La République est un idéal, gorgé du désir d’un monde meilleur, plus juste, plus démocratique et plus égalitaire

samedi 2 mars 2019.
 

Entretien avec Thomas Branthôme, historien du Droit à Paris-Descartes, co-auteur, avec Jacques de Saint-Victor, de l’ Histoire de la République en France (Economica, 2018). Cet entretien a été réalisé lors du cours qu’il donnait à l’école de la France insoumise, samedi 23 février.

Est-ce que la République a encore un sens aujourd’hui ?

Voilà une question légitime qu’il faut regarder en face, comme un préalable à toute réflexion sur le sujet. Le concept de « République » apparaît en effet quelquefois vidé de son sens pour nos concitoyens : à force d’entendre les mêmes grandes déclarations faites d’un assemblage d’éléments de langage désincarnés, tout ceci apparaît comme de la comédie. Il faut, pour revitaliser la République, procéder à un travail de resignification. Dire d’où elle vient, quelle est sa spécificité, ce qu’elle engage et qu’elle exige. La République est un idéal, gorgé du désir d’un monde meilleur, plus juste, plus démocratique et plus égalitaire, et en ce sens, elle est aussi une promesse. Celui qui la brandit sans être fidèle à sa substance profonde doit être confronté à ce manquement. On doit lui dire qu’il est parjure. En d’autres termes, pour que la République retrouve son sens perdu, ceux qui s’en réclament doivent agir afin qu’elle participe à une transformation réelle du monde.

On a l’impression à vous entendre que la République est une révolution à venir, pourtant elle apparaît aujourd’hui davantage comme une notion consensuelle, non ?

Mais elle est une révolution ! On ne peut penser la République française sans penser la Révolution française. Elles sont nées d’une cellule souche commune et possèdent en conséquence une sève identique. Pourquoi, cela dit, cette consubstantialité a été perdue de vue ? Probablement parce que comme vous dites, il y a en apparence un consensus national sur la forme républicaine du régime. Désormais, tous les partis s’en réclament officiellement. Il y a quelques années, Pierre Nora ironisait même sur ce phénomène en parlant de « course à la République ». C’est vrai qu’il y a parfois quelque chose d’un peu grotesque dans tout cela, mais j’ai tendance à penser qu’on devrait mettre en demeure ces partis : proclamer que la République ne peut être une idée qu’on agiterait de façon partielle. Par exemple, on peut parler d’un « ordre républicain », mais seulement si dans le même temps, on le conjugue avec un souci de la souveraineté populaire et un soin accordé aux plus démunis. Car pour un Républicain, la pauvreté est une plaie infligée au corps social, une source de désordre qui affecte la vitalité commune tout autant qu’un délit ou un crime de nature pénale. Ce travail de resignification redonnerait à la République sa définition originelle et révolutionnaire. A partir de 1792, la République est un appel à mener une lutte contre l’ordre injuste. D’une certaine façon, cette situation m’évoque quelque chose de l’agonie de la république fictive d’Orsenna dans le Rivage des Syrtes (1951) de Julien Gracq, qui à force de ne plus combattre, meurt de dépérissement et d’inaction. D’avoir oublié cette dimension de combat explique aussi la perte de sens dont nous parlons. Comme si le ralliement de tous à la République s’était fait au prix d’une réduction au plus petit dénominateur commun, la forme constitutionnelle, une façon de revenir à la fameuse phrase de Thiers « La République est le régime qui nous divise le moins ». Ce mouvement historique de consensualisation vide la République de sa substance. Souvenons-nous que la République a d’abord puisé sa vitalité dans l’antagonisme, dans la lutte à mort contre l’Absolutisme. Ce sera d’ailleurs sa première définition en 1792 : une anti-monarchie. Il y a dans la République une inexorable composante dialectique : un pour/contre qui lui fait office de moteur.

Est-ce que cela signifie qu’il existerait une spécificité du républicanisme français ?

Oui. Commençons par dire pour être le plus clair possible que le républicanisme n’est pas né en France. Il tire ses origines lointaines de la philosophie d’Aristote pour qui le meilleur des régimes se caractérise par la recherche du « bien commun » et doit de ce fait mêler des éléments des régimes monarchique, aristocratique et démocratique. Aristote nomme ce régime la « politéïa », ce que les Romains traduiront par « res publica » (chose publique). Tombé en désuétude avec la chute de l’empire romain d’occident et l’érection des différentes monarchies, ce modèle est réactivé à partir des XVe et XVIe siècles dans les « cités » italiennes comme Venise ou Florence qu’on nommera « Républiques ». Dans ces cités-États, on retrouve l’idée d’Aristote d’un « gouvernement mixte ». Machiavel le met très bien en valeur dans ses écrits et les Anglais des révolutions du XVIIe siècle comme les « Pères fondateurs » des États-Unis au XVIIIe s’en revendiqueront. La spécificité du républicanisme français va être de rompre avec cette tradition et de considérer avec Rousseau, puis les Jacobins, que la République si elle vise le « bien commun » doit offrir les rênes de son gouvernement à ceux qui sont les mieux placés pour déterminer ce bien-être collectif, à savoir le peuple. L’idée de souveraineté populaire prend alors naissance et crée ce que nous nommons avec mon co-auteur Jacques de Saint-Victor, « l’exceptionnalisme français » : l’idée que la République doit être une démocratie et uniquement une démocratie.

Peut-on dire que l’actualité remet en lumière cet « exceptionnalisme » ?

Je dirais d’abord qu’après un siècle de lutte avec la réaction (1789-1879), on peut dire que la République a remporté la bataille parce qu’il existe désormais un « continuum » républicain qui n’a été rompu que par les quatre ans de « l’État français » de Vichy. Ce « continuum » a créé chez les citoyens une forme d’habitus républicain nourri par les grands récits. Beaucoup de familles ont eu des grands-parents qui ont connu les « hussards noirs » de la IIIe République, ont perdu des aïeux sur le champ de bataille des deux guerres ou ont eu un père ou une mère participant à la reconstruction de la République d’après-guerre. Aussi, en dépit de ses manquements, de ses ratés et de ses zones d’ombre, la République constitue comme une présence pour les Français, parfois dissimulée par le tumulte de la mondialisation ou noyée par les eaux glacées du calcul égoïste, mais qui demeure, en arrière-fond, attendant d’être réactivée dans sa forme la plus éclatante. Il n’y a qu’à regarder les dernières années : dans les grands drames nationaux (Charlie Hebdo, Hyper Casher, 13 novembre) comme dans les grandes joies (victoire en coupe du monde de 2018), les Français se retrouvent naturellement et spontanément autour des symboles de la République (place de la République à Paris, Marseillaise, drapeau tricolore). Probablement parce que tous sentent au fond d’eux que la République a été conçue comme un projet de société rejetant les données ethniques, aristocratiques ou racialistes pour y substituer une « res publica » offrant un commun fondé sur des principes, des valeurs et un horizon d’émancipation et de dignité pour tous.

Propos recueillis par Manon Le Bretton

Complément indispensable à l’article le cours de l’EFI à voir sur la chaines Youtube de la France Insoumise. https://www.youtube.com/watch?v=InV...


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message