié cette question, « non seulement la ville ne se montre pas facile à investir mais encore elle demande aux femmes beaucoup de courage et d’efforts pour gagner le droit de son usage ». Pourtant, les femmes constituent 80 % des travailleurs pauvres, 70 % des usagers des transports en commun, 90 % des personnes qui subissent des violences sexuelles dans l’espace public, 85 % des chefs de famille monoparentale, 70 % des personnes qui font les courses, 70 à 80 % des personnes âgées. On pourrait donc penser que les villes seraient conçues pour tenir compte de cette réalité. Et pourtant, les conceptions urbaines restent marquées par des décennies de relégation de la femme dans l’espace domestique et de l’appropriation de l’espace public et donc de la ville par les hommes.

1/ services publics pour émanciper les femmes des prises en charge familiales

Pour commencer, une ville féministe proposerait un service public unique d’accueil de la petite enfance et un service public pour le 3e et le 4e âge, dans l’idéal pris en charge par la sécurité sociale, ou au moins largement accompagné par les autorités publiques. En effet, la réalité est que ce sont majoritairement les femmes qui s’occupent de leurs enfants ou de leurs parents dépendants. Ce travail domestique invisible dans les villes actuelles parce que cantonné à l’espace privé limite bien souvent beaucoup de femmes dans leurs choix de vie, notamment professionnelle. Répondre à cette contrainte serait donc un acte fort dans l’attention portée aux femmes dans nos villes.

2/ Des équipements polyvalents et non genrés

Ensuite, une ville féministe veillerait au partage des usages de l’espace public et des équipements construits. Des études ont été réalisées, notamment l’une portée par l’ancien conseil régional d’Aquitaine, qui a montré que la présence masculine était confortée dans les villes par la construction d’équipements à symbolique masculine et à forte fréquentation des garçons et des hommes. C’est notamment le cas pour les équipements sportifs. Sont davantage construits par exemple des skate-parks, des terrains de boules ou des terrains de football, majoritairement fréquentés par les jeunes garçons ou les hommes, que des salles multisports comme des gymnases qui peuvent accueillir différentes pratiques sportives moins genrées. Or ce faisant, d’après Édith Maruéjouls - géographe, féministe scientifique, spécialisée sur les questions de mixité, égalité et genre - s’installe une inégale valeur (équipement masculin plus présent), une inégale redistribution (argent public en direction majoritaire de la pratique masculine) et un inégal accès (les filles et femmes, de fait, ont moins de lieux de pratiques).

3/ Des regroupements de fonctions dans un même espace de vie

La question des déplacements est importante pour les femmes dans les villes, la preuve en est leur sur-représentation parmi les usagers des transports en commun. Or, souvent, les différentes fonctions dans les villes sont éloignées les unes des autres et les quartiers sont spécialisés. Le regroupement des fonctions de la vie quotidienne sur un même espace peut faciliter l’investissement des femmes dans leurs projets professionnels propres par exemple. C’est notamment le cas d’une coopérative de femme qui s’est mise en place à Berlin - la Weiberwirtschaft - dont l’idée était de créer des entreprises et des réseaux de femmes travaillant à leur propre compte dans des bâtiments qui accueillaient aussi des lieux d’habitat et les services comme la garde des enfants et un restaurant.

4/ Des usages mixtes de l’espace public

Avec la question des déplacements vient celle des circulations dans l’espace public et de la sécurité des femmes dans leurs trajets urbains. Ce sujet a récemment été médiatisé via la mise en lumière du phénomène d’harcèlement de rue. Ainsi, la majorité des femmes interrogées disent avoir déjà été interpellées de façon insistante par les hommes dans la rue, s’être senties en insécurité dans leurs trajets ou encore développer des circuits spécifiques qui leur semblent plus sécurisés même s’ils sont plus contraignants. Une ville féministe pourra ainsi être celle dans laquelle la mixité des usages est réfléchie, afin que les espaces publics ne soient pas simplement des espaces froids d’interstices entre les bâtiments mais bien des espaces accueillants et rassurants.

L’éclairage de rue, les aménagements aux abords des stations de métro ou encore les facilités accordées pour des arrêts de bus à la demande sont autant de dispositifs qui permettraient aux femmes de davantage investir l’espace public.

5/ Des représentations des femmes qui n’encouragent pas les stéréotypes genrés

Enfin, les représentations des femmes, dans tous les sens du terme devraient veiller à l’égalité entre les femmes et les hommes dans une ville féministe. Aujourd’hui, les femmes ne représentent que 20 à 30 % des élues. Par ailleurs, leur sont souvent confiées des missions que l’on considère être davantage de leur ressort comme par exemple l’éducation, la jeunesse, les politiques sociales…mais plus rarement l’économie ou…l’aménagement urbain et des territoires. Dans le même temps, les représentations en images des femmes pourraient être soumises à un règlement public d’affichage qui limite les publicités de manière générale, et notamment celles qui véhiculent une image stéréotypée et/ou dégradante des femmes.

Les chantiers sont nombreux pour transformer nos villes marquées par l’empreinte masculine depuis des milliers d’années. Ils reposent sur un équilibre délicat entre la prise en compte de la réalité des vies des femmes aujourd’hui sans pour autant se limiter à améliorer les conditions des missions qu’on leur assigne trop souvent, notamment l’accompagnement des enfants et des personnes âgées. Il est également important de transformer les usages et les espaces dans les villes pour y introduire la mixité. L’une des clefs passera bien entendu par la féminisation des métiers de la conception et de la construction des villes, aujourd’hui encore majoritairement occupés par des hommes.

Claire Mazin


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