DE MAI-JUIN 68 AUX GILETS JAUNES

mercredi 30 janvier 2019.
 

26 mai 1968 rue de Lyon. C’était une des dernières grandes manifs de mai 1968. J’avais animé la construction de la barricade comme la mouche du coche. Tant et si bien que nous avions oublié les trottoirs... Mais n’avais-je pas la jeunesse comme excuse ? Les CRS contrôlaient nos mains : si elles étaient sales cela prouvait que nous avions lancé des projectiles... Ayant choisi des petits pavés convenables et non pas des morceaux d’asphalte,les miennes étaient relativement propres, j’en réchappais, une fois de plus...

I. L’ivraie de la révolte et de la colère en un si beau jardin...

« La France s’ennuie » titrait alors « Le Monde ». On écoutait placidement« Salut Les Copains » sur nos transistors (1). Mon seul « souci » en ce début mai : un retard dans la remise de ma dissertation de français. Cet après-midi-là il fallait donc mettre les bouchées doubles, ouvrant de temps à autres le poste de radio pour prendre une bouffée de musique...

Enervant ! On y entendait des bruits d’explosion et des cris de journalistes... Quelle drôle d’idée de repasser des bandes de docu sur la Guerre d’Algérie, me disais-je. Car côté barricades de rue c’était la référence historique la plus proche dont on pouvait avoir des enregistrements. Mais quand on fit allusion au Boulevard Saint-Michel j’ai quand même fini par comprendre que cela se passait sur l’instant... à Paris !

J’étais plutôt studieux et ponctuel. Je fermai le poste et, plutôt content de moi, achevai mon devoir. Le lendemain, traversant en « caddy » (2) la triste banlieue ouvrière, j’arrivai au lycée un peu en retard mais la conscience petite-bourgeoise tranquille. Surprise ! Dans la classe, le prof , assis sur une chaise, discutait au milieu des élèves. Grève ! Les élèves, hier encore moutons accomplis, devenaient chiots turbulents, semblaient ailleurs, comme envahis par une étrange stupéfaction. Ma dissert’ en retard ? Le prof et tout le monde s’en foutait...

On connaissait le hamburger comme un met exotique mais à la maison on consommait déjà de l’avocat. Le Parti Communiste espérait gagner les prochaines élections. Toutes nos vies étaient organisées. Le lycée, le quartier, la ville, celles des alentours, étaient politiquement sous l’influence des communistes. La plupart des associations en dépendaient par le biais des municipalités. Pas si mal : loisirs, vacances, voyages, clubs et activités diverses... Tout cela était gratuit ou presque. Et, prêts à cracher dans la soupe, nous trouvions cela normal. Il restait quand même quelques bidonvilles, le Smic à 650 francs, les allocations chômage peu recherchées because plein emploi ou presque, des polices ou des services parallèles comme le SAC (3). Thorez et De Gaulle charmaient mon père, même s’il restait opposé à ce dernier (« un dictateur »), et même si nous étions discrètement anticommunistes....

Etait-ce le 3 mai ? Piqué par la curiosité, j’arrivai à Paris en sens inverse d’une manifestation qui franchissait le Pont Neuf avec à sa tête un gars en costard qui brandissait un drapeau noir étrangement orné d’un petit ruban rose. C’était Ramon Finster. J’étais curieux, excité. J’apprenais sur le tas, des mots et du vocabulaire, que la société était injuste et les flics pas toujours gentils... Je m’enflammais. Ah j’y voyais plus clair à présent ! C’était parti... Ma mère détestait les anarchistes et mes parents, ouvriers, anciens déportés, essayaient de me raisonner.... .

Mais la France, contrairement à aujourd’hui, à celle de Macron l’Augustule, était un pays de jeunes. C’était la génération du baby-boom née après-guerre. Même si en 6e, j’avais été le seul fils d’ouvrier de la classe, collèges et lycées, mais aussi universités, s’ouvraient à plus grand nombre...

Des centaines de milliers de jeunes, âgés d’une vingtaine d’années déferlaient bientôt dans les rues de Paris et des grandes villes françaises.

Mais « Jeunes », on le sait, ne signifie pas forcément « Clairvoyants ». C’était fascinant de voir certains copains, des copines, auparavant si sages, devenir maoïstes, brandir le petit livre rouge de Mao, proférant d’étranges malédictions contre de mystérieux personnages orientaux, nous vantant la « Révolution Culturelle ». Un journaliste du Monde, Alain Jacob, tenait un public d’intellos en haleine, en dressant des tableaux mirifiques de ce qui s’avéra un véritable enfer pour des millions de gens. Mais il faut dire qu’on nous avait déjà fait le coup avec le « paradis soviétique », déjà décati alors. Le paradis maoïste ne tint pas le coup lui non plus et maints thuriféraires de ce régime totalitaire, devinrent, comme Serge July, de braves chefs d’entreprises bourgeois.…

N’empêche. Compte tenu du nombre, de notre furia dans les manifestations, de la panique dans les rangs du pouvoir, chez les forces de l’ordre, on peut dire que Macron, aujourd’hui, a de la chance de se retrouver avec en face de lui une majorité de Gilets Jaunes papis ou quadragénaires. Car face à la jeunesse en révolte de mai-juin 1968, il n’aurait pas tenu dix jours. En tête, dans la rue, nous étions certes des intellos mais c’est une grève générale de millions de travailleurs qui paralysa pendant plusieurs semaines complètement le pays. Face au boniment des journalistes fidèles défenseurs du pouvoir en place, il y avait des têtes, du répondant et la gouaille populaire pour faire mouche et les tourner définitivement en ridicule. Certains ne s’en remirent jamais.

Face à la tournure des évènements, la rumeur se répandit ainsi que le secrétaire du Parti Communiste, Waldeck-Rochet en était tombé malade.

Les ministères se vidaient. Certains, en désespoir de cause, s’en remettaient discrètement à la gauche, Mendès ou Miterrand, pour « sauver les meubles », entendez le régime voire le système capitaliste. La Bourse plongeait. Malgré les pourparlers de Matignon, tous les nouveaux acquis et les incitations des syndicats à la reprise, les ouvriers refusaient de retourner au boulot. Et surtout le chef de l’Etat lui-même s’était évanoui. En son absence, Pompidou et son secrétaire d’état, Jacques Chirac, géraient avec habileté. Les capitalistes leur doivent une fière chandelle...Le Général n’avait plus qu’à revenir et froncer le sourcil.

La dissolution de l’Assemblée et l’organisation de nouvelles élections avaient suffi pour rétablir « l’ordre républicain ». Le troupeau, un moment affranchi, rentrait à l’étable. Vieille méthode que l’on ressort aujourd’hui, lors des crises sociales, consistant à faire passer les élections et le vote pour la quintessence de la démocratie. Alors que le vote est pratiqué avec ostentation dans toutes les dictatures (4).

II. Une société où il y avait du grain à moudre...

On connait l’antienne répétée en 1936, en 1945, en 1968 : « il n’y a pas d’argent pour satisfaire vos revendications ; tout ce que vous allez arriver à faire, c’est foutre le pays en faillite ». Ne servons pas encore une fois le couvert avec un nouveau débat sur les conséquences d’un meilleur niveau de vie... Constatons simplement qu’en 1945, il fut possible de mettre sur pied notre système de Sécurité Sociale actuel dans un pays exangue, affaibli par 5 ans de guerre et d’Occupation.

Même si bien sûr il s’agit de choix politiques, remarquons ici surtout les évolutions inexorables du système capitaliste :

- De 1945 à 1973 : période de reconstruction et vision keynésienne où le crédit permet de relancer l’économie. Faibles salaires constamment rongés par l’ inflation et chômage peu élevé (5). On peut se permettre d’augmenter lesdits salaires puisque, dans la logique keynésienne, l’inflation les bouffera de toutes façons. On vit « à crédit » dans une perspective de Progrès continu dont la société libérale est l’unique pourvoyeuse. Les débits d’aujour’hui seront comblés par les profits de demain. Mai 68 entre dans cette période.

- A partir de 1973 avec la première crise pétrolière, confirmée par la seconde de 1979, on doute de plus en plus des politiques keynésiennes de relance (6). La dernière tentative de ce genre en France, de 1981 à 1983 est considérée comme un échec. Place donc aux néo-libéraux, aux politiques de la TINA de Thatcher et de Reagan plus que jamais à l’ordre du jour. Car les possibilités de profits s’amenuisent, sont fragiles, même s’ils semblent devenir monstrueux par la surexploitation « indispensable » du plus grand nombre. Le capitalisme entre clairement dans un stade financier, son ultime étape si l’on se réfère à Lénine... et à Macron ! (7)

Seule le spéculation financière peut rapporter gros, plus que l’investissement dans la production de biens réeels (8). Et ensuite les capitalistes vous l’insinuent sur tous les tons : il n’y a plus de grain à moudre !... C’est à dire rien pour le Peuple...Mais tout pour eux... et plus encore si possible !

A moins que le Peuple comprenne enfin qu’il faut en arriver à casser la baraque !

De toutes façons le chaos est déjà là et il vaudrait mieux penser à construire un autre futur où l’on s’attachera à satisfaire les besoins et non pas à faire du profit.

De Gaulle avait eu l’intelligence de dissoudre l’Assemblée Nationale et d’en appeler à de nouvelles élections législatives (les précédentes ne dataient pourtant que d’une année...). Mais, par ailleurs, le peuple français, dans son ensemble, restait contrôlé par des organisations ouvrières puissantes comme le Parti Communiste ou la CGT, qui avaient renoncé depuis longtemps à remettre en question le système capitaliste. Elles savaient manipuler, contrôler les manifestations et les débats (« pas de provocations, camarades ! ») où c’était toujours les mêmes ténors qui faisaient reprendre le refrain. C’est différent aujourd’hui car en même temps que le capitalisme affaibli croûle sur lui-même, institutions, syndicats, partis s’affaissent logiquement eux aussi. De plus en plus nombreux sont ceux qui se rendent compte de cet effondrement en cours tentant trop souvent de se raccrocher à la branche vermoulue des populistes.

Exhibant les ministres en clowns blancs,le dérisoire cirque itinérant de l’Augustule, inutile, coûteux, permettra t-il de faire oublier les centaines de personnes sans toit, qui en ce moment crèvent de froid dans les rues, la misère à la maison, quand on en a une, sans chauffage, sans rien à bouffer !

Honte à toi Paillasse !

Derrière l’ « inacceptable » slogan « Macron Démission » se profile à présent une condamnation radicale et logique du capitalisme, ainsi que le souhait d’une nouvelle société de Démocratie Directe.

On n’en était pas vraiment arrivé là en mai-juin 1968... Mais maintenant ça urge !

Paul Mattick, militant conseilliste, penseur et homme d’action rappelle que « Marx ne prévoyait pas, quant à lui, un effondrement "automatique" ou "économique" du système capitaliste. Seule la puissance des actions révolutionnaires de la classe ouvrière était apte, selon lui, à montrer si la crise du système à un moment donné en constituait ou non la "crise finale". » . Mais où est resté mon gilet ?!

Notes

(1) « Salut les Copains » était à la fois un magazine pour les jeunes et une émission de radio quotidienne qui débutait dans l’après-midi...

(2) Le « caddy » était un petit cyclomoteur grenat se voulant le rival du solex... Le Solex ? Ah oui : demandez à votre grand-père ;

(3) SAC : Service d’Action Civique, organisation parallèle au service du pouvoir gaulliste dans les années 1960-1970 - « Rapport de la Commission d’Enquête Sénatoriales sur les activités du Service d’Action Civique » Editions Alain Moreau, 1982. A côté de De Gaulle et de Pasqua, Macron et Benalla sont des poussins !...

(4) Le vote, pendant la Révolution Française, ne concernait qu’un peu moins de trois millions d’habitants. En Angleterre, pays du libéralisme, au XVIIe siècle, il ne concernait qu’environ 400000 hommes. Tout au long du XIXe siècle ou presque il resta censitaire – il fallait être contribuable imposable pour avoir le droit de voter – et les organisations ouvrières, prônant la Démocratie Directe, préchèrent l’abstention pratiquement jusqu’au début du XXe siècle . Le Parti Communiste ne participait qu’aux élections municipales jusqu’au début des années 1930...

(5) Voir la « Théorie Générale » du pragmatique Keynes... et mon petit ouvrage en ligne « Krachs, spasmes et crise finale » https://lachayotenoire.jimdo.com/nemo/

(6) Retour au libéralisme pur et dur car on se doit de conforter ses profits sous peine de faillite https://lachayotenoire.jimdo.com/nemo/

(7) Le 31 décembre dans son show de fin d’année il évoque « la fin du capitalisme financier ». S’il ne faut pas sous estimer l’intelligence du Président il ne faut pas non plus y distinguer ici une véritable clairvoyance... Mais les cercles de Bildenberg ou de Schtrunkmunch ont anticipé, c’est vrai la crise à venir, décidant de laisser aller la faillite à son terme... Mais c’est encore une autre histoire.

(8) « Du fer à la finance : l’empire de Wendel https://blogs.mediapart.fr/patrick..... Une réussite de reconversion !


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